Société

Grande dame de la littérature jeunesse, prix Bernard Versele en 2013 pour son roman Babyfaces, mère de trois jeunes adultes, Marie Desplechin était à Bruxelles récemment pour présenter un ouvrage sous-titré : Manifeste à l’usage des citoyens en herbe. Tout un programme.
Intitulé Ne change jamais ! (L’École des Loisirs), le livre est subdivisé en vingt courts chapitres qui démarrent avec des scènes très quotidiennes de la vie d’une adolescente : s’habiller, s’hydrater, manger, habiter, désobéir, se bagarrer, etc. Des sujets qui font tilt à l’oreille des parents qui y reconnaîtront leurs jeunes.
Cette ado, explique Marie Desplechin, « c’est en partie moi, mais c’est aussi ce que je connais de l’adolescence. Cela pourrait être une de mes héroïnes, comme Aurore dans le Journal d’une adolescente, dont la caractéristique est d’avoir mauvais caractère et une capacité de protester, avec un mélange typique de pertinence et de mauvaise foi ».
Le ressort de la provocation
Là où le monde adulte reproche aux jeunes certains défauts, comme leur désordre, leur côté crade, etc., Marie Desplechin y voit des qualités. Avec un titre comme Ne change pas !, ne joue-t-elle pas la provocation ?
« Ce que l’on reproche aux ados, c’est ce que l’on devrait faire dans les trente prochaines années. Garder ses vieilles baskets pourries, par exemple. Comme les mômes ne sont pas encore complètement socialisés, formatés pour la consommation, ils sont encore malléables. Même si ça vient vite ! C’est pourquoi je présente comme des qualités ce qu’on leur reproche. Je regrette d’ailleurs de ne pas avoir traité la paresse. Celle-ci est légitime si on exige de toi des tâches qui n’ont pas de sens. En partant de là, j’aurais pu parler du revenu universel, du partage des richesses, etc. »
La préoccupation pour le climat n’est pas neuve chez Marie Desplechin. En 2015, peu avant la COP21, elle rédige avec d’autres écrivains un discours sur le réchauffement climatique : Aux enfants. En 2017, elle se présente sur une liste écologiste aux législatives dans la 5e circonscription de Paris. Voilà des années que l’écrivaine française constate l’urgence environnementale.
« Quand j’étais adolescente, se souvient-elle, René Dumont (Ndlr : agronome, essayiste, premier candidat vert à l’élection présidentielle de 1974) tirait déjà la sonnette d’alarme. Tout cela était écrit. J’ai également lu les grands écrivains de la question écologique comme Naomi Klein. Adolescente, je suis passée par des moments de panique, je me réveillais à 3h du matin avec la peur au ventre et en colère. Aujourd’hui, je suis interpellée par l’urgence, par l’accélération des dégâts climatiques et je pense aux conséquences pour les enfants. »
Faites la grève, les enfants !
Convaincue que les jeunes ont en eux les solutions et les comportements pour nous tirer de là, elle soutient totalement leurs manifestations : « À mon époque, les lycéens étaient aussi politisés. J’ai connu les comités d’action étudiants et les grèves scolaires. Nous y avons appris énormément sur l’histoire, sur l’économie, sur le monde ouvrier, sur les institutions, mais aussi acquis des compétences techniques et d’organisation. Du coup, j’ai envie de dire à ces jeunes : ‘Faites-le, les enfants !’. Greta Thunberg est hyper forte. Quand je lis ce livre à des élèves de 9 à 13 ans, ils comprennent bien de quoi je parle. C’est curieux que nous ne fassions pas plus confiance aux jeunes ».
Pour achever de nous convaincre sur notre capacité et celle des jeunes à transformer le monde, Marie Desplechin cite dans son livre-essai plusieurs exemples d’héroïnes et de héros du quotidien, comme Nicolas Chabanne et sa lutte pour un juste prix du lait, Stay Grounded et son boycott aérien lancé en 2016, mais aussi William Kamkwamba, constructeur d’éolienne à 14 ans, ou Xiuhtezcatl Martinez, qui, à 15 ans, attaque en justice le gouvernement américain pour atteintes à l’atmosphère. Ces « faiseurs » ne sont pas les seuls.
Face aux « climato-je-m’en-foutistes »
Pourtant, certains adultes ne sont pas tendres avec ces jeunes et tournent en dérision leur combat. « Majoritairement, ce sont des hommes blancs de plus de 50 ans, en situation de pouvoir, qui font la leçon à tout le monde. Je pense que c’est comme une maladie chez eux. Ils ont construit leur existence sur une certaine idée d’eux-mêmes qu’ils veulent sauvegarder en fuyant la menace du réel. Ils se sentent infaillibles. Ils refusent toute remise en question. Du coup, ils ont des réactions démentes ou violemment disproportionnées. Quand j’entends le ministre australien de l’Environnement qui nie des évidences alors que son pays est en train de brûler, Trump qui sort de l’Accord de Paris ou Bolsonaro au Brésil, je rêve qu’ils soient traînés en justice devant un tribunal international pour crime contre l’espèce humaine ».£
Des jeunes dans la rue, des adultes au balcon : assiste-t-on à un conflit générationnel ? « Je ne pense pas. On assiste plutôt à un renversement de générations, suggère Marie Desplechin, entre celle qui avait construit un monde qu’elle estimait bon pour la génération suivante, celle qui a tout foutu en l’air et celle qui veut s’en sortir. Face à cette réalité, il ne faut pas se démettre de nos responsabilités et rester des adultes qui ont encore des choses à transmettre et la capacité de se mettre au service du monde à venir. Ce qui peut être fait avec les jeunes sans leur donner de leçons. Cela ne ruine pas le rapport que l’on a avec eux, mais cela l’interroge, sans qu’il y ait conflit de générations. Je suis émue et très, très fière de voir ces jeunes manifester ! ».
Respecter chacun là où il est
Tous les jeunes ne sont pas descendus dans la rue. Loin de là. Le livre Ne change jamais ! ne s’adresse pas vraiment à des Adélaïde Charlier, Anuna De Wever et autres Greta Thunberg. Peut-on dès lors sensibiliser ceux et celles qui restent en dehors de ce mouvement ?
« Les enfants fonctionnent beaucoup en s’influençant les uns les autres, constate Marie Desplechin. C’est difficile de savoir qui un livre peut toucher, mais j’espère que celui-ci aidera à soutenir les enfants impliqués, qui étudient le sujet, qui organisent des goûters locavores, tentent le zéro déchet, etc. Le truc climatique, c’est une question d’éducation. Il faut savoir plein de choses pour comprendre ce qui se passe. Cette éducation est plus facile à mettre en place pour les gosses de milieux nantis que pour ceux de milieux défavorisés. Pour moi, c’est une vraie question. Pourquoi interdire le Nike à 100 € qui va surtout faire rêver ceux et celles qui en sont le plus privés ? Je m’occupe d’une gamine de 12 ans qui vient d’un milieu hyper populaire et, elle, elle veut des marques. Elle en a besoin pour conforter son ego. Une partie d’elle vit avec nous en consommant du bio et une autre partie d’elle vit avec ses copains qui vont au MacDo. Je ne veux pas qu’elle se fasse jeter par ses amis. Je ne peux pas lui interdire de vivre. Alors, je lui achète des vêtements de marque, je lui explique que je suis contre, mais que je lui achète un statut social… Elle est marrante, car elle me répond qu’elle va grandir et qu’un jour, ce sera fini, elle fera comme moi. Ce qui est bien, c’est qu’on en parle. Il faut respecter les enfants comme les adultes en considérant d’où chacun vient. »
CÔTÉ PARENTS
Sortir de la peur et de la sidération
On parle beaucoup aujourd’hui d’éco-anxiété ou de peur verte. Certain·e·s en sont tétanisé·e·s, préfèrent ne rien entendre. N’y a-t-il pas un risque de parentalisation des jeunes en reportant sur la génération suivante nos responsabilités ? « Cela dépend de notre attitude. Il ne faut pas nous démettre de nos responsabilités et de nos capacités. Le monde est capable d’améliorer certaines choses. Faisons-le. Battons-nous. N’entrons pas dans des symptômes dépressifs. En réfléchissant ensemble à des solutions et en s’organisant, on obtient des résultats. Vous irez beaucoup mieux si vous faites attention, même à des détails. Il faut renoncer à un tas de trucs, mais il y en a plein d’autres à faire. La vie peut même devenir plus marrante ».
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