Vie pratique

Lors des Rencontres d’été de la Ligue des familles organisées le 7 septembre à Namur, Catherine De Brye est venue animer un atelier Papy, Mamy, raconte-moi d’où tu viens, notre histoire. Comment, dans une perspective intergénérationnelle, offrir des racines à sa descendance et lui faire le cadeau d’une histoire où s’écrira peut-être son avenir ?
Institutrice durant vingt ans, mère de trois enfants, Catherine De Brye s’est lancée dans la réalisation de récits de vie intergénérationnels le jour où elle a découvert six cahiers rédigés par son grand-père, décédé alors qu’elle avait 20 ans.
« Nous étions chez mes parents, avec mes frères, se souvient Catherine De Brye. On s’est retrouvé devant ces carnets qu’une tante avait scannés. Notre grand-père y racontait les cinq années passées à la guerre, en France, mais aussi dans le nord de l’Afrique. »
Lui habitait en Bretagne, Catherine en Belgique et l’avait finalement peu connu. Elle venait de faire une pause dans sa vie professionnelle. Elle se posait des questions sur elle-même et était à la recherche d’une activité qui la nourrirait. À la lecture de ces témoignages, elle découvre une histoire inattendue, incroyablement riche et trouve dommage que ses dix-huit cousins et cousines ne puissent pas bénéficier de cette mémoire.
Offrir une mémoire
Huitième petite-fille de ce grand-père paternel avec lequel elle n’avait pas de liens particuliers, elle réalise une synthèse des cahiers pour les dix-huit petits-enfants de cet aïeul. Comme elle aimait dessiner, elle décide de le faire sous la forme d’un livre où sont repris des photos, des extraits, des cartes et des dessins. On y voit son grand-père à la recherche de son frère, franchissant la ligne de démarcation ou vivant le débarquement en Algérie. Enrôlé dans une unité de communication radio, lui-même n’a jamais tué un seul Allemand. Plus tard, il rencontre le général de Gaulle, puis se marie. « Au fil des pages, j’ai créé un lien entre l’histoire de mon grand-père et la grande Histoire, en évoquant Pearl Harbor, la bombe atomique, etc. », détaille Catherine De Brye.
Pour rendre compte de cette histoire ancrée dans la généalogie familiale, Catherine De Brye a eu recours à la technique du sketchnoting. Faute d’un terme ad hoc, on pourrait traduire ce mot par l’expression « facilitation graphique » ou « prise de notes visuelles ».
Littéralement, le terme sketchnotes est une combinaison de deux termes anglais : les notes dans le sens prise de notes et sketch signifiant esquisser, dessiner, griffonner. Le sketchnoting est donc une méthode de prise de notes mêlant l’écrit et le dessin. Cette combinaison de textes et d'images rend les messages plus compréhensibles tout en étant détaillés.
« On peut trouver pas mal de formations en ligne ou en atelier. La méthode convient à certains enfants qui ont des problèmes de concentration et des troubles de l’attention. Si ces élèves avaient accès à cette technique en classe, on capterait plus facilement leur attention car elle favorise une écoute attentive continue. »
Le résultat peut être très simple ou plus élaboré, voire artistique. Pour le récit de son grand-père, Catherine De Brye a réalisé un carnet grand format. Elle en a également réalisé une version résumée, en sérigraphie, sur un carton A3 dépliable. Ce qu’elle a initié à partir des récits de son grand-père, l’artiste le partage désormais avec d’autres, que ce soit individuellement ou en groupe.

Les vies sont des romans
Comme lors des Rencontres d’été de la Ligue des familles, Catherine De Brye propose des ateliers où elle encourage les participantꞏes à raconter l’histoire de leurs aïeulꞏles, voire leur propre histoire. Après avoir expliqué la philosophie de sa démarche, elle a proposé aux personnes présentes de réaliser un mini-carnet de vie, sur base d’une feuille A4 repliable selon un système ingénieux. Il permet de réaliser un portrait de l’aïeul·le, de schématiser son parcours de vie, de reprendre ses phrases fétiches, ses petits bonheurs, un souvenir avec lui, avec elle...
On peut aussi situer les lieux de vie de la personne élue sur une carte de Belgique, d’Europe ou du monde. Et l’on découvre combien l’histoire d’une personne, à travers cette topographie, est riche de découvertes. Une fois déplié, le carnet reprend au verso un arbre généalogique avec le portraitisé ou la portraitisée, voire les autres membres de sa famille. Un voyage cette fois dans le temps, intergénérationnel, avec ses ramifications, nombreuses (ou pas).
Créer des liens
« J’ai pris conscience du rôle des personnes âgées, explique Catherine De Brye. Retrouver des traces ne m’intéressait pas quand j’avais 10, 15, 20 ans, cela est très différent aujourd’hui. Le fait que mon grand-père avait raconté sa vie m’a aidée à me resituer à un moment de ma vie. J’ai envie de dire aux grands-parents : ‘Prenez le temps d’offrir en cadeaux vos histoires personnelles’ et de dire aux jeunes de prendre le temps d’écouter leur histoire, car elle nous dit qui on est, d’où on vient. On reconnecte des liens au niveau générationnel. Dans les réunions de familles, ceux qui sont au centre, ce sont souvent les petits-enfants. En racontant son récit de vie, on remet la personne âgée au centre de la famille. C’est aussi rassembleur. J’ai envie de créer du lien tant que tout le monde est là. C’est pourquoi le récit de personnes âgées est au cœur de mon projet. »
Un bel héritage
Catherine De Brye multiplie les expériences : « J’ai animé un atelier en maison de repos sur les petits bonheurs du quotidien. Pour chaque participant, j’ai réalisé une planche A4 qui pouvait être affichée dans sa chambre. Cela permet de créer d’autres liens avec les membres du personnel ou les visiteurs. C’est une manière d’humaniser chaque résident ». Des expériences collectives, mais aussi individuelles, les premières conduisant parfois aux secondes.
« Des personnes me demandent de raconter leur vie, explique la sketchnoteuse. Comme cette dame née en 1958, atteinte d’un cancer du pancréas, que j’ai écoutée pendant cinq heures, qui m’a montré des photos et m’a commandé la réalisation d’un roman graphique. Elle est décédée il y a quelques jours, mais son mari et ses fils ont décidé de poursuivre le projet ». Une manière de reprendre l’histoire de leur proche à leur propre compte, de la partager. Une belle transmission. Un bel héritage.
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