Société

Dans les villages, le vivre ensemble doit évoluer sans cesse, entre traditions stimulées et nouveautés inspirantes. Faire la fête. Se rencontrer. Parler. Rire. Le but de tout cela ? Renforcer l’esprit solidaire. Les familles, entre énergies naturelles et besoins à faire valoir, ont un rôle à jouer.
On se retrouve devant les tasses de cafés disposées sur la table de brasserie déployée dans le hall des foires à Libramont. Céline et les deux Catherine ont abandonné le thème de la mobilité pour aborder celui des liens sociaux si importants en milieu rural. On l’a vu pour les déplacements, pouvoir profiter d’une communauté est un élément central pour l’épanouissement des familles. Mais comment préserver, créer des liens, lorsque les villages sont confrontés à la disparition des commerces, des cafés, voire des écoles ?
Dans le village d’une de nos trois volontaires de la Ligue des familles, l’école communale a fermé en 2018. Paradoxe, alors que l’établissement ferme, le village n’en finit pas de voir gonfler le nombre de ses habitant·es. Dès lors, comment faire pour que les familles se rencontrent lorsqu’un point de convergence naturel disparaît ?
« Dans mon village à Séviscourt, explique Catherine, les bâtiments scolaires ont cédé la place à un tiers-lieu culturel. Cela remet déjà un peu de vie. Puis, on a instauré un apéro des voisins. Les petites fêtes, c’est une façon de recréer des liens. »
Les jeunes s’impliquent
La vie associative se construit sur les initiatives des un·es et des autres. Certaines s’inscrivent dans la durée, d’autres vivotent, quelques-unes disparaissent. « Le club des 3X20 s’est arrêté dans le village. Là, c’est le club des jeunes qui essaie de se relancer avec une dizaine de bonnes volontés. C’est intéressant, parce que les enfants qui doivent aujourd’hui aller à l’école en ville, ils perdent souvent l’idée de faire quelque chose dans leur village ».
Pour illustrer l’engagement des jeunes, on lira le témoignage d’Éléanore qui remet cela en perspective. Elle qui, en fin de discussion, nous a même partagé tout son enthousiasme politique à investir la ruralité. « Il y a la possibilité de mener plein de choses à la campagne, déjà pour tout ce qui est lié à l’environnement. Ça manifeste pour les causes environnementales dans les villes, mais on peut vraiment se battre pour le climat aussi à la campagne. Il y a plein de trucs à faire ».
L’importance de l’implication sociale des jeunes revient souvent auprès de nos interlocuteurs et interlocutrices. La jeunesse entretient le folklore tout en créant de nouveaux rendez-vous. C’est le cas chez Céline : « Chez nous, à Ebly, les jeunes sont passés dans les maisons pour Halloween. C’est nouveau. Ceux qui acceptent la visite mettent une petite bougie sur le rebord de la fenêtre. C’est sympa ». Grands feux, kermesses réinventées et barbecues de quartier viennent ainsi compenser la perte des commerces et d’autres lieux de rencontre.
Lutter contre l’individualisme
La socialisation au cœur des villages est un gros point d’attention des familles des campagnes. La directrice stratégie de la Fondation rurale de Wallonie, Anne-Marie De Moor, l’observe. « La ruralité, c’est aussi une vie de village à l’ambiance conviviale et solidaire. Les habitants considèrent qu’il s’agit là aussi d’une spécificité rurale à préserver, voire à retrouver ou à renforcer ». Sont plébiscités le maintien de salles communales, le soutien aux comités, le développement de l’offre culturelle et sportive. Pas étonnant, dès lors, de voir les programmes communaux de développement rural multiplier les initiatives qui vont dans ce sens.
L’objectif de cette socialisation ne se limite évidemment pas au simple entretien d’un esprit festif. Derrière, il y a aussi une dimension solidaire essentielle. « Les évolutions sociétales entraînent des comportements de plus en plus individualistes, analyse Anne-Marie De Moor. Le développement de ‘villages dortoirs’ nuit à la dynamique associative et à la solidarité ».
Et pourtant, dans les villages, comme partout ailleurs, cette entraide est bien nécessaire. « De nombreuses situations de précarité sont rencontrées, notamment chez un nombre de plus en plus grand de familles monoparentales ».
On touche ici un aspect délicat de ce dossier. Lorsqu’une famille est en difficulté dans un village, l’appel à l’aide n’est pas aisé. Car si on sent un besoin de renforcer la connaissance de l’autre grâce à une convivialité renforcée, un village est souvent petit, les infos circulent vite et peuvent être destructrices. L’anonymat des grandes villes n’est pas là pour préserver une certaine pudeur, une certaine intimité.
Ne pas vivre caché
Lors des Rencontres d’été de la Ligue des familles en septembre dernier, la question est abordée dans le cadre d’un atelier. « Prenons le CPAS, détaille notre intervenante. Ce n’est pas toujours facile d’effectuer les démarches en milieu rural. Il y a notamment la peur de tomber sur quelqu’un qu’on connaît ». Bien sûr, en ville, c’est aussi possible, mais la probabilité est moins forte. Cet élément vient encore d’être mis en avant dans une étude universitaire sur le sans-abrisme dans les petites communes sortie en décembre dernier, mettant en garde contre une situation, en ruralité, qui favorise exclusion sociale et stigmatisation.
Interrogée sur ce point, Anne-Marie De Moor de la FRW souligne aussi cette réalité. « Ce point est rarement abordé dans les consultations ‘tout public’. En revanche, lorsque nous consultons des travailleurs sociaux, il l’est. Les personnes ont en effet peur d’être vues lorsqu’elles entrent au CPAS ».
Invité lors de journées d’étude à l’ACRF, le bourgmestre d’une commune semi-rurale débarque avec une idée toute simple pour résoudre le problème. Il a fait déménager les locaux du CPAS dans ceux de la commune. « Comme ça, indique Aurore Kesch, directrice générale de l’ACRF, on ne sait pas si les gens vont au service population ou vont demander des sous pour le chauffage. J’ai trouvé cette idée toute simple et géniale ».
En tant que militante féministe, elle en vient à aborder le sujet des violences intraconjugales. « Là aussi, pour moi, c’est encore plus complexe d’en parler en ruralité qu’à la ville. Les auteurs se montrent souvent affables avec leur voisinage, mettent en avant leur côté sympa. C’est d’autant plus difficile d’oser dire pour la victime ce qui se vit quand la porte est fermée ».
Être à l’écoute
Multiplier les lieux de rencontre, renforcer la convivialité, cela permet aux familles de trouver du soutien, de l’écoute de façon naturelle. Cela rompt l’isolement, favorise le partage d’expérience, renforce les effets de communauté solidaire. « Tout le monde a le droit de demander de l'aide, lâche Catherine à Libramont. Pour faciliter la demande, peut-être qu’il faut évoquer davantage des situations difficiles, être plus à l’écoute. Dans certains cas, sans doute faut-il montrer à ces personnes qu’elles ne sont pas les seules dans le cas. Qu’il existe des solutions, des soutiens ».
« C’est clair, il faut travailler sur les mentalités, renchérit Céline. Je suis sûre, par exemple, que certaines personnes n’osent pas venir aux bourses qu’on organise parce qu’elles ont peur d’être stigmatisées en achetant du seconde main alors qu’elles en ont besoin. À côté de cela, d’autres familles qui sont plus aisées viennent ici en mettant en avant leur démarche environnementale. C’est paradoxal. »
Les enjeux de cette convivialité à retrouver ou à renforcer en milieu rural sont énormes. Les communes, généralement, en sont conscientes, développant des politiques de cohésion sociale parfois alimentées par des projets de parents convaincus, de jeunes motivé·es, de grands-parents toujours au taquet. Les différentes initiatives évoquées dans ce dossier le prouvent largement. Et c’est beau de le constater.
ZOOM
Ce qui renforce la cohésion sociale des villages dans les programmes communaux de développement rural
Les actions
- Mobiliser les 12-25 ans dans la dynamique locale.
- Développer des espaces de rencontres et de partages intergénérationnels.
- Développer une communication qui favorise la participation citoyenne.
- Inciter les habitant·es à vivre leurs loisirs et vie associative sur le territoire communal.
- Accompagner la vie locale et associative au développement d’activités dans l’esprit « La commune pour tous, tous pour la commune ».
Les initiatives
- Rénovation d’un bâtiment communal en maison de village.
- Création de tiers-lieux.
- Mise à disposition d’un terrain pour des potagers ou vergers partagés.
- Création d’une plate-forme « jeunes ».
- Organisation d’activités intervillages.
- Mise en place de rencontres entre nouveaux/nouvelles arrivant·es et ancien·nes habitant·es.
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