Crèche et école

Ce matin, première rentrée pour beaucoup de petits en classe d'accueil. Vous naviguiez en eaux limpides à la crèche. Une puéricultrice pour vous raconter la journée de votre tout petit. Des soins, de l’attention. Et d’un coup, vous voilà largués dans une toute autre réalité : la maternelle. Ça bouge, ça déborde, vous ramez pour vous y retrouver. Rassurez-vous, vous allez adorer y jeter l’ancre.
« Alors, Junior a bien mangé toute sa purée et ses carottes, il a fait une grosse sieste de deux heures et quart, il a joué avec Lucas, s’est un peu disputé avec Zaineb, mais ça va mieux. Tenez, voilà les travaux que nous avons faits ensemble cet après-midi. Quel amour, je l’adore ». Ça, c’était le rapport journalier. Mais ça, c’était avant… Comme le veut la grande règle immuable : il faut avancer. Vous faites peut-être partie de ces parents qui ont opéré ce matin même un changement radical : le voyage crèche-maternelle. Pas de billet retour.
Colette, 2 ans et demi, est entrée à l’école en septembre dernier. Éric, son père, nous raconte cette transition. « Premier jour, nickel. Notre fille est trop fière. Nouveau cartable, nouveaux copains. Puis, après quelques jours, on sent que l’ambiance s’est un peu refroidie. Colette pleure tous les matins. On la retrouve crevée à la fin de la journée. J’ai beau essayer d’avoir des infos sur ses siestes, les gardiennes ne lâchent rien. On était prévenu que la transition allait être déstabilisante, mais c’est quoi, ça, un jeu pour nous faire craquer ? ». Poussons les portes de l’école, pour voir ce qu’il s’y passe.
Ils le font exprès !
Ces remarques reviennent souvent chez les parents novices. Passer d’un univers confiné et rassurant à une structure plus grande, peuplée d’enfants qui paraissent gigantesques, ça bouscule. Ophélie se rappelle la rentrée de son fils Élias, en début d’année scolaire : « Nous sommes arrivés à plusieurs parents en panique. On était perdus dans les couloirs, on ne comprenait rien aux histoires de bacs, de porte-manteaux, de cartables. Certains avaient des repas à réchauffer pour le midi, la maîtresse a refusé. D’autres ont expliqué que les enfants n’étaient pas propres et qu’il y avait des risques d’accidents, les gardiennes s’en fichaient ».
Nombreux sont ceux qui ont le sentiment d’une mise à distance des membres du personnel de l’école à leur égard. S’agirait-il d’une stratégie pour que les parents les laissent un peu tranquille ? Fadela, institutrice depuis plus de dix ans, s’en amuse. « C’est une remarque qu’on entend souvent. Quelques parents, en cours d’année, nous confient qu’ils nous ont trouvé ignobles au tout début. En réalité, je pense que le passage de la crèche à la maternelle est tout aussi délicat pour eux que pour leur petit. Là, ça ressemble vraiment à l’école. Il y a des classes, des sonneries, des couloirs, des tableaux, etc. Il leur faut un temps d’adaptation pour réaliser que leurs petits poissons sont dans un aquarium plus vaste, qui va les faire grandir ».
Est-ce que ce ne serait pas ça, le problème ? Ce pas de géant vers l’indépendance du petit ? Céline, jeune institutrice, atteste. « On comprend clairement que ce qui heurte avant tout les parents, c’est l’impression que leurs petits bébés ne s’en sortiront pas dans une structure moins balisée. La maternelle, c’est vraiment le passage entre le bébé et l’enfant. Et notre rôle d’enseignant, c’est d’aider les parents à prendre de la distance. Ce qui prime en maternelle, c’est l’intérêt de l’enfant. Donc, on ne peut pas raconter en détail la journée d’untel parce que ça se fait au détriment de tout le reste de la classe. Et ça, c’est impossible à comprendre pour certains ».
Puis soudain…
Souvent, lorsque l'on aborde l'école dans les colonnes du Ligueur, vous êtes une très large majorité à plébisciter la maternelle. Vous semblez apprécier qu’elle n’oppose pas l’école aux parents. Alors, pourquoi des débuts si malaisés ?
Nous retrouvons Éric : « Je ne suis pas idiot, je me doute bien que les maîtresses et les gardiennes s’occupent d’un groupe important et ne peuvent pas se consacrer à un seul élève. Mais, quand on en voit certaines assises sur un banc, en train de discuter, pendant que les petits gambadent à côté, presque sans surveillance, c’est effrayant. L’école de ma fille donne sur la rue, elle a juste à se faufiler pour se retrouver dehors ».
Les gardiennes, tiens, allons à leur rencontre. Lila et ses collègues, au milieu d’un préau, sont justement assises sur un banc. Sont-elles trop distantes, trop laxistes ? Elles en rigolent. « Si vous saviez comme on se fait enguirlander par les parents quand les enfants font leur entrée à l’école. Beaucoup les papas, d’ailleurs. Ils nous trouvent incompétentes, fainéantes. Et puis après, ils nous voient complices avec leurs gamins et tout devient plus facile ». N’oublions pas que l’on parle d’enfants qui ont l’habitude de la collectivité et sont donc armés pour passer la journée sans papa-maman. Comment faire pour améliorer encore la transition ? Fadela a sa petite idée.
« Il y a un truc à jouer du côté des crèches. Elles doivent préparer autant les enfants que les parents. Expliquer que l’école a son propre fonctionnement, généralement rodé, souvent efficace, et qu’il ne faut pas se vexer si on ne sent pas au centre du projet. L’enfant y fait un pas de plus. Une piste pour préparer consiste à expliquer les différents métiers. Le rôle d’une directrice, la différence entre une gardienne et une institutrice, comment s’impliquer à l’école. Les parents artistes, sportifs, cuisiniers, bricoleurs, jardiniers ou autres peuvent participer aux activités de la classe. On peut prêter un livre, venir raconter des histoires. Les établissements sont très ouverts. »
Chassez les parents par la porte pour mieux les faire revenir par la fenêtre, en somme. Céline, la jeune institutrice, se livre à une autocritique. « Je pense que ce qui est terrible pour les parents et les enfants, c’est l’inconnu. Ils quittent un lieu qu’ils connaissaient dans les moindres recoins pour un nouveau où ils ont à peine mis les pieds : une fois pour les portes ouvertes et pour l’inscription, grand max. Un système de réunions préparatoires avant chaque rentrée, ce serait génial. Dans mon école, on organise des rendez-vous pour expliquer le projet pédagogique. On y expose ce qu’il faut prévoir : l’achat d’un sac, d’une boîte à tartine ou à goûter, d’une gourde, de petites baskets à scratch, etc. On invite parents et enfants aux fancy-fair, aussi. Il faut les imprégner le plus possible ».
On retrouve Ophélie, qui en est donc à sept mois de scolarité avec Élias. Le bilan ? « Je suis ravie, mais le plus important, c’est que mon fils y est comme un poisson dans l’eau. Il adore l’école. Il surkiffe sa maîtresse et les gardiennes. Au début, il y a eu une phase d’adaptation de presque un mois, pour eux et surtout pour nous. Il faut faire fi du fonctionnement de la crèche, si bien soit-elle, discuter avec les membres du personnel de l’école, s’échanger des infos avec les autres parents, dont les délégués. D’ailleurs, l’an prochain, je veux faire partie de l’asso’ de l’école. C’est génial comme fonctionnement. Pour qu’une école roule, il faut des parents impliqués. C’est sain ».
Nous soumettons les conseils d’Ophélie à Éric, alors en plein désarroi. Il semble attentif. « Oui, je sais qu’il faut réussir à calmer ses appréhensions. Peut-être qu’il faut le prendre comme un tremplin pour l’autonomie de ma fille. En gros, il faut laisser venir ». Tiens, en voilà une bonne idée.
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