Loisirs et culture

Le roman graphique Impénétrable figure dans la sélection officielle du festival BD d’Angoulême. L’occasion de revenir avec son autrice, Alix Garin, sur la réalisation de cet album incontournable.
C’est un livre qui remue et questionne. Par sa thématique. Par son approche. Et qui par bien des aspects pourrait faire œuvre utile au sein des familles. Pour déconstruire. Susciter la discussion. Cet album relevait du défi pour Alix Garin. Son premier, Ne m’oublie pas, avait déjà séduit la critique. Le sujet était déjà sensible. Touchant à la santé. Un road-trip où une grand-mère, touchée par la maladie d’Alzheimer, est enlevée par sa petite-fille pour retrouver l'hypothétique maison d'enfance de sa mamie.
L’autrice fait mouche. Et doute. « J’étais un peu attendue au tournant. ‘Sera-t-elle l’autrice d’un seul livre ?’. Il fallait battre le fer tant qu’il était chaud. Proposer un deuxième album qu’on me réclamait déjà. Je me suis lancée dans un projet strictement fictionnel ». Ce livre-là ne verra pas le jour. « Tout est à la poubelle et je n’y reviendrai jamais ».
C’est qu’un vécu douloureux s’est imposé en promesse de sujet à traiter. Alix est atteinte de vaginisme, un trouble sexuel qui concerne des milliers de femmes. Il s’agit d’une contraction musculaire prolongée ou récurrente des muscles du plancher pelvien (ceux entourant le vagin). Cela entraîne des souffrances lors des pénétrations. Même le simple fait d’anticiper celles-ci peut être douloureux. Pour Alix, qui est amoureuse et en couple avec Lucas, cette situation est source de tourments, physiques, mais aussi psychologiques.
Au départ de cette situation très intime, Alix Garin réalise un roman graphique qui dépasse la simple expression personnelle. À travers son livre, elle pose des questions plus globales qui touchent aux normes, aux tabous, à la liberté. L’accueil public depuis la sortie de l’album à l’automne conforte ce constat. L’autrice reçoit de nombreux messages, tous les jours.
Briser la solitude, briser la honte
« Beaucoup de femmes, mais d’hommes aussi, de personnes qui sont concernées par ce genre de thématique, par des troubles de la sexualité et du désir. Des personnes qui se sentent perdues, très seules et qui ont trouvé dans Impénétrable un témoignage qui leur ressemblait, qui leur a permis de briser leur solitude, de briser leur honte. Les personnes qui m'écrivent me disent que ça les a bouleversées. Et ça, c'est évidemment tout le sens de la démarche. C’est le moteur initial. Quand je me suis promis qu'un jour je raconterais cette histoire, c'était parce que je sentais que je ne pouvais pas être la seule à vivre cela, qu'il y avait vraiment un abcès à crever. Voir que ça porte ses fruits, sentir que c'est bien reçu, c'est super. »
Ce livre est remarquable parce qu’il est dense, beau et courageux. Il a demandé beaucoup d’énergie à sa créatrice. Il y a la mise à nu, bien sûr, mais aussi l’investissement artistique. « J’ai eu très peur de ne pas y arriver, de ne pas atteindre mes ambitions ». Il y a l’engagement personnel consacré par la pure autobiographie. Sans pseudonyme. À visage découvert. Sans cacher les erreurs et les failles.
« Je ne pouvais pas apporter juste ce qui m'arrangeait, cela n’aurait pas fait honneur à la réalité et à l'histoire telle qu'elle s'est produite. Ces failles ont joué un rôle. En bien ou en mal, d’ailleurs. C'est pour ça, par exemple, que je voulais évoquer la drogue, parce que ça m'a permis de me réapproprier mon corps d'une façon tout à fait inattendue, inédite. Beaucoup plus rapide que si j'avais dû prendre d'autres voies. Ça aurait pu être autre chose, le sport par exemple. Cela aurait, peut-être, été aussi efficace, mais je ne l'ai pas fait. Puisque c'est vrai, ça mérite d'être dit. »
Alix Garin est cash, sans contrefaçon. Autrice complète, son discours est limpide et fluide, appuyé par un dessin qui n’a jamais pris autant de libertés. Jouant avec ce médium plein de possibilités qu’est la BD, entre réalité traduite en images et symbolisme créatif. La suite de l’œuvre de cette artiste âgée de 27 ans ? Elle passera encore sans doute par des situations vécues. En dépassant le particulier pour atteindre le général. « Mon intérêt n'est pas de raconter strictement ma vie. Cela peut faire une très bonne anecdote à raconter, à ses potes, au bar, mais ça ne suffit pas pour en faire un livre ».
EN SAVOIR +
Bio
Alix Garin est née en 1997 à Namur. Elle a suivi des études de BD à l'École supérieure des Arts Saint-Luc à Liège. Son premier album, Ne m’oublie pas, a reçu de nombreux prix (Rossel, France Culture des étudiants, BD Fnac Belgique, Babelio, etc.). Impénétrable, son deuxième ouvrage, figure dans la sélection officielle du Festival d’Angoulême (29 janvier au 2 février 2025).
► Impénétrables, Alix Garin (Lombard)
À LIRE
L’interview intégrale d’Alix Garin est à découvrir ici. Où l’on découvre un engagement en faveur des soins de santé en Belgique : « Les acquis, ça se défend ».
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