Société
Dix heures du matin sous le crachin. Lorsqu’il entre chez Giulia’s cofee and antiques à Auderghem, Vinz Kanté, foulard noir sur la tête et vieux hoodie Nike (« Je l’ai depuis quinze ans ! »), fait un immense hug à Gianluca, le propriétaire de ce charmant café-restaurant. Ce « stam café » est devenu son Q.G., idéalement situé à deux pas de chez lui et de l’école de son fils Eden, « dont c’est l’anniversaire aujourd’hui, j’ai promis de livrer le gâteau avant midi. Ça devrait aller, non ? ».
Vinz Kanté est volubile. Normal, c’est son métier. Ex-animateur radio pour jeunes (NRJ, Fun Radio), il passe, en 2019, sur le service public (Tarmac) « J’ai toujours eu envie de parler de social, mais, dans le privé, il n’y a que l’audience qui compte : le capital et la croissance ». Au début, il est heureux de voir que l’opinion publique aborde enfin des sujets qu’il se tuait à expliquer, mais qu’on n’écoutait pas : le racisme, les injustices sociales, les mains mises, le privilège des héritiers et des héritières… « Tout ce que les agitateurs d’épouvantails appellent le wokisme ».
Ce terreau fertile pour conscientiser sur les différences de conditions humaines, il l’attribue à ses origines sénégalaises : « J’ai très vite compris les différences Nord-Sud. En ayant vécu là-bas très jeune et en y allant chaque année, je logeais soit dans un hôtel luxueux soit dans la famille avec les coupures d’eau et d’électricité quotidiennes. J’ai eu deux visions du monde, et j’ai développé un besoin de justice sociale important ».
Prise de conscience et dissonance
En découvrant, en 2019, la série Effondrement sur Canal + - « Une série authentique qui raconte ce qui se passe quand les chaînes d’approvisionnement s’érodent, qu’il y a des coupures de courant et que le réseau ne fonctionne plus » -, il réalise qu’on n’est pas du tout préparé à cela en Belgique. Alors quand on évoque un certain covid en Chine, il s’y intéresse immédiatement.
Vinz Kanté creuse, étudie, se renseigne auprès d’épidémiologistes. Il comprend vite qu’on sera bientôt confiné·es. « Le savoir scientifique est puissant : il permet de prévoir les choses ». Il s’intéresse d’autant plus aux virus et découvre que 75% de nos maladies sont dues aux infections animales ! « L’impact de l’être humain sur le monde est colossal, et le changement climatique est le dénominateur commun, partout ».
Lors du premier confinement, il lit avec attention les 3 000 pages du rapport du GIEC (le groupe d'expert·es intergouvernemental sur l'évolution du climat). « Cela m’a pris des mois et m’a littéralement secoué : j’ai pris peur ». Son mode de vie entre en dissonance avec ses connaissances : « Tout ce que je faisais allait dans le mauvais sens : si je continuais comme ça, j’allais devenir fou ! ». Alors il s’aligne le plus possible. Et il prépare ses enfants au monde de demain : « Je préfère vivre l’événement dans la transformation plutôt que dans le choc de la perte ».
Cet ex-DJ qui prenait des avions pour mixer un week-end au Japon reconnaît que cela n’a pas été facile. Il a, notamment, fallu remettre en question l’approche intrafamiliale. « Sa chérie », plus jeune, n’était pas prête à basculer dans l’écologie radicale. « Elle voyait ses amis voyager sur les réseaux et ne comprenait pas pourquoi se l’interdire alors qu’elle y avait enfin accès ». Mais Vinz ne démord pas. Question de santé mentale.
Alors, quand sa fille Anaïs lui demande, à 7 ans, d’où viennent tous les jouets du père Noël, Vinz lui montre le générique des Simpsons par Banksy. « Un univers de goulag soviétique où l’on voit de jeunes Chinois travaillant à la chaîne comme les lutins du père Noël. Quand elle a compris qu’une partie de l’humanité s’occupait du plaisir de l’autre partie, elle a dit : ‘Papa, je ne veux plus’ ».
La gueule des gens non-convaincus
En 2021, il décroche une longue interview avec Jean-Marc Jancovici, « le patron des patrons » des questions d’écologie. Tarmac n’étant pas intéressé, il la diffuse sur sa chaîne YouTube Limit, « média qui a pour vocation d’aborder les thématiques qui englobent les ‘Limites Planétaires’ ». Grâce à cette première vidéo, les autres spécialistes viennent en confiance : le climatologue Christophe Cassou, les co-autrices du rapport du GIEC Valérie Masson-Delmotte et Yamina Saheb, la journaliste et activiste Claire Nouviant, la glaciologue Heïdi Sevestre, la chercheuse en économie écologique Julia Steinberger… « Généralement, ils sont contents d’avoir des gens qui les écoutent enfin ».
Il quitte ensuite la radio et se consacre entièrement à son média. Si les débuts étaient compliqués - « Je vivais sur mes fonds propres » -, dorénavant, il parvient à en vivre. Lui et son équipe. Objectif actuel : se diversifier. Une collection de livres est en gestation, un projet innovant de fondation également.
Fin de l’année dernière, Auvio diffusait son documentaire Même pas peur, l’écoanxiété comme moteur où il met en scène sa propre famille. « Je viens d’une famille lambda avec des origines très différentes : j’ai la gueule des gens non-convaincus. Ma communauté, mes frangins et frangines ne sont pas dans ces questions écologiques. C’est une préoccupation de celles et ceux qui ne connaissent pas la fin du mois. Quand tu subis la loi de la jungle, t’as pas le temps de réfléchir au système. Je viens d’un autre milieu, d’un autre vécu, je touche d’autres gens, on sort du cadre du bobo-bourgeois. Percer la bulle de l’entre-soi, c’est ça, la mission ! ». Parce que si l’écologie est incarnée non plus par quelques, mais plusieurs visages, apparaît alors la sensation de masse. Donc de mouvement. À suivre.
Bataille contre l’ego
Le secret de Vinz Kanté pour garder le cap ? La spiritualité, répond-il en se resservant de thé à la menthe. « Je ne parle pas de religion, mais de ce qui m’a permis de désamorcer mon besoin de sociabilisation à travers la société de consommation ». Cette reconnaissance qu’il avait en portant une nouvelle paire de Nike aux pieds. Selon lui, il faut lutter contre nos inconscients. Ceux qui ont été nourris à l’abondance, au ‘tout tout de suite’. « Cette dopamine qu’homo-sapiens a développée, au départ pour une question de survie, aujourd’hui, on l’active pour un rien, constamment. Comme on s’y habitue, on doit y aller plus vite, plus fort, et avoir toujours plus pour retrouver goût au plaisir… Mais quand on réduit, réduit, réduit, on retrouve du plaisir à boire un thé ! ». Il regarde sa tasse et sourit. « Ce petit thé à la menthe, c’est devenu mon plaisir ultime. J’étais habitué à un rythme de vie qui me procurait des shoots de plaisirs mais pas le bonheur ». Comprendre le fonctionnement de son cerveau, ses croyances limitantes ou la raison de ses réactions épidermiques au changement est la première étape. « Les neurosciences, c’est la base. Si tu parviens à faire en sorte que tes enfants captent ça, ils peuvent lutter contre toutes les pulsions. Même sexuelles. »
Lecture conseillée
Le Petit Manuel de résistance contemporaine de Cyril Dion et Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité d’Aurélien Barreau. « Parce qu’ils posent un constat, donnent des pistes de solutions, que c’est court, rapide à lire, et donc accessible aux parents ».
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