Développement de l'enfant

Comment vont nos jeunes en 2023 ?

Février 2021, le Ligueur titre Les jeunes en bavent, soutenons-les. Un écho au besoin de reconnaissance d’une jeunesse en mal de socialisation et de sens. Février 2022, ce sont les professionnel·les de la santé mentale qui sonnent l’alerte. Une vague de décompensation sans précédent sévit. Les jeunes ne s’expriment plus. Ils souffrent trop. Un an plus tard, comment vont nos jeunes ? Nous avons repris des nouvelles auprès des professionnel·les qui s’exprimaient dans les deux éditions précédentes.

► « LES JEUNES NE SE FONT PLUS ENTENDRE. POURTANT, LES INDICATEURS SONT AU ROUGE ! »
Olivier Luminet
, professeur de psychologie de la santé à l’UCLouvain

« La dernière enquête de Sciensano sur la santé mentale est interpellante. Alors que 35% des Belges déclarent avoir une capacité à rebondir affaiblie, le taux grimpe à 58% chez les jeunes de moins de 30 ans. C’est un signal. Le taux de décrochage scolaire en est un autre. Ce sont des signaux d’alerte à prendre en compte. Je ne dis pas qu’il faut stagner dans une pensée covid. Mais là, on est plutôt dans une phase d’amnésie générale où l’on fait semblant que ça n’a pas existé.
Il faudrait convoquer des états généraux de la jeunesse. Au printemps 2021, cela a été évoqué par nos gouvernants, mais sans aucune mise en œuvre. Le politique ne prend pas la mesure de la gravité de la situation et a déserté la question. Le manque d’investissements dans la prévention en santé mentale risque d’accroître le mal être de nombreux jeunes dans les années à venir. »

 « ILS N’ONT PAS LE TEMPS DE REPRENDRE LEUR RESPIRATION QU’ILS SONT HAPPÉS PAR UNE NOUVELLE CRISE »
Fabienne Glowacz
, professeure et chercheuse à l’ULiège

« La demande de prise en charge psychologique est énorme. Cela confirme qu’une partie des jeunes n’a pas pu traverser cette crise et retrouver un fonctionnement satisfaisant. Pourquoi ? Parce que les crises se succèdent à une vitesse incroyable, mais ne se ressemblent pas. On n’a pas eu le temps de prendre soin et de tirer des leçons de la crise covid que déjà la guerre en Ukraine éclatait. Cette guerre a elle-même induit une crise énergétique et sociale. Il y a une forme d’épuisement chez les jeunes, ils n’ont pas le temps de reprendre leur respiration qu’ils sont happés par une nouvelle crise.
Tous les jeunes sont touchés, mais tous ne vont pas développer des problèmes de santé mentale. De nombreux facteurs entrent en ligne de compte : le milieu familial, la qualité relationnelle qui règne dans l’école, la capacité du jeune à composer avec le stress, sa possibilité à s’épanouir dans des activités en dehors de l’école…
Le besoin d’être entendu, reconnu et d’externaliser reste très prégnant. Il n’a pas été suffisamment pris en compte. On pourrait penser que c’est dépassé, mais non, il y a une forme de traumatisme qui laisse des traces. La quête de sens ressort de manière transversale dans le témoignage des jeunes. Parler, partager, avoir une réflexion collective, au-delà de l’expression des émotions, c’est aussi une manière de reconstruire et retrouver du sens. »

► « LES JEUNES SE SUICIDENT MOINS, MAIS ILS NE VONT PLUS À L’ÉCOLE »
Sophie Maes
, pédopsychiatre à l’unité pour adolescents au centre hospitalier le Domaine

« Nous ne sommes plus dans une phase de décompensation comme on a pu l’observer pendant deux ans. Il y a un apaisement en milieu hospitalier, mais la demande reste très importante en ambulatoire.
C’est plutôt du côté scolaire que les indicateurs sont au rouge. L’école est en faillite. Elle échoue à réaccueillir les jeunes dans de bonnes conditions pédagogiques. Cet espace sensé être un lieu de socialisation a fait l’objet de tellement de restrictions et de souffrances. Aujourd’hui les jeunes la refréquentent dans la douleur, font des attaques de panique, présentent des troubles anxieux. Les écoles se disent dépassées. Le discours bienveillant qui existait du temps du covid tend à disparaître.
D’un point de vue institutionnel, il n’y a pas eu de mesures préventives à la hauteur du défi, telles que la mise en place de groupes de parole au sein des classes pour mettre des mots sur ce que nous avons traversé, soutenir la recréation de liens et accompagner dans le temps la reprise des activités pédagogiques. Élèves et enseignant·es ont été mis sous pression pour maintenir les objectifs pédagogiques coûte que coûte. On en récolte aujourd’hui les fruits avec de l’absentéisme et du décrochage chez les élèves comme chez les enseignant·es.
Les parents peuvent libérer cette parole, instaurer un dialogue, interroger leur jeune pour savoir comment ont été vécues les mesures sanitaires, les cours en distanciel et si c’est difficile ou non pour lui de retourner à l’école. Parfois, il manque juste un petit encouragement pour que l’ado saute le pas et se livre. Un autre rôle que peut jouer le parent, c’est de soutenir la socialisation de son jeune. Il y a des jeunes qui sont encore en proie à un grand isolement. Inventer un prétexte de sortie, inviter un ami, créer la rencontre pour leur redonner le goût de vivre. »

► « PLUS DE DEMANDES, MAIS PLUS D’OFFRES AUSSI »
Didier de Vleeschouwer
, coordinateur du réseau de santé Kirikou à Namur

« L’offre de soins et d’aide pour les jeunes qui vont mal est toujours saturée. On observe des effets retards. Anxiété, isolement, troubles du comportement alimentaire, troubles du sommeil, comportements auto-agressifs… Les services de première et deuxième lignes rencontrent plus de cas et de nouveaux publics comme les étudiant·es du supérieur ou les jeunes en recherche d’emploi.
Heureusement, l’offre s’organise. Les consultations psy bénéficient d’un meilleur remboursement. Des dispositifs permettent à des psy de rencontrer les jeunes dans leurs lieux de vie (l’école, les clubs de sport, les maisons de jeunes et AMO). Cette approche permet de toucher un public pour qui le fait de consulter reste compliqué. Il y a aussi une préoccupation pour faire davantage de prévention. »

► « UNE CONSTANTE : LE MANQUE DE REPÈRES ET DE FOI EN L’AVENIR »
Philippe Claudel
, coordinateur de l’association des jeunes marocains de Molenbeek

« L’état des jeunes reste contrasté, mais avec une constante quant au manque de repères et de foi en l’avenir. Le fait de bénéficier d’un milieu familial stable, d’un environnement scolaire bienveillant, d’appartenir à un groupe, d’être impliqué dans des activités sont autant d’éléments protecteurs pour le jeune.
Dans les écoles, le décrochage empire. Le niveau de bienveillance a chuté. Des enseignant·es sont absent·es de façon prolongée. De plus en plus de jeunes accumulent du retard dans leurs apprentissages. Ce constat nous a amené à revoir nos pratiques. Nous avons ajouté à l’atelier de préparation au CE1D (certificat d’étude du 1er degré de l’enseignement secondaire) un module spécial maths pour tenter de combler les lacunes.
Nos jeunes ont besoin d’appartenir à un groupe, de se sentir considérés, en sécurité et de pouvoir s’exprimer. Au-delà des ateliers théâtre, sport et écriture habituels, on a décroché un subside pour offrir aux jeunes des moments de rupture. Le temps d’un week-end ou d’une semaine, ils s’extraient de leur quotidien pour se recentrer sur eux. C’est aussi l’occasion d’engager des discussions sur leur orientation. Un groupe revient tout juste d’Auvergne. Pendant une semaine, ils se sont sentis entourés, considérés, ils ont eu l’impression de compter et ça leur donne de la force pour retrouver une hygiène de vie et entreprendre des choses. »

 « QUAND ON S’EST RETROUVÉS, C’ÉTAIT POUR ÊTRE DANS LE POSITIF, C’EST UN CONTRAT TACITE ENTRE NOUS »
Arnaud Gustin
, animateur de la maison des jeunes de Stavelot

« On sent un mieux, une envie de tourner la page, d’aller de l’avant. Dès qu’on a pu se retrouver et refaire des projets, on l’a fait. On n’a pas vraiment pris de temps pour se poser ou réfléchir à ce qui nous était arrivé. Les jeunes dans notre sillon viennent pour la bonne ambiance et pour participer à une dynamique. Quand on s’est retrouvés, c’était pour être dans le positif, la construction de projet, c’est un contrat tacite entre nous.
Ceci dit, je suis interpellé par la difficulté de nos jeunes entre 18-20 ans à rentrer dans le monde du travail. Leurs perspectives d’emploi sont hyper précaires. Ils sont pris dans des choix où, pour avoir un boulot, il leur faut un véhicule, mais ils ne peuvent se le payer avec ce qu’ils gagnent. Ils travaillent au noir, font des horaires coupés, ce qui a de grosses conséquences sur leur possibilité à prendre leur envol. »

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