Société

Quand les éco-émotions s’invitent à la maison

Que faire des émotions que suscite la crise écologique lorsqu’elles nous touchent en tant que parents ou qu’elles viennent chambouler nos enfants ? Peut-on les apaiser, voire en faire des alliées ? Eléments de réponse.

Une personne sur dix est fortement impactée psychologiquement par l’urgence climatique. C’est ce qui ressort d’une étude menée en 2021 par une équipe de l’UCLouvain. Chez les jeunes, la proportion est encore plus élevée : selon une vaste étude internationale publiée la même année dans la revue The Lancet, 59% des 16 à 25 ans seraient très ou extrêmement inquiets face au changement climatique.
Souvent appelée éco-anxiété, cette inquiétude par rapport aux conséquences du changement climatique et à l’incertitude qu’il fait planer sur l’avenir fait en réalité partie d’une palette plus large d’éco-émotions. « On peut ressentir d’autres émotions que l’anxiété par rapport à la crise écologique, confirme Alexandre Heeren, professeur de psychologie à l’UCLouvain. Il peut y avoir de la colère, de la tristesse ou encore ce qu’on appelle la solastalgie : de la nostalgie par rapport au monde tel qu’il était avant ».

« J’entends la radio, ça me fait peur »

Dans son cabinet installé dans une yourte entourée de verdure, Jehanne Van Wynsberghe, pédopsychiatre, reçoit régulièrement des familles en difficulté face à ce qu’elle nomme plus largement « l’état du monde ». Formée à l’écopsychologie, un courant qui fait le lien entre écologie et psychologie, elle constate une augmentation de ce mal-être.
Parmi ses patient·es, les plus jeunes à montrer des signes d’éco-anxiété ont 8 ou 9 ans : « Ils ne vont pas toujours pouvoir nommer les choses. Il y en a qui disent : ‘J’entends la radio, ça me fait peur’. Ils expriment souvent une profonde tristesse ». Les ados, eux, verbalisent les choses plus clairement. Certain·es estiment que leurs parents ne sont pas assez conscients des enjeux. Dans d’autres cas, l’inquiétude est partagée dans la famille.
Zoé Saliez, doctorante en psychologie à l’UCLouvain, s’intéresse justement au ressenti des parents. Dans le cadre de ses recherches sur la manière dont la crise écologique affecte leur bien-être, elle a interrogé 635 parents via un questionnaire en ligne au sujet, notamment, de leurs éco-émotions : anxiété, colère, tristesse, mais aussi culpabilité et impuissance.
En analysant les réponses reçues, elle a pu observer que plus les parents se sentaient responsables de la crise écologique et de l’avenir de leurs enfants dans ce contexte, plus ils déclaraient ressentir ces différentes émotions. Elle a également constaté que les éco-émotions étaient associées à plus d’épuisement parental, un des symptômes du burn-out parental.

Ces émotions qui poussent à l’action

Mais ses constats ne s’arrêtent pas là, et la suite est plus encourageante. La chercheuse a en effet pu établir une corrélation entre toutes les éco-émotions - sauf l’impuissance - et l’adoption de comportements plus respectueux de l’environnement par les parents (dans leurs choix d’alimentation, leurs modes de transport, leur façon de voyager, etc.). Les émotions négatives peuvent être utiles, fait remarquer Alexandre Heeren : « On est dans une société où on les tolère de moins en moins. Mais elles sont extrêmement adaptatives pour notre survie ».

« Les éco-émotions ne posent problème que quand elles sont trop intenses »
Alexandre Heeren

Professeur de psychologie à l'UCLouvain

Les émotions nous informent sur nos besoins et nous aident à répondre le mieux possible aux situations que nous rencontrons. Certaines, comme la colère et l’anxiété, ont le pouvoir de nous mettre en action. Avec son équipe, le chercheur a suivi récemment une centaine de personnes pendant deux mois afin de mesurer l’impact de leurs éco-émotions sur leurs actions. Résultat : il a observé que la colère menait systématiquement à des changements rapides de comportement.
Tout est une question d’intensité, continue-t-il : « Quand l’anxiété n’est pas trop élevée, elle est mobilisatrice. Mais quand cela devient de la peur, de la terreur, elle peut être paralysante ». C’est pourquoi il estime que « les éco-émotions ne posent problème que quand elles sont trop intenses ». Lorsqu’elles ne conduisent pas à la détresse, à la paralysie ou à l’épuisement, elles seraient au contraire une réaction saine et lucide face à une crise bien réelle et à des changements qui s’imposent.

Comment avancer ensemble ?

TÉMOIGNAGES

« Ce qui nous aide, ce sont nos engagements collectifs »
« Parfois, mon épouse et moi, on se sent vraiment très déprimés ou angoissés. Il y a des périodes où on ne lit plus le journal, on coupe la radio, parce que ça devient trop. Pour ne pas faire supporter notre éco-anxiété à nos enfants, on a nos thérapeutes. Ce qui nous aide, ce sont nos engagements citoyens : la militance politique, la participation à un potager collectif… Ça nous permet de sublimer un peu notre angoisse par l’action. Le fait d’agir avec d’autres remplace la rumination intellectuelle par du lien social, affectif. Ça permet aussi de ne pas se sentir seul, de rencontrer des gens qui ont les mêmes préoccupations. En plus, ça nous rassure, on entrevoit de pouvoir construire le monde de demain. »
A., papa de deux enfants de 12 et 15 ans

« Sans être dans le déni, j’essaye de ne pas m’y confronter tous les jours »
« Moi, ce qui m’aide par rapport à l’éco-anxiété, ce sont deux choses. D’une part, ma volonté de me préserver. Sans être dans le déni de ce qui se passe, j’essaye de ne pas m’y confronter de manière journalière dans les médias. Parce que je vois autour de moi des personnes qui sont immergées dans les problématiques environnementales et pour qui c’est difficile. C’est un équilibre à trouver. Et d’autre part, ce sont des pratiques individuelles et personnelles, par exemple la méditation, qui m’aident à trouver la paix et à pouvoir être disponible en tant que parent et en famille. »
Thibaut, papa d’Arion, 5 ans

ZOOM

12%

C’est la proportion d’adultes souffrant d’éco-anxiété sévère, selon l’étude menée par Alexandre Heeren et son équipe de l’UCLouvain en 2021. Un peu plus de 2 000 personnes issues de huit pays d’Europe et d’Afrique y ont participé. Aucun lien avec le niveau d’éducation ni avec le pays d’origine n’a été observé. En revanche, l’étude a montré que les femmes et les personnes de moins de 40 ans étaient davantage impactées par l’éco-anxiété.

POUR ALLER + LOIN

Des outils pour mettre des mots sur les émotions avec des enfants et des jeunes : Le langage des émotions (FCPPF) ou La roue des émotions (L’Autrement dit).
Des tas de jeux orientés coopération et recherche de solutions pour sensibiliser les enfants et les jeunes aux enjeux écologiques, à découvrir dans le n°139 du magazine Symbioses.
Quelques pistes suggérées par Martine Capron pour se renseigner sur les ateliers en groupe (d’adultes) autour des éco-émotions : terreveille.be et naviguer.be

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