Société

Manque de temps pour étudier, course contre la montre entre les amphis et la garderie, charge mentale décuplée, nécessité d’espaces de concentration… Bienvenue dans le monde de galère des mères célibataires qui suivent des études.
Rolisse et Fatoumata élèvent toutes les deux leurs enfants en bas âge. Seules. Aspirant à une vie meilleure, toutes deux ont décidé de reprendre des études d’assistante sociale, et toutes deux se sont heurtées à de multiples obstacles. La première vient d’obtenir son diplôme, la seconde a dû abandonner dès la première année.
Objectif : retrouver son autonomie
Forest. Rolisse, 32 ans, nous accueille dans son appartement. Sur son visage, la satisfaction : après trois années de labeur, ça y est, elle vient de décrocher son diplôme. « Enfin, j’y suis arrivée », sourit-elle. Une victoire, oui, mais surtout l’aboutissement d’un chemin complexe.
« Je suis arrivée du Cameroun en 2016 pour suivre des études de psychomotricienne. Rapidement, j’ai rencontré celui qui allait devenir le père de mes enfants. En 2018, durant ma grossesse, j’ai dû être alitée et donc arrêter mes études. »
Les événements s’enchainent. En 2020, elle quitte son conjoint. Accueillie dans un centre d’urgence avec son fils de 2 ans alors que tout est à recommencer, Rolisse ne perd pas espoir. Dans son viseur, une priorité : retrouver son autonomie en décrochant un diplôme. Petit à petit, sa situation se stabilise. En 2021, elle s’inscrit à l’Institut Ilya Prigogine pour suivre un cursus d’assistante sociale. Pour elle, un nouveau chapitre commence.
Une vie au pas de course
« Le matin, déposer mon fils à l’école, ensuite pour moi aussi, direction l’école, enfin la haute école. Une fois les cours terminés, courir le chercher à la garderie, faire à manger, le mettre au lit et finalement commencer à étudier ». Voilà ce qu’a été le quotidien de Rolisse durant trois ans. Un horaire millimétré, une routine qui peut vriller au moindre accroc.
« Il y avait des cours obligatoires et certains profs refusaient catégoriquement qu’on quitte l’auditoire un peu plus tôt, mais pour moi, après 17h, c’était impossible : je devais impérativement récupérer mon fils. Même pour les examens, si c’était en fin d’après-midi, je devais partir, quitte à ne pas terminer l’épreuve. »
Sans parler des absences en cas de maladie de son fils ou des aléas de la vie. « La garde des enfants est un vrai casse-tête. Lorsque j’étais obligée de m’absenter des cours, mes camarades de classe m’envoyaient des enregistrements des leçons. Le système des études supérieures est pensé selon la norme d’élèves qui sortent du secondaire, la réalité de maman solo semble un impensé ».
Le stress quotidien
Uccle. Au fond d’un quartier boisé, quelques immeubles sociaux. C’est ici que Fatoumata, 27 ans, vit avec sa fille de 3 ans et son fils de 2 ans. « Je suis d’origine guinéenne, mais j’ai grandi à Bruxelles. Je suis partie de chez moi à 18 ans. Je devais subvenir à mes besoins, entre petits boulots et tentatives d’études, je cherchais ma voie. Finalement, je me suis mariée assez jeune, on a eu des enfants, mais ça ne s’est pas bien passé… ». À la séparation, elle est accueillie dans un centre pour mamans solos à Ixelles pendant deux ans.
« J’ai déménagé ici à Uccle en mai 2023. Comme les choses semblaient se stabiliser, je me suis inscrite en septembre pour commencer des études d’assistante sociale à l’ISFSC à Schaerbeek. Mon objectif était d’obtenir un diplôme pour offrir un meilleur avenir à mes enfants. »
5 h 30, se lever. 6 h 30, sortir les enfants du lit et les préparer. 7 h 30, prendre le bus pour déposer le petit à la crèche, ensuite l’aînée à l’école. 8 h, attraper le train pour traverser Bruxelles jusque Schaerbeek. Une journée de cours et quelques heures plus tard, tout recommencer en sens inverse.
« Je me sentais hyper stressée et parfois nerveuse quand les enfants traînaient, ce qui n’arrangeait rien. Aussi, ça n’allait pas trop pour mon fils à la crèche, les puéricultrices m’appelaient sans arrêt tandis que j’étais au cours, ce qui me donnait une boule au ventre en permanence. »
Contre les risques d’abandon, du soutien essentiel
En plus des horaires à respecter, se pose évidemment la question de l’étude. Comment se concentrer quand on n’a ni chambre à soi, ni temps, ni calme, quand les enfants prennent toute l’attention et l’énergie ? Seules face aux syllabus, les enfants à bercer dans les bras, pour Rolisse et Fatoumata les périodes de blocus ont cristallisé toutes les difficultés.
« Puisque chez moi, c’était impossible avec les petits, je profitais de chaque moment libre pour travailler à la bibliothèque. Mais en période de blocus, avec la crèche et l’école fermées, c’est devenu vraiment dur ». La pression, le rythme à 100 à l’heure, les problèmes à la crèche avec son fils… Un matin, c’en est trop : du jour au lendemain, Fatoumata abandonne ses études.
« J’aurais aimé sans doute que l’école me retienne, insiste pour me raccrocher, mais je réalise que d’une certaine manière, je me suis cachée, j’ai fui. Désormais, ça me manque. C’était dur, mais au moins ça me donnait une place et un autre rôle que celui de maman solo. »
Pour Rolisse, le soutien est une clé essentielle : « J’ai failli abandonner plusieurs fois. Il est crucial de dire aux femmes qu’elles peuvent y arriver, de leur montrer qu’elles ne sont pas seules ».
ALLER + LOIN
La question de la garde des enfants
Reprendre des études ne passe pas uniquement par l’enseignement supérieur. Il existe des formations en promotion sociale, des services d’insertion socioprofessionnelle et des centres de formation. Chez Bruxelles-Formation par exemple, une stagiaire sur cinq est maman solo. Cependant, la garde d’enfants en dehors des horaires classiques reste un obstacle majeur. À quand des solutions pérennes comme un système de garde subventionné avec des horaires flexibles ou des chèques baby-sitting pour mamans solos ? Pour aller plus loin sur les pistes d’actions : l’étude de la Ligue des familles sur les gardes à horaires décalés (à lire sur liguedesfamilles.be > Analyses et études).
ET DEMAIN ?
Un avenir désirable pour toutes et tous
Quelles conclusions tirer de ces rencontres ? Si ces femmes développent une force et une créativité exemplaires pour transcender les limites qui leur sont imposées, les obstacles qui sont les leurs ne peuvent cependant pas être solutionnés qu’au niveau individuel. La réponse doit être politique. À la collectivité de prendre la mesure du vécu de ces mères et d’apporter des solutions concrètes aux freins de leur plein déploiement. Comme l’écrit Ketty Steward, docteure en psychologie et autrice de science-fiction : « L’avenir désirable devient ainsi celui qui saura démontrer sa capacité à prendre en compte les moins intégrées d’entre nous et leur permettre d’exister ». Il en va de notre dignité, à toutes et tous.
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