Droits et congés

L'organisation familiale a été totalement changée avec le confinement, au point que des familles ont remis certains modes de fonctionnement en question. Mais la conciliation entre famille et boulot reste une difficulté pour un tiers des parents au moins.
« Le rêve, ce serait de réduire mon temps de travail pour être plus souvent à la maison avec mes enfants. J’y réfléchissais déjà avant le confinement ». Cette phrase, vous l'avez peut-être déjà lue. C'est Pierre-Yves, papa de trois garçons de 1, 4 et 6 ans qui l'a prononcée. Elle a été publiée dans le Ligueur du 29 avril, en plein confinement. Comme beaucoup de parents, il voudrait consacrer plus de temps à sa famille. Il y a goûté au printemps, car ses activités d'architecte tournaient au ralenti.
Sept mois plus tard, nous avons rappelé ce papa. « On a repris le travail comme avant. Il faut aujourd’hui compenser les pertes. J’estime qu’à la fin de cette année, mon chiffre d’affaire aura baissé de 20 à 30% par rapport à l’année précédente. On essaye donc de limiter la casse ».
► L'argent
Rattrapé par les considérations financières, ce papa du Namurois n'est pas le seul à avoir mis de côté, même temporairement, les bonnes résolutions du confinement. Sandra avait même lancé une pétition. Souvenez-vous, nous parlions de ce « coronareset » dans notre numéro du 15 avril. Une lettre écrite par cette maman de deux enfants de 3 et 9 ans et signée par 17 000 personnes.
« Notre société valorise un équilibre entre vie professionnelle et vie familiale dans les discours, écrivait-elle à l'époque. Mais c'est très difficile à mettre en place dans la pratique. Parce que les journées de travail ne coïncident pas avec les horaires scolaires. Parce que, contrairement à ce qui est fait pendant le confinement, ce n'est pas toujours autorisé de faire du télétravail. »
Sept mois plus tard, que reste-t-il de ce coronareset ? « Des attentes. Il y a une volonté de continuer, de mettre en place un cahier des charges de revendications. Mais si penser collectivement, ça va, dès qu'il s'agit de passer à l'action, c'est plus faible, car tout le monde a repris son rythme. On l'a remarqué dès le mois de mai. »
Et Sandra ne jette la pierre à personne. La Brabançonne ne concilie pas mieux qu'avant son boulot et sa vie de famille. « Ça reste une pierre d'achoppement », nous dit-elle. Et le télétravail ? « Dans mon entreprise, ce n'est pas encore accepté ».
L'organisation familiale a été totalement changée avec le confinement, au point que des familles ont remis certains modes de fonctionnement en question. Mais la conciliation entre famille et boulot reste une difficulté pour un tiers des parents au moins.
L'organisation familiale a été totalement changée avec le confinement, au point que des familles ont remis certains modes de fonctionnement en question. Mais la conciliation entre famille et boulot reste une difficulté pour un tiers des parents au moins.
► Le télétravail
Sandra fait partie des exceptions, car s'il y a bien quelque chose que le Covid a changé dans la conciliation vie professionnelle-vie privée, c'est le télétravail. Selon une étude publiée en septembre par l'Institut de sécurité routière Vias et menée auprès de 1 500 Belges, près de la moitié des personnes actives travaille au moins une fois par semaine de son domicile. Parmi les télétravailleurs et télétravailleuses, un·e sur dix indique qu'il/elle le fait pour un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée et 42% pour gagner du temps, perdu dans les trajets.
Le Covid a donc donné un coup d'accélérateur à cette pratique qui existait déjà avant la crise sanitaire. Des politiques d'encadrement sont d'ailleurs prévues par le nouveau gouvernement fédéral qui estime que « le travail à domicile et le télétravail jouent un rôle important » dans la conciliation vie privée, vie professionnelle. « Il s'agira d'établir un cadre interprofessionnel permettant plus de flexibilité », dit l'accord de gouvernement.
Ce cadre, il est très important aux yeux de la Ligue des familles. « Avec le confinement, le télétravail a pris différentes facettes, avec le pire comme le meilleur, explique Lola Galer, chargée d'études au service Études et action politique. Travailler depuis chez soi avec ses enfants, surtout en bas âge, ce n'est pas du télétravail. Il faut les conditions, il faut respecter des règlements ».
► Le temps
Mais la pierre angulaire d'une meilleure conciliation aux yeux de la chargée d'études, ce sont les congés. Certains ont été mis en place avec le Covid, comme le congé coronavirus pendant le confinement ou le congé quarantaine aujourd'hui. Des congés limités dans le temps qui ne permettront pas de changer la donne dans un futur lointain.
Il y a aussi des avancées qui auront un impact à long terme : la fin du congé de maternité raboté, voté dans le package de mesures Covid au printemps, et les engagements pris par le nouveau gouvernement fédéral. « Nous faisons passer progressivement le congé de naissance à vingt jours, pour encore favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes », déclare le Premier ministre, Alexander De Croo, le 2 octobre. « Nous allégeons la fiscalité des ménages pour qu’elle soit davantage en phase avec la conciliation famille-travail », dit-il également. On parle aussi de revaloriser les congés parentaux dans une grande réforme des congés, histoire d'y voir plus clair.
Des signaux qui donnent l'espoir d'un avenir où il ne faudra plus sacrifier sa vie de famille pour son travail... mais pas encore des garanties aux yeux de la Ligue des familles. « C'est vrai qu'il y a trop de types de congés et que les parents ont du mal à s'y retrouver, explique Lola Galer. Avec des congés rémunérés, d'autres pas, c'est compliqué. Il est donc intéressant de rendre les congés plus lisibles. Mais que met-on dans ce panier de congés ? Si c'est pour rogner sur les congés de maternité, de naissance ou parental, alors, non. Si c'est pour compter des congés non-rémunérés, c'est non aussi ».
► Le moral
Encore faut-il pouvoir se permettre de télétravailler ou de prendre des congés. Certains métiers ne le permettent pas alors que les parents travailleurs en auraient bien besoin. Souvenez-vous de ces mamans infirmières en unité Covid du CHU Godinne interviewées dans le Ligueur du 29 avril.
Emmanuelle, maman de trois filles de 6, 10 et 12 ans, racontait combien sa barque s'était chargée tant au travail qu'à la maison et qu'il devenait difficile de garder l'organisation habituelle, où maman se charge des tâches domestiques en plus de son travail. Cette boule d'énergie commençait déjà à se fissurer en avril. Aujourd'hui, elle se demande comment elle va tenir le coup face à une nouvelle vague d'hospitalisations.
« Revivre ce que j'ai vécu en mars-avril, je ne sais pas si j'en serais capable parce que je sens que, tout doucement, je n'ai plus de réserves mentales ni physiques. On n'a presque pas eu de congés. On est fatigués. On a eu une période au boulot très, très, très lourde, et encore aujourd'hui. Les gens pensent que, comme il y avait moins de Covid, on s'est reposés. Mais non. Ça a été l'enfer au boulot et c'est toujours l'enfer. Et là, on se dit que le Covid va recommencer. »
Mais l'infirmière ne veut pas lâcher. « Le problème, c'est qu'on ne peut pas flancher en tant qu'infirmière. Pas maintenant. J'ai l'impression qu'on attend beaucoup de nous. Tout comme chez moi, on attend beaucoup de moi en tant que maman, en tant qu'épouse ». Elle nous dit qu'elle doit faire le deuil de sa vie d'avant. « Mais, moi, je l'aimais bien ma vie d'avant. Aujourd'hui, c'est métro, boulot, dodo. Si c'est pour aller vers un monde meilleur, pourquoi pas. Mais là, je ne suis juste pas réceptive pour accueillir ce changement ».
Revaloriser le métier d'infirmière avec de meilleurs salaires, des horaires plus adaptés et venir gonfler les rangs de cette profession, là encore, c'est un engagement de notre nouveau gouvernement. Reste à voir comment et surtout quand toutes ces mesures seront appliquées.