Loisirs et culture

Cultivons l’empathie

Avec L’empathie qui paraît dans la collection « Que sais-je ? » (Presses Universitaires de France), le psychiatre et psychanalyste français Serge Tisseron fait œuvre d’utilité publique. Tout en rigueur, le petit ouvrage explique ce mot employé à tout-va et dissipe les malentendus qui l’entourent. Entrevue.

Communément, témoigner de l’empathie pour quelqu’un, c’est ressentir les choses en se mettant à sa place. Est-ce si simple ? En fait, le mot est riche, complexe.
Ce n’est d’ailleurs pas le premier livre que Serge Tisseron consacre au concept. En 2010, il publiait L’empathie au cœur du jeu social (Albin Michel). À cette occasion, il disait dans le Ligueur : « L’empathie est le fait de s’acclimater au paysage intérieur de l’autre, c’est-à-dire d’entrer en résonance avec ce qu’il éprouve, et d’accepter d’en être transformé. C’est pour cela que mon empathie pour quelqu’un va bénéficier non seulement à lui, mais aussi à moi-même. Cela va me permettre de voir les choses autrement et, même si je ne renonce pas complètement à mon point de vue, je le modifie ».
Une définition toujours d’actualité, vu les dernières découvertes à son sujet ? Serge Tisseron précise : « Il s’agit à la fois de percevoir les émotions d’autrui et de se construire une représentation de ses pensées ».
Il insiste aussi sur la connaissance de soi. « Si on cerne mieux les émotions d’autrui, on identifie mieux ses propres émotions. Et puis, l’empathie permet de mieux accepter qu’on puisse être partagé. Par exemple, sur le conflit israélo-palestinien, beaucoup de gens ont un avis péremptoire, comme s’ils étaient à 100 % d’un côté ou de l’autre. Or, dans les situations complexes, cela vaut la peine de reconnaître qu’on peut être à 90 ou 80 % d’un côté et à 10 ou 20 % de l’autre. Si on reconnaît qu’à l’intérieur de soi, on a plusieurs points de vue, le dialogue s’ouvre plus facilement avec les personnes avec lesquelles on est en désaccord. Car si on est à 100 % d’un côté, on va acculer l’autre à être à 100 % de l’autre : c’est le match de boxe assuré ».

Quatre dimensions

« L’empathie est une compétence innée. Pour qu’elle devienne une performance, il lui faut un environnement favorable », assure Serge Tisseron. Elle comprend quatre composantes, qui apparaissent dans l’enfance et qui valent d’être soutenues par les parents pour s’installer durablement.
La première, l’empathie émotionnelle, est la capacité d’identifier les émotions d’autrui – « Je vois que tu es content·e, triste, en colère ». La majorité des chercheurs et chercheuses situe ses débuts vers 7-8 mois. Pour aider le bébé à la développer dans les meilleures conditions, « il est important que le parent n’utilise pas son smartphone quand il interagit avec lui. On appelle ‘technoférence’, l’interférence d’une technologie dans une relation. Si un parent emploie son smartphone en présence de son bébé, forcément, ses phrases sont plus courtes, ses mimiques et intonations, plus pauvres. Du coup, l’enfant arrive moins bien à identifier les émotions de son parent, car les émotions, ce sont d’abord des mimiques, des intonations… ».

« L’empathie est une compétence innée. Pour qu’elle devienne une performance, il lui faut un environnement favorable »

La deuxième composante est le souci de l’autre, de son bien-être. Celui-ci apparaît vers 2 ans. « Au parent de valoriser son enfant quand il a ce genre d’attention ».
L’empathie cognitive, la troisième composante, s’installe vers 3 ans et demi-4 ans. L’enfant commence à percevoir que les autres ont une vie psychique différente de la sienne, en lien avec leurs expériences du monde. « L’empathie cognitive est encouragée chez l’enfant quand on attire son attention sur les différences entre les gens : ‘Toi, tu penses comme ça ; ta sœur, ton frère, eux, pensent autrement’ ». Pour le psychiatre, là est tout l’intérêt de l’éducation artistique et culturelle qui « montre qu’il n’y a pas deux peintres pareils, deux musiciens pareils ».
Enfin, quatrième composante, le contrôle des émotions, processus permettant de ne pas se laisser déborder par elles. Celui-ci commence à s’installer vers 8-9 ans. « On le favorise chez l’enfant en maîtrisant ses propres impulsions, en donnant le bon exemple. Si face à une colère de l’enfant, on se met à lui crier dessus, ce n’est pas un bon signe pour lui ».
À noter : Serge Tisseron a créé le Jeu des trois figures, une activité permettant aux enseignant·es de développer les compétences empathiques de leurs élèves. Il est largement pratiqué en France, de la maternelle au lycée.

Plus d'infos sur le « Jeu des trois figures »

L’empathie, ce n’est pas l’altruisme

Autre message de l’auteur : l’empathie est une condition de l’altruisme, mais ce n’est pas l’altruisme. Explication. « L’empathie est une façon de comprendre l’autre. Et on peut très bien le comprendre pour le manipuler ou pour avoir une attitude d’ouverture à son égard. Autrement dit, ce n’est pas parce que je comprends les besoins d’autrui que je vais nécessairement y répondre. Peut-être même que je vais faire exprès de ne pas y répondre ».
À côté de cet « obstacle psychique », il y a un « obstacle social » qui peut freiner les comportements altruistes, poursuit-il. « Ce n’est pas parce que je comprends les besoins d’autrui que je vais lui venir en aide… d’autant plus si personne ne lui vient en aide. Les études à ce propos sont effarantes. Vous êtes seul·e et vous voyez quelqu’un tomber, vous vous précipitez pour l’aider. Vous êtes dans un métro bondé, quelqu’un tombe, personne ne réagit : vous vous dites qu’il doit bien y avoir une raison à cela, et vous ne faites rien. L’individu pris dans un groupe est extrêmement sensible au comportement des autres membres du groupe ».
Et Serge Tisseron de conclure : « Il faut avoir le courage d’utiliser son empathie de manière altruiste. C’est ce courage qui, souvent, manque chez beaucoup de gens. Parce que c’est se désolidariser de son groupe, et ça, c’est difficile ». Et là, l’éducation joue pleinement : « Le fait d’apprendre à dire non, de se sentir fier de sa parole, fier de ce qu’on pense… C’est cette fierté qui va permettre d’oser s’opposer à son groupe ».

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