Développement de l'enfant

De la mère à la fille, histoire de femmes

Mères et filles entretiennent des relations basées sur le mimétisme. Au point, souvent, de se sentir dépossédées d’une part d’elles-mêmes. Comment laisser davantage de place à sa fille pour qu’elle puisse devenir pleinement femme ? Rencontre avec Marie-Magdeleine Lessana auteur d’Entre mères et filles : un ravage (Fayard).

Les relations mères-filles sont-elles plus délicates que celles entre une mère et son fils ou un père et sa fille ?
Marie-Magdeleine Lessana : « La spécificité des rapports entre une mère et sa fille tient à la question du féminin. On ne naît pas femme. On le devient à travers l’éducation, l’amour, la proximité, la comparaison avec notre environnement. Et la première des femmes, la plus proche, c’est la mère, qui sert à la fois d’exemple, de promesse et d’empêchement. Tandis que la comparaison entre père et fils porte beaucoup sur les mensurations, ce qui se joue ici relève davantage de l’image, de la beauté, de l’esthétique, déclinée avec les vêtements, le maquillage… D’une certaine manière, mère et fille sont semblables. Le mimétisme est incommensurable, sans limites et peut donc être le lieu de tous les tourments. L’une peut facilement avoir le sentiment d’être dépossédée par l’autre, parce qu’elle prend tout la place, parce qu’elle est belle ou vieille. L’enjeu peut être résumé en un mot, 'ravir', qui exprime de l’admiration, de la fascination, mais aussi une forme de dépossession de soi. »

Dans votre livre, vous employer aussi le mot « ravage ». Pour quelles raisons ?
M.-M. L. : « La relation peut aussi être placée sous le signe du ravage, si la fille ne parvient pas à se dégager de l’image de sa mère, et vice-versa. La seule présence du corps de l’autre peut nous donner l’impression qu’on nous a pris quelque chose, même si, objectivement, il n’en est rien. C’est ce que l’on appelle de l’envie, un sentiment qui, en guise de défense, appelle des reproches. »

Le corps de la mère : fascinant, effrayant

Que représente le corps de la mère aux yeux d’une ado?
M.-M. L. : « Ce corps féminin est plein d'énigmes. Pour l’ado, il représente à la fois l'origine et l’avenir. Il est aussi celui de la femme de son père. En d’autres termes, il pose différentes questions : d’où je viens ? Qu’est-ce que vieillir ? Qu’est-ce que faire l’amour ? Il est fascinant, attirant mais aussi effrayant, plein de 'trucs bizarres'. Il est plus exposé et s’exprime davantage que celui du père, parce que la mère peut de nouveau être enceinte, parce qu’elle a chaque mois ses règles, parce qu’elle s’habille de façon beaucoup plus riche, avec des bas, des collants, des soutiens-gorge, etc. Les enfants savent qu’il se passe des choses la nuit dans la chambre des parents. »

Faut-il qu’une mère et sa fille, pour améliorer leurs relations, se différencient ?
M.-M. L. : « Il y a en chacun de nous des désirs, des choses que nous ne comprenons pas, qui nous dépassent, qui sont plus fort que la pédagogie… Entre une mère et une fille, il y a aussi une forme de rivalité érotique envers le père mais également tous les autres hommes. Souhaiter qu’une fille se différencie de sa mère a souvent quelque chose d’un vœu pieu. »

Comment faire, en tant que mère, pour laisser de la place à sa fille et lui permettre de devenir pleinement femme ?
M.-M. L. : « Il faut représenter un point d'appui sans pourtant trop se mêler. Il faut éviter de se prendre pour sa propre fille, considérer qu'il y a une différence de générations, que chacune a sa vie à faire. Il faut ainsi laisser à sa fille de la place pour son avenir d'adulte, féminin, sans lui donner d’autorisations complices, ni d’interdictions abusives... Les rapports s’avèrent les plus complexes lorsque la fille est un enfant unique, adoré, quand la mère espère se renouveler ou se prolonger à travers elle. Le conseil que l’on peut donner à la mère, c’est de se désengager un peu, d’avoir d’autres centres d’intérêts, d’autres occupations que de s’employer à faire réussir sa fille. »

L’amie de sa fille

L’un des pièges consiste donc à vouloir vivre à travers sa fille …
M.-M. L. : « Tout à fait. Vouloir voir sa fille réussir là où l’on a soi-même échoué, vouloir rattraper à travers elle ce qu’on considère comme nos erreurs, c’est la gêner plutôt que l’aider, c’est la rendre prisonnière. »

Comment trouver le juste équilibre ? Car il ne peut s'agir pour une mère de « dégager » complètement...
M.-M. L. : « Bien évidement, il ne s'agit pas d'abandonner son enfant ! Par exemple, quand une mère demande à sa fille comment ça s'est passé à l'école et qu’elle lui répond qu'elle ne veut pas le lui dire, elle peut répondre : 'D'accord, si tu n’as pas envie d'en parler, tu en parleras plus tard'. La fille n'est pas du tout obligée de tout dire à sa mère. Mais s'il y a des choses qui semblent problématiques ou catastrophiques à la mère, elle peut dire : 'Tu ne veux pas le dire mais attention, s’il se passe quelque chose de grave, il faut le dire'. »

Peut-on être l’amie de sa fille ?
M.-M. L. : « Je ne pense pas que cela soit souhaitable. Une fille qui a sa mère comme amie n'a pas besoin de chercher d'autres amitiés… Bien évidemment, il ne s’agit pas d’être ennemies. Non, la mère doit aimer beaucoup sa fille, avoir envie de l’aider, la protéger. Mais mères et filles doivent avoir chacune leurs ami(e)s. Il ne faut pas confondre les rôles. »



Propos recueillis par J. P.

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