Société

Entre bataille et débrouille, les parents trinquent

Regarder de plus près les difficultés des familles confrontées au handicap. C’est ce que nous vous proposons. Les parents trinquent et le besoin de répit est immense.

Élise est maman d’un garçon de 11 ans. Il y a un an, elle apprend que son fils est porteur du syndrome d’Asperger, trouble du spectre de l’autisme. « Pour nous, c’était un soulagement de mettre enfin un mot sur le handicap de notre enfant. Très tôt, j’ai soupçonné quelque chose. Il y avait cette difficulté à entrer en contact avec les autres enfants. Le diagnostic me retire un grand sentiment de culpabilité ».

Pour Guillaume et son épouse, l’annonce de la surdité profonde de leur fille cadette a aussi été relativement bien vécue. Conséquence d’un CMV (cytomégalovirus) contracté pendant la grossesse, le couple craignait bien pire.

Un quotidien épuisant

C’est le ton léger et la voix posée que Guillaume répond à nos questions à l’occasion de sa balade journalière. Questionné sur les difficultés du quotidien, il répond sans fard.

« Nous avons la chance d’avoir un handicap ‘facile’, la surdité de Zoé n’affecte pas son autonomie. Pour nous, le plus difficile, c’est la multiplicité des discours. Que ce soit le corps médical, les intervenants sociaux, les asbl, nous recevons des avis très contradictoires. Faire la part des choses n’est pas évident. Sur la question de la langue des signes ou des implants, par exemple. Nous avons le sentiment que choisir une voie plutôt qu’une autre est stigmatisant. »

Autre difficulté : l’organisation logistique. Entre la logopède, l’audiologue, la psychomotricienne, il y a trois séances par semaine. Heureusement, tous les rendez-vous ont lieu au même endroit, à Mont-Godinne. L’an dernier, le lundi soir était consacré à cela. Deux heures trente de prise en charge pour Zoé. Et autant à patienter pour un des parents et la sœur aînée.

Avec l’optimisme qui le caractérise, Guillaume a réussi à faire de l contrainte une opportunité. « Avec Capucine, la grande sœur, on en profitait pour emporter des jeux et faire les devoirs. Au fil des semaines, nous avions établi notre petite routine ».
Élise, quant à elle, se sent perdue quant à la suite à donner. « Nous recherchons une école secondaire, ce genre de démarche est chronophage. Je ne sais pas trop comment m’y prendre. C’est aussi compliqué pour ma fille. La situation de son frère aîné nous mobilise beaucoup et je sens ses appels pour dire ‘J’existe’ ».

Lovée dans le fauteuil du salon, dans l’intimité du soir, Élise partage une autre difficulté qui prend beaucoup de place. « Ce qui nous mine au quotidien, c’est son incontinence, principalement nocturne. Ce n’est pas évident de trouver des langes adaptés à son âge. Le Noël passé, il était tellement excité pendant le rituel des cadeaux qu’il a fait pipi. Même si nous étions en famille, c’était très gênant ».

En 2014, vingt-sept familles avec un enfant en situation de handicap témoignaient de leurs difficultés et besoins dans le cadre d’une enquête réalisée par l’ONE, le Phare et l’AViQ (Agence pour une vie de qualité). Celle-ci identifie huit éléments qui rendent la vie quotidienne des familles particulièrement difficile : le comportement de l’enfant, l’acquisition de l’autonomie, l’état d’alerte permanent, le manque d’aide, la manutention, le rythme soutenu, le sentiment d’être « bloqué » chez soi, la difficulté de voir son enfant souffrir.

Parcours du combattant

Le champ de la débrouille peut devenir un véritable parcours du combattant pour certains parents. École ou loisirs spécialisés, les places manquent. Et les parents trinquent. « On nous a pris après un an et demi d’attente. Si on n’attendait pas, il fallait aller à Mons ou à Bruxelles », explique ce parent de Jemeppe-sur-Sambre.

L’analyse l’affirme, tous les membres de la famille sont impactés lorsque l’enfant en situation de handicap n’est pas scolarisé ou qu’il ne trouve pas de lieux d’accueil de loisirs. Pour certains, la prise en charge de l’enfant porteur de handicap représente un boulot à plein temps. D’autres tentent de concilier vie privée et vie professionnelle. Mais la tâche est ardue. Certaines écoles n’offrent pas de garderie comme en témoigne cette maman : « Je dois le déposer à 8h45. Mais comment font les autres parents ? Et à quelle heure le récupérer ? À 15h30 ! Comment faire pour travailler avec des heures si courtes ? ».

Autre galère, les congés et vacances scolaires. Infrastructures non adaptées, personnel non qualifié ou insuffisant, exclusion de certains handicaps, les difficultés persistent au-delà du cercle familial. « En réponse à notre demande d’accueil pour notre enfant qui a une infirmité motrice cérébrale, on nous a dit : ‘On fait des intégrations d’enfants avec un handicap, mais on ne fait que les trisomiques’ ».

Autre scénario : comment un enfant avec des difficultés motrices peut-il fréquenter une école si le réfectoire est en bas, les cours en haut et les toilettes au milieu ? Difficile aussi pour un parent de laisser son enfant en stage lorsqu’il constate que l’équipe n’a pas d’expérience en la matière. L’accueil peut être sympathique, les volontés être bonnes, mais cela ne suffit pas.

L’offre de soutien et de répit

Le besoin de soutien et de répit des familles est immense. Interlocuteur privilégié, l’AViQ propose des SAP (services d’aide précoce) et des SAI (services d’aide à l’intégration). Sur simple demande, les services interviennent aussi bien pour fournir de l’appui administratif, qu’adapter le quotidien et la maison aux besoins spécifiques de l’enfant. Et ce, dès la naissance et jusqu’à 20 ans.

En matière de répit, l’offre se décline à domicile, en demi-journée d’activités collectives ou en résidentiel pour un séjour d’un week-end ou d’une semaine. Les services de répit sont très sollicités si bien qu’ils ne couvrent malheureusement pas les demandes. En 2018, 2 361 prestations ont dû être refusées faute de places.
En Région bruxelloise, c’est du côté de Phare que l’ensemble de l’offre est répertoriée. Parmi les services se trouve la Casa Clara, « maison de cœur conçue par et pour des parents ». Dotée d’un coin détente, d’une bibliothèque, d’un espace bien-être, l’asbl propose des journées de répit et ressourcement aux parents et aux frères et sœurs.

Les projets existants sont autant d’éclaircies qui pointent à l’horizon des parents. À l’unisson, ils démontrent les conditions nécessaires à une réelle inclusion. Appeler de ses vœux une société inclusive est une chose, s’en donner les moyens en est une autre. Faire avec le handicap, c’est accepter d’y consacrer des moyens. C’est à ce prix que la société pourra répondre mieux à l’immense besoin de soutien et de répit des familles concernées par le handicap.



Clémentine Rasquin

Du côté de la Ligue des familles 

Des baby-sitters formé·e·s au handicap

Le service baby-sitting de la Ligue des familles s’est donné les moyens d’être inclusif. Des consultations auprès de parents et professionnels ont permis d’identifier des situations à risque et d’évaluer chaque demande sur une échelle de un à trois.
Côté offre, le service forme son réseau de baby-sitter et prévoit un temps de préparation in situ avec le parent afin que chaque partie prenante soit en confiance. À ce jour, la Ligue compte quatre cents baby-sitters aptes à garder un enfant porteur de handicap et sa fratrie.

En savoir +

► « Les besoins des familles ayant un enfant en situation de handicap de 3 à 12 ans », l’enquête de l’ONE, Phare et l’AViQ.
La plateforme Annonce Handicap (PAH) propose cinq portes d’entrée sur son site pour informer à la fois : les professionnels, les parents/proches, les frères et sœurs, les personnes en situation de handicap et le public.
► À lire (grands ados et adultes), trois romans puissants et justes qui parlent du handicap : Où on va papa ?, Jean-Louis Fournier (Stock), Le petit prince cannibale, Françoise Lefèvre (Actes Sud), Les mots que l’on ne me dit pas, Véronique Poulain (Stock).

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