Société

Lire Je navigue entre deux mondes d’Aurélie Cevennes (éditions du Panthéon), c’est d’abord lire le récit d’une jeune femme d’aujourd’hui. C’est aussi découvrir l’enfance, la jeunesse et l’entrée dans la vie adulte d’une femme atteinte d’un syndrome autistique. Avec ses difficultés et ses victoires, ainsi que celles de ses parents.
Février 2023. Aurélie Cevennes a 29 ans. Sa vie a été une succession d’obstacles à franchir avec des étapes douloureuses comme deux dépressions, qu’elle décrit d’ailleurs très bien. Nous l’avons rencontrée en compagnie de sa maman, pour apporter son point de vue parental.
« Aujourd’hui, je me sens épanouie, bien dans mes baskets, répond Aurélie Cevennes quand nous lui demandons comment elle se sent. Il m’a fallu du temps, j’ai fait un travail sur moi-même et je gère mieux mon atypisme au sein de la société, même si le relationnel reste compliqué à gérer en fonction de mon environnement, de ma forme physique et psychologique. Il y a des hauts et des bas. Je sais que je resterai différente jusqu’à la fin de ma vie, mais je l’accepte et j’arrive à faire face plus facilement. Après mon parcours chaotique, je suis fière d’avoir publié ce livre, de pouvoir sensibiliser. C’était mon but premier, parce que je me suis retrouvée face à énormément de critiques, de préjugés, qui ne devraient plus exister en 2023. »
Former les enseignantꞏes
Si Aurélie se réjouit des progrès qu’elle a effectués, elle regrette néanmoins que la société belge n’évolue pas aussi vite, surtout quand elle compare avec nos voisins d’Outre-Quiévrain, où elle a participé à des ateliers d’habiletés sociales à Paris. « J’ai un ami français, explique-t-elle, qui a été accompagné par une cellule psychologique spécialisée lorsqu’il a trouvé un travail. Elle vérifiait l’environnement, dialoguait avec les patrons et le personnel, etc. Elle fait attention au bien-être de la personne en situation de handicap. Sur mes divers lieux de travail, j’ai été livrée à moi-même. C’est à la limite si on savait qui j’étais. Dans leurs écoles, existent des AVS, des Auxiliaires de Vie Scolaire (ndlr : aujourd’hui appelé·es accompagnant·es d'élèves en situation de handicap), qui suivent les élèves dans leur quotidien scolaire. En Belgique, on parle de plus en plus des différentes formes d’autisme et des différences, mais des enfants comme nous sont plus vite orientés vers l’enseignement spécialisé alors qu’avec un encadrement adéquat, nous pouvons très bien réussir dans l’enseignement ordinaire ».
Dans son livre, Aurélie Cevennes détaille les différents univers qu’elle a fréquentés et qui ont été sources de difficultés à surmonter, en particulier dans le monde scolaire. Avec son expertise du vécu, aurait-elle des propositions à soumettre à la ministre de l’Enseignement si elle pouvait la rencontrer ? Sa réponse fuse en cinq mots : « Former et sensibiliser les enseignantꞏes ». Elle ajoute : « Avoir des éducateurs et éducatrices spécialiséꞏes qui puissent favoriser les liens avec les enseignantꞏes et les élèves parce qu’il y a beaucoup de harcèlements, de moqueries, même si je n’en ai personnellement pas trop souffert. Cela pourrait être des AVS comme en France et au Canada, formés et engagés ».
« Il y a beaucoup de fausses idées sur l’autisme, de clichés nés de films comme Rain Man ou de personnalités connues »
Aurélie Cevennes a eu l’opportunité de s’inscrire en bout de course dans une école privée à pédagogie active, l’école Saavutus. « Mais il faut avoir les moyens financiers », tient à ajouter la maman. Et cela s’est confirmé pour établir le diagnostic, sur le tard, au… Canada.
L’annonce du handicap
« On veut nous mettre dans une case, poursuit Aurélie Cevennes, alors que le spectre de l’autisme est très large. Il y a une panoplie de personnalités. Il y a beaucoup de fausses idées, de clichés nés de films comme Rain Man ou de personnalités connues. Or l’autisme peut être un handicap invisible. »
Tandis que nous échangeons avec la jeune femme, rien ne nous permet d’imaginer qu’elle se bat depuis des années avec son atypisme tant son élocution est claire et précise. Ce qui pose le problème du diagnostic, puisqu’il n’a été établi qu’à ses 17 ans, après de multiples démarches effectuées à l’initiative de ses parents et lors d’un voyage au Canada. Un diagnostic de SDNV (Syndrome de dysfonction non verbale) dur à entendre.
« C’est d’abord un coup de tonnerre dans un ciel bleu, témoigne la maman, il faut l’encaisser et l’accepter. Mais nous avons été bien accompagnées et des solutions nous ont été proposées. Néanmois, une fois revenues en Belgique, on s’est effondrées, car on s’est retrouvées un peu seules au monde ». Trop de parents avec enfant porteur d’un handicap se sentent livrés à eux-mêmes, même si de nombreuses associations existent, lesquelles sont souvent débordées.
Le coming out d’Aurélie
Une autre étape délicate a été celle de la révélation de son syndrome autour d’elle, ce qu’Aurélie Cevennes appelle dans le livre son coming out. Pense-t-elle que les parents ont intérêt à encourager leur enfant atteint d’un trouble autistique à le faire le plus tôt possible ?
« Oui, pour éviter une crise identitaire, répond-elle sans hésiter. L’enfant grandit plus facilement quand on sait qu’il a une différence, qu’on peut l’expliquer aux adultes et aux autres enfants. Cela permet aussi de créer son identité propre. Avant, j’étais perdue au sein de la société. Cela a créé chez moi des blessures et des angoisses monumentales. Je n’avais pas de codes. J’ai dû m’adapter aux situations, comme un caméléon. Je copiais les autres, par exemple les vêtements de ma sœur. L’humour reste compliqué pour moi. En soirée, quand les autres rigolent, je vais faire semblant de rire même si je ne trouve pas la blague très drôle. Caméléon, c’est une manière de me définir, avec des côtés positifs et des côtés négatifs. Mais avant, je m’y perdais. Il y avait des jours où je rentrais chez moi et je ne savais plus qui j’étais, en pleine dissociation. »
Et sa maman de compléter : « J’avais très peur de ce coming out, parce que je craignais les étiquettes. Chaque fois que j’essayais d’en parler autour de moi, je me rendais compte que je n’étais pas comprise. J’avais tendance à freiner. D’ailleurs, quand Aurélie a eu l’idée du livre, j’ai eu très peur des réactions des gens, qu’elle ne soit pas écoutée, pas comprise. Et encore aujourd’hui ».
Mercis
Aurélie Cevennes, et elle les remercie à plusieurs reprises, ne s’en serait pas sortie sans l’aide de plusieurs personnes déterminantes dans son parcours : sa professeure de maths, son psychologue, son psychiatre qui a écrit une préface, ses parents, sa sœur et plein d’autres.
« J’avais du mal avec les gens hors de la maison, car j’étais dans le déni. On développe une anxiété relationnelle quand on a une personnalité atypique, on a tendance à se replier sur soi-même, ce qui peut empêcher de s’ouvrir au monde. L’accompagnement psychologique est très important. Le psychologue et le psychiatre m’ont permis de me poser les bonnes questions et de ne pas aller dans le mur. »
La jeune femme a appris à se connaître et à adapter ses comportements au monde extérieur. Elle l’écrit dans un joli paragraphe où, de manière apaisée, elle s’adresse à son ‘Cher Autisme’. « Il est présent avec moi tous les jours, sourit-elle, et aujourd’hui, j’accepte le terme atypique par rapport à celui de neurotypique. Je vois même des points positifs dans ma situation quand je vois certaines personnes neurotypiques qui se plaignent pour des détails. Avant, je n’étais que du côté obscur. Aujourd’hui, je préfère être une personne atypique et moi-même ».
Et l’avenir ?
Son avenir n’est pas pour autant tout tracé. Avec la crise énergétique et économique, sa sécurité matérielle et son autonomie sont loin d’être acquises. « Le plus dur pour des personnes comme nous, s’inquiète Aurélie Cevennes, cela va être l’avenir professionnel. Le confinement a été une période compliquée. Être enfermée chez soi, privée d’un encadrement, ruminer ses pensées, avoir une liste de tâches à accomplir en étant seule avec soi-même, c’est anxiogène pour des gens comme nous. Avec le confinement, je suis encore plus rentrée dans ma bulle et, en en sortant, j’avais des crises d’anxiété sociale, des sensations émotionnelles compliquées. J’avais perdu des mécanismes comme poser des questions, dire bonjour, entrer en interaction, affronter le bruit, etc. Or, nous avons besoin d’une routine et de règles. Tout doit être millimétré ».
Aux difficultés du quotidien, s’ajoutent les craintes par rapport aux ressources financières. « Si je me marie un jour, je ne veux pas être un poids pour mon mari. Je voudrais être indépendante. Un crédit à la banque, c’est mort, je ne peux pas compter dessus. Et quand je dis que je touche des allocations, des gens me répondent qu’ils paient pour moi. Certains m’ont déjà demandé ce que l’on allait faire avec des gens comme moi dans la société. C’est hyper dégradant. On a envie de s’enfermer dans sa chambre et de ne plus en sortir. Pourtant, on a envie de travailler ».
Aurélie Cevennes nous confie son rêve : créer une structure qui pourrait accompagner des jeunes ou des adultes en situation de handicap. Elle pense à une expérience vécue au salon de l’auto où elle était hôtesse d’accueil et où elle a rencontré un jeune en situation de handicap pour lequel rien n’était prévu. Pourtant des possibilités étaient envisageables. Elle pourrait aussi mettre son expertise du vécu au service d’institutions comme le Forem. Aurélie poursuit sa navigation…
LIRE
Je navigue entre deux mondes
Le livre d’Aurélie Cevennes peut être lu comme le journal de bord d’une enfant puis d’une adolescente qui a dû affronter bien des tempêtes sur vingt-neuf ans. Avec elle, et sa maman qui signe tout un chapitre, nous en apprenons beaucoup sur le quotidien d’une personne atteinte d’un syndrome du spectre autistique. D’une personne atypique, comme elle se qualifie souvent, en comparaison des personnes neurotypiques que sont les autres. Sa prime enfance chahutée, ses efforts scolaires quasi surhumains, son adolescence, sa recherche d’un emploi nous sont décrits de manière vivante, ainsi que ses multiples activités sportives, en arts martiaux notamment, sa formation de maquilleuse professionnelle, ses voyages, ses deux dépressions… Sa colère aussi contre toute forme de discrimination et de stigmatisation. C’est aussi le témoignage d’une femme d’aujourd’hui qui nous parle notamment des réseaux sociaux ou qui rend un hommage enthousiaste à sa sœur et à Greta Thunberg.

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