Santé et bien-être

Olga Dupré et Denis Walravens sont tous les deux psychologues et travaillent en équipes pluridisciplinaires dans des services d’oncologie. Ils sont donc bien placés pour entendre et comprendre les besoins des parents confrontés au cancer. La première question est souvent : « Doit-on en parler à nos enfants ? ». Et ensuite : « Comment leur en parler ? ».
Phrases simples, dessins élégants et efficaces : La maman de Léon est malade, elle a un cancer se présente comme un livre pour enfants classique et attirant. Pourtant, le sujet est loin d’être léger et il fallait bien deux professionnels pour s’attaquer à ce thème.
Comment est venue l’idée de faire un livre ?
Olga Dupré et Denis Walravens : « Lorsque les parents nous parlent des questions de leur(s) enfant(s), nous pouvons les conseiller, mais nous ne sommes pas présents dans la relation qu’ils ont instaurée avec eux. Un livre est un intermédiaire qui favorise le dialogue, il permet de cheminer avec l’enfant et les questions réelles qu’il se pose. À partir du livre, on peut adapter sa parole. Il en existe quelques-uns, nous les connaissons presque tous, mais aucun n’est vraiment adapté aux tout-petits. »
Allons droit au but : doit-on parler du cancer aux enfants ?
O. D. et D. W. : « Oui, assurément, car les enfants ressentent les choses même si on ne leur dit rien. La maladie de leurs parents prend une place considérable dans la vie familiale. Elle bouleverse les emplois du temps et la disponibilité des parents. Elle modifie aussi la vie sociale, car il faut parfois faire appel aux proches, voire à des services sociaux pour entourer les parents et compenser leurs absences ou pallier les difficultés d’organisation créées par la maladie. »
Le sujet est particulièrement difficile, il y a une façon de l’aborder ?
O. D. et D. W. : « Il faut savoir que le cancer reste un sujet tabou dans notre société. Et ce ne sont pas les campagnes de communication, souvent trop décalées, qui résoudront le problème. Il reste difficile de parler du cancer avec simplicité, sans doute parce qu’il engendre des angoisses tant chez les personnes concernées que chez leurs interlocuteurs. C’est une maladie qui, quoique le plus souvent guérissable actuellement, engage le pronostic vital et à laquelle chacun peut s’identifier ou à l’inverse refuser la réalité. En parler à des enfants très jeunes augmente la difficulté. Nous avons voulu que notre livre permette d’amorcer le sujet, de prendre en compte des éléments de réalité (hospitalisation, conséquences des chimiothérapies), mais sans que tout soit dit. Il ne s’agit pas d’inquiéter l’enfant, mais de lui permettre, à travers l’histoire du petit girafon Léon, d’appréhender sa propre perception des changements provoqués par la maladie dans sa vie, de libérer ses angoisses inexprimées. »
Ne pas comprendre, une source d’angoisse
Doit-on monter ses faiblesses à ses enfants ?
O. D. et D. W. : « L’ambiance familiale, la tristesse, l’inquiétude, la souffrance des parents engendrent une angoisse indéfinissable chez l’enfant qui, lui, perçoit sans comprendre. Pleurer en cachette, essayer de surmonter sa fatigue pour faire bonne figure n’aidera pas l’enfant. Il vaut mieux l’associer, le mettre à contribution. Comme Léon, qui essaie de recoller les taches que sa maman girafe a perdues à cause de la chimiothérapie, il est préférable que l’enfant soit actif. Qu’il sache qu’il vaut mieux qu’il joue avec papa ou les frères et sœurs quand maman doit se reposer, car il contribue ainsi à sa guérison. »
Votre livre est accessible sur internet, mais pas en librairie. Pourquoi n’avez-vous pas d’éditeur ?
O. D. et D. W. : « Nous avons pris contact avec les éditeurs pour la jeunesse, mais ils ne nous ont pas fait d’ouverture actuellement, soit parce qu’ils estimaient que des livres sur ce sujet existaient déjà, soit parce qu’ils avaient d’autres sujets éditoriaux prioritaires. Le fait que ce livre s’adresse à une tranche d’âge qui n’est pas encore couverte n’a pas pu influencer la décision. Mais nous continuons nos démarches chez les éditeurs et par le biais de la traduction (en néerlandais et en anglais). Et chez des libraires qui pourraient assurer des commandes. Notre public-cible, ce sont les parents, les grands-parents, l’entourage, les institutions comme les Centres PMS ou les crèches. »
Comment le livre est-il reçu dans le milieu professionnel ?
O. D. et D. W. : « Très bien ! Même s’il s’agit d’une initiative privée, la démarche est considérée comme intéressante, elle est relayée dans les institutions hospitalières et provoque parfois des réactions enthousiastes de nos collègues qui se trouvent comme nous face aux enfants et aux parents. L’ouvrage fait peu à peu référence et trouve sa place dans les bibliothèques des crèches et des écoles maternelles. »
Prévoyez-vous des suites ?
O. D. et D. W. : « Oui, nous sommes au début de la réflexion sur un tome 2. Il devrait envisager la chronicité de la maladie, les soins palliatifs dans le cas où la maladie ne serait pas guérissable. Ce ne sera pas facile. Mais ces questions se posent dans la réalité. Avec les équipes pluridisciplinaires nous rencontrons tous les patients, mais ils ne recherchent pas toujours un suivi tout au long de l’évolution de leur maladie. Un livre conçu dans le même esprit que le premier pourrait les aider. »
Propos recueillis par A. Dh.
En savoir +
La maman de Léon est malade, elle a un cancer, Olga Dupré et Denis Walravens.
Elles en parlent…
L’affaire de la perruque
« Lorsque j’ai appris que je devrais subir une chimiothérapie de longue durée et que je perdrais mes cheveux, j’avais beaucoup de mal à assumer. Affronter le regard des autres et particulièrement de mes proches me paraissait insurmontable. J’ai suivi les conseils d’une équipe de l’hôpital où j’étais soignée : j’ai fait faire une perruque, très proche de ma chevelure naturelle et de ma coupe de cheveux habituelle. J’étais un peu rassurée. Mais comment faire à la maison où il me serait impossible de cacher en permanence ma tête chauve. Si je ne voulais rien cacher à mes proches, n’était-ce pas leur infliger une souffrance supplémentaire, leur faire partager une douleur intime au-delà de ce que nous voulions.
Ma fille avait alors 4 ans, je lui ai parlé de l’hôpital, de l’opération, mais les chimios… c’était autre chose ! Je ne lui ai pas tout dit, je ne me suis pas étendue sur les effets secondaires, entre autres digestifs, elle était petite, si petite. Puis, un jour, elle m’a demandé pourquoi j’allais à l’hôpital puisqu’après j’étais encore plus malade. Les enfants ne savent que ce qu’ils voient. Un autre jour elle a voulu savoir pourquoi j’avais gardé mon chapeau en rentrant de l’école où j’avais été la chercher. J’ai paniqué. C’était un mauvais jour pour moi. Le matin j’avais perdu de grosses mèches de cheveux, les premières, et je n’avais pas pu m’organiser pour aller chez la coiffeuse me faire raser la tête et poser la perruque. Je me suis réfugiée dans la salle de bain pour pleurer, évacuer l’émotion et prendre attitude. Ma petite fille m’a rejointe quelques minutes plus tard, bien plus inquiète de ma disparition soudaine que de mon chapeau. En me voyant, elle fut décontenancée. ‘Tu es fâchée pour le chapeau, maman ?’. Non, pas pour le chapeau, certes. Mais comment lui dire. J’ai parlé du traitement à l’hôpital et des médicaments et de leur conséquence sur mes cheveux. ‘Je peux voir ?’. Sa candeur m’a fait sourire. Elle est montée sur mes genoux et m’a enlevé le chapeau. Elle a regardé longtemps, puis touché et a même attrapé sans le vouloir une mèche qui lâchait prise. Puis elle a dit : ‘Bon, je vais te coiffer’. Je l’ai laissé faire en réfléchissant.
Des cheveux sont encore tombés, ça n’irait pas mieux demain, mais ma fille me peignait sans faire de remarque. Puis elle s’est plantée devant moi. ‘Voilà, c’est bien’. Je n’ai pas remis le chapeau. Je n’ai pas regardé le miroir. Un peu plus-tard ce jour-là, je lui ai parlé de la perruque. Et c’est ainsi qu’est venue l’idée. « Je pourrai la coiffer aussi ? ». Nous étions devenues complices. Les cheveux c’était notre affaire, notre secret. Ma fille a pris soin de ma perruque aussi longtemps que je l’ai portée. Elle la coiffait, la lavait avec moi. Pas plus que nous, les enfants n’aiment subir. Entre nous, la perruque et plus tard la repousse, qu’elle surveillait avec attention, ont été le lieu d’expression de tout ce qui concernait la maladie et lui a permis d’en suivre l’évolution, d’accepter d’autres difficultés comme mes coups de fatigues inopinés. Elle était consciente de m’aider à guérir. »
Ana L.
À l’affiche...
« Quand j’ai eu un cancer à la fin des années 1980, mes enfants étaient de jeunes adolescents. Je leur ai expliqué ce qui m’arrivait, sans dramatiser. J’étais mal, oui, j’allais être opérée, mais il n’y avait aucune raison de penser au pire. Ce serait juste une période difficile. Pour eux aussi. C’était sans compter avec les bavardages. On leur demandait ce qui allait leur arriver puisque leur maman avait une maladie ‘incurable’ (sic).
C’était sans compter aussi les mines de circonstances consternées et les remarques ‘positives ‘ qui font plus de tort que de bien : ‘Mais non, pas toi, tu vas t’en sortir !’. J’y comptais bien mais… je sentais les enfants inquiets et nos paroles difficiles. Un jour pourtant j’étais avec mon fils de 11 ans à la poste. Tout à coup, il me fait du coude et me montre discrètement une affiche : elle montrait une femme accompagnée d’un enfant, tous les deux souriants. Dessous, le texte disait : ‘Ma maman a eu un cancer et maintenant elle est guérie’. Quand j’ai eu fini de lire l’affiche j’ai regardé mon fils, lui aussi souriait. Je l’ai pris affectueusement par l’épaule. J’ai eu l’impression que le poids de ses angoisses en tombaient et aussi, je pense, qu’il savait que mon bras pouvait encore le protéger, et pour longtemps. »
Suzanne M.