Développement de l'enfant

Cette irrépressible envie d’imiter…

Quand le jeune enfant imite ses parents

« À la limite, Timothée s’intéresse plus aux choses qu’on fait et aux objets qu’on utilise, nous adultes, qu’à ses propres jouets », assurent d’une même voix les parents du petit bonhomme âgé de 16 mois. À 15-17 mois, le plaisir d’imiter ses proches (les parents, les grands-parents, un grand frère, une grande sœur, les puéricultrices de la crèche…) est flagrant. Décryptage de cet aspect fascinant du développement de l’enfant avec Ayala Borghini, docteure en psychologie et psychothérapeute à Genève (Suisse)*.

L’imitation est une tendance forte à 15-17 mois. « C’est vraiment le moment où les enfants ont envie de comprendre le monde dans lequel ils sont tombés, explique Ayala Borghini. Ils sont appelés à observer et à expérimenter. Ils veulent sentir comment les choses se passent, et le sentir de l’intérieur, dans leur corps, à travers des sensations… Ils ne font, donc, pas qu’observer le monde ou nous regarder faire, ils font comme nous. Elle est tellement forte, cette envie d’imiter, que s’ils voient un ballon qui rebondit, ils vont sauter comme le ballon ! »

Quand les objets s’animent…

Votre enfant aime faire tomber les objets et les regarder tomber. Il aime tirer sur des fils qui dépassent ou mettre les doigts là où il ne faut pas, et observer les effets que ses gestes produisent. Il aime utiliser vos objets parce qu’il voit à quel point ils VOUS intéressent. Un parallèle éclairant, selon Ayala Borghini ? « À la crèche, les enfants prennent des mains le jouet détenu par un autre enfant, car ils voient combien celui-ci a du plaisir à jouer avec. Les jouets qui traînent n’intéressent personne. À l’opposé, ceux qui sont dans les mains d’un autre enfant s’animent et attirent. Eh bien, c’est la même chose avec les objets utilisés par les adultes : ils s’animent entre leurs mains. Du coup, l’enfant a envie de s’en emparer et de faire les mêmes expériences qu’eux. »
Toujours à la crèche, quand un petit bout pleure, il n’est pas rare que tout le groupe se mette à pleurer. Contagion émotionnelle… « Pour l’enfant, il y a vraiment un lien entre ce qui se passe à l’extérieur de lui et ce qui se passe à l’intérieur. Pouvoir faire ce lien est essentiel parce que c’est ça qui crée du sens. Cela permet à l’enfant de sentir et de comprendre ce que l’autre vit. » Ce mouvement est toujours à l’œuvre à l’âge adulte. « Imaginez, en face de vous, quelqu’un qui sourit ou rit : tout à coup, vous allez, vous aussi, sourire ou rire. »

Qui imite qui ?

« Avec ses "ga ga ga" et ses "ba ba", Timothée a son langage, il y met de l’intonation. Il dit quelque chose, on le répète : cela le fait rire ! L’imitation va dans les deux sens », s’amuse son papa. Si votre enfant aime vous imiter, il a aussi du plaisir à vous voir l’imiter, lui. Finalement, qui imite le plus l’autre ? Le champ d’interactions entre l’enfant et ses proches est incroyable. « L’imitation est un moyen de faire sentir à l’autre qu’on est avec lui, c’est une façon de se relier à lui, insiste la psychothérapeute. Par exemple, l’enfant bâille. Face à lui, le parent fait "Ooohhh", reprenant le bâillement sous forme de jeu – "Ah oui, tu bâilles". L’enfant rit à cette imitation. Le parent redit alors : "Ah oui, tu as bâillé, ooohhh." Voilà autant de "tours de rôle". L’un parle, il y a une pause, puis au tour de l’autre de parler. C’est une conversation. Et, dans cette conversation, on trouve du non-verbal, des onomatopées, de l’imitation… et tout ce partage émotionnel. L’imitation est un registre parmi d’autres qui vient lancer, relancer, enrichir le dialogue. »
Pour Ayala Borghini, c’est la question de l’attention conjointe qui est ici en jeu. « "J’ai vu ce que tu as fait. Et je te montre que je l’ai vu en faisant la même chose." On est tournés ensemble vers un point d’attention, on observe ensemble et de tout ça, on s’en amuse ensemble. On en rit car on se rend compte ensemble qu’on s’est imités. »
Parfois, de tels échanges sont mis à mal. Lorsque des préoccupations liées au bon développement de l’enfant l’emportent sur le plaisir partagé, par exemple. « Certains parents, inquiets que leur enfant ait des difficultés, se figent et se mettent à l’observer plutôt que de partager sa vie et ses émotions. Ils scrutent ses faits et gestes plutôt que de simplement être avec lui, l’imiter et prolonger l’échange. » Pour l’enfant dans cette situation, « cela peut être une source de stress ou d’inquiétude qui peut l’amener à se montrer plus évitant ». Dans tous les cas, que l’enfant soit en difficulté ou qu’il se développe sans particularités, ce partage d’affects et ce sentiment d’être ensemble sont essentiels. Heureusement, la plupart du temps, tout ce chemin se déploie spontanément, naturellement.

Entre devenir un peu l’autre et s’affirmer, soi

Le jeu de cache-cache n’est pas nouveau pour votre enfant. Vous le voyez disparaître derrière une petite couverture ou le rideau, voire sous le tapis ! Que se passe-t-il là entre lui et vous ? « Je pense que l’enfant commence à se dire qu’il pourrait avoir peur de ne pas être trouvé », répond Ayala Borghini. Laquelle continue : « Ce qui est amusant pour lui, c’est de savoir que son parent l’a repéré mais qu’il joue à faire semblant de ne pas le trouver. Tout cela est très subtil : "Je sais que tu sais que je sais que tu es là, et on joue à faire comme si je ne te trouvais pas." De nouveau, on est dans un dialogue et dans du plaisir partagé. Cette étape est extraordinaire : l’enfant commence à imaginer qu’il se passe peut-être autre chose dans la tête de l’autre que ce qui est apparent. »
Autre scène ordinaire de la vie des loulous de 15-17 mois : à la crèche, ça mord et ça tape entre enfants. Comment comprendre ces gestes sous l’angle de l’imitation ? « Imiter l’autre, c’est devenir un peu cet autre. La morsure ou la tape reposent, elles, sur un schéma inverse, éclaire la psychothérapeute. Mordre ou taper, c’est dire : "Ça, c’est mon territoire, c’est moi qui suis là." Souvent, les enfants qui mordent ou tapent, personne ne les voit venir : ils agissent impulsivement. Ils ne veulent pas faire mal. Ils construisent leur bulle. Et, en général, ils ont besoin d’une grande bulle. Ils supportent assez mal qu’on s’approche trop vite et trop près d’eux. Du coup, ils défendent leur territoire, avec la bouche qui bondit ou la main qui file. C’est un chemin d’affirmation : "Ça, c’est moi." L’imitation est un autre chemin, qui permet de dire : "J’ai envie d’être comme toi", "Je me rapproche de toi". Bien sûr, les deux comptent : avoir la liberté de se sentir soi-même, avoir son territoire, sa bulle et, en même temps, se relier aux autres. »
« Chez un enfant très mordeur, une forme de pulsion est présente. Souvent, en lien avec des émotions (frustrations, sentiment d’envahissement…), poursuit Ayala Borghini. Ces émotions ont besoin de s’exprimer. Alors, on accompagne l’enfant avec réceptivité, en visant la modulation de la force. Lorsqu’un enfant tape sur un chien, on lui dit : "Non, on caresse le chien…" Lorsqu’un grand frère écrabouille le visage de sa petite sœur pour l’embrasser, on lui dit : "Dou-ce-ment." Cela, les parents le font instinctivement. Mais, quand l’enfant mord ou tape, on pose plutôt des interdits. Or, si ces interdits sont trop forts, cela coupe l’enfant de cette affirmation de soi, qui est quand même une voie intéressante. Alors, "tu peux taper dans mes mains, vas-y. Si tu le fais dans mes mains, et avec moi, ça va." Il s’agit de moduler sa force et c’est dans la relation que cela se fait. »
« Cette imitation dont nous parlons est, pour moi, le terreau de ce qui va se développer tout au long de la vie, qui est cette capacité à reconnaître l’autre en face de nous, conclut Ayala Borghini. Je dis souvent : quand on est bien dans ses baskets, on voyage dans le temps et dans l’espace. Voyager dans le temps, c’est être capable de se rappeler ses souvenirs ou de s’imaginer dans le futur. Voyager dans l’espace, c’est être capable de prendre la perspective de l’autre, tout en restant soi-même. Et quand l’enfant imite, il fait les deux. »

* Ayala Borghini est l’auteure du petit livre S’ajuster à l’enfant sensible au monde, yapaka.be, collection Temps d’arrêt/Lectures (téléchargeable sur www.yapaka.be).

L’AVIS DE L’EXPERTE

Question de tempérament… et de rencontre

Ayala Borghini, docteure en psychologie et psychothérapeute à Genève

Dans les grandes catégories d’enfants, on distingue les petits explorateurs et les petits observateurs. Certains n’hésitent pas à se lancer dans le monde, ils ont besoin de tout toucher. Ils n’imitent pas forcément beaucoup, mais, quand ils le font, ils sont tout contents. D’autres regardent surtout tout autour d’eux, ils sont parfois un peu anxieux, surtout au démarrage, mais petit à petit ils prennent confiance. Ils vont peut-être davantage imiter que les autres. D’autres encore peuvent passer d’un style à l’autre. Ils sont très observateurs et puis, dès qu’ils sont un peu plus détendus, ils se montrent très explorateurs. Donc, les enfants ont chacun un tempérament de base.
En plus de cela, ils vont faire usage de l’imitation différemment en fonction de qui ils ont en face d’eux. Donc, ce n’est pas juste une question de tempérament. C’est aussi une question de rencontre.
Cela rend les choses magnifiquement complexes. Du coup, il est intéressant d’observer son enfant. Est-il plutôt observateur ou plutôt explorateur ? Va-t-il plutôt imiter ou plutôt voir les autres l’imiter ? Quand est-il en difficulté ? Il est intéressant de reconnaître la palette des nuances pour s’accorder à lui.

LES PARENTS EN PARLENT…

Il mène le jeu
« Pour le moment, Victor adore jouer à cache-cache, ou plus exactement à "Je me cache, je me montre", dans la maison ou simplement avec une couverture. C’est clairement lui qui mène le jeu : il cache sa tête, puis la sort et rit. Il est très attentif à notre réaction et notre réaction le fait encore plus rire. »
Quentin, papa de Victor, 17 mois

EN PRATIQUE

Histoire de liberté

« L’imitation, ça ne marche pas pour le brossage des dents ! », dit (avec une pointe de regret ?) une maman. Pour Ayala Borghini, ce témoignage est révélateur : « Dès que les parents mettent une pression, même minuscule, qu’ils ont une forme de demande ou d’exigence, l’imitation chute. Parce qu’il n’est alors plus question, pour l’enfant, de sa liberté de s’intéresser au monde, mais d’obéissance. »