Société

Familles, écologie et modes de vie alternatifs

la jeune journaliste française Charlotte Meyer s’est mise en quête de familles qui bousculent profondément leur mode de vie par souci d’écologie

Tiraillée à l’idée de devenir mère face à des perspectives environnementales « apocalyptiques », la jeune journaliste française Charlotte Meyer s’est mise en quête de familles qui bousculent profondément leur mode de vie par souci d’écologie.

Un soir d’octobre 2021, Charlotte Meyer découvre qu’elle est enceinte. Face à cette grossesse imprévue, la jeune journaliste – elle a alors la petite vingtaine – sent monter en elle une bulle de bonheur. Seulement voilà, quelques années plus tôt, elle s’était promis de ne pas avoir d’enfants. « Comme la plupart des personnes de ma génération, mes rêves se sont heurtés au fur et à mesure à la réalité de la situation environnementale, écrit-elle. Le choix était douloureux, mais il semblait être la solution la plus raisonnable ».
En dernière minute, cependant, elle renonce à l’IVG. « Ce jour-là, il m’a semblé avoir plus de force pour dessiner un avenir enviable à mon enfant que pour le laisser s’en aller ». En quête de réponses à ses questions, cherchant à réconcilier son cœur et sa raison, elle s’est alors lancée dans trois années de rencontres et de reportages qui ont abouti à l’écriture du livre Les enfants de l’Apocalypse. Faire des mômes n’empêche pas d’être écolo (Tana).

Modes de vie alternatifs

Ce point de départ très personnel et engagé est palpable tout au long de l’ouvrage, dans lequel elle s’intéresse tout particulièrement aux parents qui expérimentent des modes de vie radicalement différents. Il s’agit d’un choix conscient, nous précise-t-elle lorsqu’intrigués par son livre, nous l’interrogeons sur sa démarche. « J’ai voulu mettre en lumière des personnes qui vivent de manière complètement alternative et qui sont très rarement mises en avant ou qu’on a l’habitude de caricaturer ».
D’abord enceinte, puis accompagnée de sa fille, elle s’est entretenue avec une cinquantaine de personnes et a elle-même bousculé ses habitudes pour partager le quotidien de ces familles dans différentes régions de France. De la forêt bretonne à l’Ardèche, en passant par la Corrèze, certaines ont tout quitté pour vivre avec leurs enfants au plus près de la nature, dans des « éco-lieux » où elles tendent vers toujours plus de sobriété et d’autonomie. À leur contact, Charlotte Meyer a découvert une vision de l’écologie plus vaste encore que ce qu’elle imaginait.

Une profonde remise en question

Les personnes auxquelles elle donne la parole dans les deux premières parties de son livre (« Naître » et « Recevoir ») sont en effet nombreuses à avoir adopté des pratiques parentales qui ne visent pas seulement à réduire leur empreinte carbone, mais aussi à transformer leur rapport au « vivant » – qu’il s’agisse de leur propre corps ou de la nature qui nous entoure – et à se distancier d’une société dont les excès ont mené à la crise environnementale. Elles témoignent, par exemple, de leur choix d’accoucher à domicile, de privilégier le « maternage proximal » (allaitement long, cododo, portage…), de faire l’école à la maison ou de se tourner vers la naturopathie.

Charlotte Meyer - Autrice de « Les enfants de l'Apocalypse. Faire des mômes n'empêche pas d'être écolo »
« Je trouve ça tellement inspirant de se dire qu’en tant que parent et en tant que citoyen, on a le droit de remettre en question la norme pour créer des modèles différents »
Charlotte Meyer

Autrice de « Les enfants de l'Apocalypse. Faire des mômes n'empêche pas d'être écolo »

Dans différents domaines liés à la parentalité (naissance, éducation, santé…), ces parents bousculent les normes. En offrant une plongée dans leur réalité, le livre de Charlotte Meyer permet de mieux comprendre leurs choix, sans éluder les débats et difficultés qu’ils suscitent. Ni les présenter en modèles à suivre, nous précise-t-elle : « Le but de mon livre n’est pas de dire qu’il faut absolument opter pour tel ou tel mode de vie. Mais de montrer qu’il existe d’autres manières de faire. Je trouve ça tellement inspirant de se dire qu’en tant que parent et en tant que citoyen, on a le droit de remettre en question la norme pour créer des modèles différents ».

« Un levier puissant d’imaginaire »

Elle élargit d’ailleurs son propos dans la troisième et dernière partie de l’ouvrage (« Agir »), en donnant la parole à des parents dont l’engagement se traduit principalement par la militance ou par l’adoption d’écogestes au quotidien. Ces derniers (le zéro déchet, la consommation responsable ou le slow tourism) « évitent une réflexion systémique sur la crise environnementale, écrit-elle. (…) Pourtant, pour beaucoup de familles, ces écogestes sont les prémices d’une prise de pouvoir ».
Elle-même est aujourd’hui convaincue que la famille peut être un moteur de réflexion et de changement, et la parentalité « un levier puissant d’imaginaire ». Au contact des familles qu’elle a rencontrées, dont certaines l’ont profondément marquée, la jeune femme de 26 ans a retrouvé « une forme de courage et d’espoir assez fort ». Le sentiment de culpabilité qu’elle ressentait à l’idée de devenir mère a laissé place à une volonté de réconcilier parents et non-parents dans la lutte contre le changement climatique.

« On ne peut pas se priver des parents »

« Il y a un gros débat autour de la parentalité aujourd’hui, rappelle-t-elle en effet. Faut-il faire naître un enfant dans le monde apocalyptique qui nous attend ? Cette question divise vraiment ma génération, et encore plus la suivante ». D’où le choix du titre de son livre, plus subtil qu’il n’y paraît puisqu’elle nous apprend qu’en grec ancien, le mot « Apocalypse » signifie « révélation ».
« Quand on parle d’Apocalypse, on imagine un monde à feu et à sang, alors qu’il y a peut-être quelque chose de plus optimiste que ça, réfléchit-elle. En fait, il y a une dimension de renouveau. »
Trop souvent, regrette-t-elle, ce débat aboutit à un clivage entre celles et ceux qui ont des enfants, et celles et ceux qui n’en ont pas. « Il faut arrêter de se tirer dans les pattes. Si on se prive de la part de la population qui est parent pour lutter pour l'écologie, ça ne va jamais marcher. Parce qu’en ce moment, tout s'accélère. Et les personnes qui n’en ont absolument rien à faire de l'état de la planète arrivent très bien à s'allier pour continuer à la bousiller. Alors il serait peut-être temps qu'on fasse de nos différences une force et qu'on se rejoigne dans cette lutte, sans jugement de pureté militante ».

EXTRAIT

« Cette génération, ma génération, construit petit à petit des mondes plus colorés sur les ruines d’une société anachronique. Certains refuseront d’avoir des enfants, par crainte de cet avenir fou et insensé qui pointe chaque jour un peu plus le bout de son nez. D’autres, à l’image d’Hugo (ndlr : un parent militant cité auparavant), à l’image de mon histoire, choisiront de suivre ce rêve encore plus fou qui nous brûle les entrailles : celui de donner la vie, malgré tout, de donner une chance à l’espoir et à l’optimisme, de semer quelques graines de bonheur sur un sol pas encore tout à fait sec. Demain, il faudra offrir à nos enfants des modèles éducatifs nouveaux, des clés différentes de celles que nous avons nous-mêmes reçues pour les préparer à affronter l’avenir, et peut-être en dessiner un plus beau que celui auquel nous nous attendons ».

Charlotte Meyer, Les enfants de l’Apocalypse. Faire des mômes n’empêche pas d’être écolo (Tana)

ZOOM

Permaculture familiale

Parmi les nombreux parents que Charlotte Meyer a rencontrés figurent Olivier et Livia, qui vivaient alors en Bretagne, dans une cabane construite sur un terrain où ils produisaient eux-mêmes fruits, légumes, œufs, miel, pain, plantes médicinales, bois de chauffage, électricité… Un mode de vie inspiré de la permaculture qui les guidait tant dans leurs activités professionnelles (un centre de formation, une ressourcerie…) que dans l’éducation de leurs trois jeunes enfants. Ces derniers n’allaient pas à l’école, mais apprenaient aux côtés de leurs parents, au rythme des saisons, encadrés par leur mère, ancienne institutrice.
« À travers notre démarche, nous prouvons que des modes de vie à faible impact carbone, respectant l’environnement et les humains, sont possibles », lui a expliqué le couple. Et la maman de lui confier que la parentalité a joué un rôle clé dans leur choix : « Que peut-on leur proposer dans un monde en mutation ? Comment changer ce regard de détresse que nous portons sur l’avenir, transmettre des valeurs, donner de l’espoir ? La réponse à toutes ces questions, c’est le mode de vie que nous avons mis en place. Je ne voulais pas me réveiller un jour et que mes enfants me demandent pourquoi nous n’avons rien fait ».
Depuis, apprend-on à la fin du livre, le couple a mis son projet entre parenthèses. Sommé de démonter son habitat léger pour infraction à la réglementation urbanistique locale et face au durcissement des règles relatives à l’instruction en famille (IEF) en France, il a vu son mode de vie glisser vers la désobéissance civile. À l’image d’autres familles présentées au fil des pages.