Vie pratique

Illustrations : Jérôme et Harmony
Harmony, Jérôme, Louison et Ernest. Quatre prénoms, une famille. Et cela même si Louison est devenu une étoile un jour d’août 2019, jour de sa naissance. Son petit frère, Ernest, lui est né début de cette année. Ses parents témoignent de leur vécu, notamment sur scène. Pour faire œuvre utile.
Une fois le seuil franchi de la maison d’Harmony et de Jérôme, un joyeux babil se fait entendre. Le petit Ernest, couché sur le dos, se trémousse sur son tapis de jeu. Ses yeux gourmands captent les regards et l’attention. Il sourit tandis que ses petons et ses menottes participent à une petite chorégraphie improvisée. Autour de ses oreilles, deux petits appareils amplifient les sons.
« Ernest, il est sourd profond bilatéral. Comme je le dis assez crument (ma mère déteste quand je dis ça), il est sourd comme un pot. Mais cette image parle plus aux gens que les termes cliniques. Ernest n’entend quasi rien. En cabine audio, lors des tests à l’hôpital, quand tout vibre et que nous, on est avec des casques audio pour se protéger, Ernest a juste un sourcil qui se lève. »
Harmony lance un regard tendre et amusé vers son petit bonhomme qui essaye d’attraper le micro que je lui tends.
Ernest aura 1 an au mois de janvier. À un âge où le monde se limite souvent à la famille ou à la crèche, Ernest, lui, ajoute à ce périmètre l’univers médical. Chaque semaine, se cumulent deux séances de logopédie, une séance de psychomotricité, une séance de kiné. Tous les mois, il y a ces passages en cabine audio pour mesurer l’évolution. Et puis, de temps en temps, les rendez-vous chez le chirurgien pour voir si on envisage des implants ou pas. « La parentalité et ses surprises. Mais on est ravis qu’il soit là, on n’en voudrait pas un autre ».
Juste au-dessus du tapis de jeu d’Ernest, il y a un tableau lumineux où sept lettres forment le mot Louison. C’est le prénom du grand frère d’Ernest, né en août 2019. Celui-ci est à la fois fort présent et terriblement absent au sein de la petite famille. Louison a fait un passage éclair sur terre.
« Ce jour-là, sous ma douche, je lui avais parlé, je lui avais dit que lui et moi, on allait se rencontrer bientôt. C’est arrivé, oui, mais pas comme nous l’aurions voulu ». Inquiète de ne plus le sentir bouger comme d’habitude, Harmony se rend à l’hôpital avec Jérôme. L’enfant est là, mais son cœur ne bat plus.
Le soutien des sages-femmes
Si, aujourd’hui, Harmony et Jérôme partagent leur expérience, c’est qu’il et elle ont notamment été remué·es, choqué·es par leur prise en charge hospitalière. Au fil de l’échange, les exemples s’accumulent avec un lot de phrases déplacées, de mots blessants et culpabilisants. À un moment de la conversation, la maman de Louison et Ernest lâche cette phrase : « Il faut en finir avec ces violences obstétricales ». Le cas extrême vécu par le couple les met en relief, ces violences, qu’elles soient verbales ou physiques.
Ce jour d’août 2019, l’annonce est faite aux parents sans tact ni empathie. « À l’hôpital, raconte Jérôme, nous nous sommes retrouvés face à un corps médical qui n’a pas eu les mots qu’il fallait, bien au contraire. ‘Je n’ai pas une bonne nouvelle pour vous, hein, madame. Ben, oui, là, il est tout en boule. Son cœur ne bat plus’. Dans la forme c’était horrible, on présentait cela comme n’importe quel autre cas ».
Harmony insiste : « Dans le même registre, la gynéco qui a fait l’écho nous a demandé : ‘Pourquoi vous n’êtes pas venus avant ?’. C’était hyper-culpabilisant. On a traduit cela par : ‘Mais qu’est-ce que vous avez foutu ?’. Une sage-femme a reformulé la question : ‘Qu’est ce qui fait que vous êtes venus aujourd’hui et pas hier ou demain ?’. Heureusement qu’elle était là ».
Tout au long de leur récit, les parents de Louison et Ernest insistent sur un point : dans leur situation, le soutien des sages-femmes a été essentiel. Ils ont trouvé de leur côté de l’écoute et de l’empathie. Mais plusieurs fois, cette complicité a été mise à mal. Harmony évoque cette montée de lait qu’elle ne voulait pas avoir, qui ne servait à rien et qui rappelait cette fin de grossesse horrible. Compréhension du côté des sages-femmes, réticence entêtée du côté de la gynéco.
Des propos traumatisants
Par la suite, la gynéco dévoile toutes ses carences en psychologie et en empathie. Cinq jours se sont écoulés depuis l’annonce de la mort de Louison, cinq jours à attendre l’accouchement. À l’hôpital, Harmony doit prendre sur elle. « Le jour venu, la gynéco qui s’occupait de moi m’a demandé mon âge. Je lui ai répondu 37. Elle m’a lancé : ‘Ah, mais, madame, il ne va pas falloir traîner si vous voulez fonder une famille’. J’étais sidérée. À ce moment précis, le cordon ombilical n’était même pas encore coupé, je venais d’accoucher de mon bébé, un enfant mort. C’est vraiment traumatisant ».
Jérôme, avec le recul, n’en revient toujours pas. « Au début, tu ne sais pas comment réagir tellement tu es choqué par ce qu’on te dit. Et puis tu te demandes comment c’est possible d’avoir des réactions pareilles. Ces médecins ont quand même l’habitude de vivre des cas comme celui-là, même si ce ne sont pas les plus courants ».
Harmony raconte aussi ce moment où la gynéco la trouve très (trop ?) détendue. C’est que la future maman a un tic, lorsqu’elle est stressée, elle sourit. Ce qui peut tromper sur son état général. Sur base de ce sourire nerveux, la gynéco suppose une dilatation de l’utérus trop réduite et veut utiliser un ballon pour stimuler l’ouverture. Harmony s’y oppose, demande qu’on mesure. La gynéco se rend alors compte de son appréciation. L’ouverture est déjà à six-sept centimètres au lieu des deux estimés par la gynéco.
« Quand j’étais arrivée à la maternité, la sage-femme m’avait demandé ce dont j’avais besoin. Je lui avais répondu : la plus grande bienveillance. Elle a tout fait pour rencontrer mon souhait, mais du côté des médecins, ce n’était vraiment pas ça. »
Ce manque d’empathie vient s’ajouter au désarroi des parents. « Tout se télescopait. Juste avant que je n’accouche (on avait déjà installé la péridurale), j’avais la personne des pompes funèbres qui venait à l’hôpital et qui discutait de ce qu’on allait faire, enterrement ou crémation. C’était vraiment horrible ».
Un deuil si particulier
Après le passage à l’hôpital et la crémation de Louison que le couple raconte dans un fanzine édité à l’automne 2019 (voir encadré), Harmony contacte une maison de naissance pour le suivi psychologique. « On m’a conseillé une psychologue tournée vers la parentalité et le deuil périnatal. C’est important d’être suivis par une personne spécialisée. Tous les deuils sont compliqués, je peux l’imaginer. Mais ce deuil-là l’est encore plus. Le jour de sa naissance, c’est le jour de sa mort. C’est aussi un deuil que seuls, nous, parents, pouvions vivre concrètement puisque nous étions quasiment les seuls à avoir vu Louison. Dans la famille, il n’y a que ma mère qui l’a tenu dans ses bras. Nous sommes les seuls à avoir réalisé que c’était un vrai petit bébé. Pas quelque chose d’immatériel. C’est pour cela que je l’appelle Louison, simplement. Je n’aime pas le terme ‘ange’. Louison n’est pas un ange. Louison est un enfant, un bébé qui est parti trop tôt. Le grand frère d’Ernest. C’est important pour moi de le formaliser comme ça ».
Face à ce deuil, les parents se sentent donc un peu seuls. L’entourage ne trouve pas toujours les mots pour en parler. Parfois, des mots sortent, mais ils sont gauches et font mal, même s’ils partent de bonnes intentions.
« À la mort de notre bébé, explique Jérôme, certains, pour minimiser ou se protéger peut-être, déclaraient : ‘Ce n’est pas grave, vous en aurez un autre’. Cette phrase est maladroite, ça ne gomme pas ce qui s’est passé ». D’autant que Louison est là, il a fait sa place dans la famille. Ainsi, le faire-part de naissance d’Ernest a été « signé » Harmony, Jérôme et Louison. « Je ne veux pas en faire un tabou, ajoute Harmony. Quant à Ernest, ce n’est pas un bébé-médicament, c’est Ernest, petit frère de Louison, deuxième d’une fratrie ».
Sur les mots prononcés par les proches, Harmony évoque une phrase lancée par une de ses amies. « Tout ça vous rend plus forts ». Chez la maman de Louison et Ernest, ces mots génèrent une réflexion : « Il faut arrêter la méritocratie, c’est capitaliser sur le malheur des gens. Je ne supporte pas ça. Se persuader qu’on va retirer du positif des épreuves qu’on traverse ? Non. J’aimerais parfois juste ne pas être forte et avoir une vie simple ».
ALLER + LOIN
Expression artistique
Pour faire leur deuil, Harmony et Jérôme ont utilisé leur passion pour la musique, le dessin, l’écriture, les fanzines. Fin 2019, ils ont publié deux petits ouvrages où ils évoquent le passage de Louison en mots et en dessins. Le graffiti est aussi venu en support avec des éléments graphiques évoquant le grand frère d’Ernest.
Enfin, il y a Krötale, un groupe de musique inclassable qui se présente comme « punk, emo, crust, tristesse et colère ». Au départ, c’était un projet en duo de Jérôme et Harmony. « On voulait juste écrire des chansons pour faire sortir des trucs, c’était un peu thérapeutique pour moi », explique Jérôme.
Sur scène, un des morceaux de l’album n’est pas chanté. Harmony se contente de montrer des feuilles sur lesquelles sont inscrites des phrases maladroites lancées à l’adresse des parents endeuillés, mais aussi des phrases pour leur faire du bien. « Après les concerts, des personnes viennent nous voir. Certaines sont touchées, d’autres y trouvent un côté pédagogique. Et c’est vrai que l’idée de base n’était pas ‘Ne dites pas ça, vous êtes des idiots’. C’était surtout de donner des pistes de réaction lorsqu’on est confronté de près ou de loin à des parents endeuillés. Pour les aider, les accompagner. Ce qui est malheureux c’est que dans la société, le deuil, de manière générale, est tabou. Alors le deuil d’un enfant… Si j’avais pu éviter des phrases genre « Il faut prendre ça avec philosophie » ou encore « C’est la vie »… Faire réfléchir à ça, aux mots, est important. Aider les personnes à traverser ça, le plus sereinement possible, ce serait notre plus belle contribution.
EN SAVOIR +
Des ressources
Sur le deuil périnatal, Harmony conseille le compte Instagram « À nos étoiles », dont plusieurs éléments sont repris sur scène par son groupe de musique. « C’est tenu par une personne qui a toujours les mots justes pour évoquer le deuil périnatal. Il faut dire qu’elle en a vécu deux. Elle est sur Instagram pour aider les autres parents endeuillés, pour se faire du bien aussi. Chez moi, cela a fait écho directement ».
Conseillé aussi par Harmony, un livre : Dans ces moments-là d'Hélène Gérin (Bookelis). L’ouvrage regroupe 130 idées pour offrir du soutien aux parents endeuillés de leur bébé... ou pour aider ceux-ci à en recevoir de leurs proches.
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