Crèche et école

Et si nous changions (enfin) notre regard sur l’orientation ?

« J’ai toujours eu de bonnes notes. Particulièrement en sciences. Non pas que je sois attiré par ça, mais ça me semble plus facile que le reste. Mes deux parents travaillent dans le monde de la santé et mes grands-pères sont tous deux médecins. Alors pour ma famille, c’était comme une évidence : ‘Freddy, il va devenir médecin’. L’idée me plaisait. Je me voyais avec un bon salaire, un statut. Je ne voyais pas plus loin que ça. Mais moi, mon vrai truc, ce que je fais pour m’amuser, c’est le dessin industriel. D’abord parce que je trouve ça trop agréable à faire. Dessiner des bagnoles, par exemple, je peux passer des mois là-dessus. Jamais je n’aurais imaginé qu’on puisse en faire des études. Jusqu’au jour où j’ai discuté avec un prof de CAO (conception assistée par ordinateur) et DAO (dessin assisté par ordinateur). J’apprends donc que ça s’étudie et qu’on peut (très facilement) en vivre. J’en parle aux parents, leur réaction n’est pas très positive. Ils trouvent dommage que je m’embarque vers la technique de qualification et que je renonce à médecine. Je les écoute. Je rentre en 1re année. Je foire complètement. Trop de boulot, trop de compétition, ce n’est pas pour moi. Alors, j’intègre une Haute École. Je passe un bachelier professionnalisant en électromécanique. J’en suis à ma dernière année et j’ai un contrat l’an prochain pour dessiner des sanibroyeurs ! Ça me fait kiffer, vous n’avez pas idée. »
Fred, 22 ans

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Dans la série de science-fiction Star Trek, l’Univers et les habitantꞏes qui le peuplent n’ont plus besoin de travailler. Quand ils le font, c’est uniquement par plaisir. Alors, on ne les entend pas nécessairement prononcer des phrases du type « Ça me fait kiffer, vous n’avez pas idée », mais le concept est alléchant. Ce serait fantastique si tou·tes les jeunes, travailleurs, travailleuses de demain, intégraient le monde du travail avec cet enthousiasme débordant.
Les mots de Fred ne surprennent d’ailleurs pas Brigitte Allaer, directrice de la toute jeune asbl Potentia. « Il est primordial de démythifier les études ordinaires comme voie royale. Nous rencontrons des jeunes qui viennent du général et s’orientent vers le technique. J’explique à leurs parents qu’un jeune qui n’est pas bien dans sa tête n’est pas disponible pour entreprendre de bonnes études. Je trouve ça dommage depuis le temps qu’on le répète, de cultiver cette idée de mauvais résultats, hop, relégation vers le technique. Navrant. Encore plus quand on sait qu’aujourd’hui il existe 50 000 métiers en pénurie. Des métiers manuels qui peuvent potentiellement passionner les jeunes. Des études concrètes qui contrebalancent avec des professions qui ne font pas toujours sens ».
Nous les avons beaucoup entendus ces mots. Concrets. Sens. C’est revenu beaucoup dans les témoignages des jeunes qui nous ont raconté leur réorientation. Cela ne signifie pas nécessairement qu’ils et elles veulent s’engager dans une voie qui épouse leurs convictions, mais tout simplement d’entreprendre un métier « bien palpable », comme dit Pablo, 15 ans, qui se rêve ingénieur du son. Le test pour lui ? « Tu expliques ce que tu fais en une phrase à ta grand-mère. Sans mot en anglais dedans. Si ça prend plus de temps et qu’au final, elle ne comprend pas, c’est du bullshit (ndlr : de la connerie, de la foutaise) ». Allons tout de même au-delà du test de grand-maman…

Un fossé intellectuel ?

La réputation des millenials (les jeunes nés après 2000) dans le monde du travail n’est pas toujours reluisante. Là où les générations précédentes ont ardemment cultivé le sens du compromis, voire de la compromission, pour obtenir une place dorée dans le sacro-saint milieu de l’entreprise, on les décrit aujourd’hui comme exigeant·es, prompt·es à ne faire aucun sacrifice.
La traduction de cela dans l’orientation ? Pas question pour les travailleurs et travailleuses en devenir de s’engager à contrecœur dans une voie professionnelle. Tant pis pour le prestige du diplôme. C’est de moins en moins une gageure en ce qui les concerne. Brigitte Allaer appuie l’idée : « Le fonctionnement de la société se transforme, nous vivons une vraie période de transition. Plus rien ne fonctionne à l’ancienne. Les jeunes imposent de plus en plus leurs conditions. Ça ne convient pas, ça heurte les attentes ? Ils cherchent autre chose ».
Les « bonnes » études, coûte que coûte ? Peut-être qu’on en revient. Peut-être que cet idéal illusoire finit par nuire à l’enseignement. L’éternel débat est souligné dans chacune des discussions : est-ce que l’école fonctionnerait mieux si on se débarrassait de l’idée que l’apprentissage technique, manuel ou professionnel est destiné aux élèves moins doué·es ?

Investir le savoir-faire et le savoir-être

Naelle, dont la fille de 15 ans est en 5e tech dans le but d’intégrer un bachelier en agronomie, expose : « Au-delà de l’idée très répandue de la sous-filière, on considère que la voie technique ou professionnelle, c’est le néant intellectuel. Entre une personne qui se forme au métier d’agent·e des forêts, qui va développer des connaissances cynégétiques, piscicoles, halieutiques, va découvrir toute une législation, un code forestier, bien connaître les territoires de chez nous, leurs faunes, leurs biotopes, etc., et un·e môme qui va faire des études de commerce, est-ce que le fossé intellectuel est si étendu que ça ? Je ne sais pas, je pose la question sans malice ».
Notre tour d’horizon pour ce dossier nous a conduits à un constat frappant : beaucoup d’enfants n’osent même pas imaginer entreprendre autre chose que des études ordinaires. Impensable. À cause de la pression sociale, d’abord. Et l’idée de s’enfermer dans une voie de garage, ensuite.
Sur le papier, le Pacte d’Excellence promet de réduire les écarts, de faire disparaître les idées préconçues. C’est la société dans son entièreté qui doit changer son angle de vue. On y croit. Les prérogatives peuvent changer. Il n’y a pas si longtemps que ça, on a vu une foule de citoyen·nes applaudir tous les soirs à 20 h le personnel soignant, les caissiers et caissières de supermarché, les pompiers… Alors, imaginez un monde dans lequel tous les métiers auraient la même valeur. Ce ne serait pas le premier pas vers une égalité totale, ça ?

ZOOM

Votre enfant ne sait pas quoi faire ?

À travers les pages de ce dossier, nous n’avons eu de cesse de vous présenter des jeunes qui ont un projet précis et savent où ils et elles mettent les pieds. Ce n’est pas toujours le cas. Loin de là. D’ailleurs, l’ensemble des expert·es, Brigitte Allaer en tête, tire le signal d’alarme sur ce « foutu smartphone » (oui, on l’a entendu plein de fois) qui fait écran aux rêves et aux passions. Ils rendent trop souvent nos ados passifs, passives, rêvant de millions de vues ou de likes, de célébrité ou encore d’argent qui tombe du ciel. Plus inquiétant encore, très vite, plus rien d’autre ne compte. Le flot ininterrompu de contenu captive et coupe du reste du quotidien. Activités parascolaires, interactions familiales, la perte de motivation devient vite totale.
Comment attiser les passions dans ce cas ou, tout du moins, susciter d’autres intérêts ? « Ça commence par passer du temps ensemble, parents et enfants. Les éveiller à ce qui vous intéresse. Les séries que vous aimez, les sorties au ciné, les pièces de théâtre, les débats. Il faut avoir le courage d’en finir avec ce baby-sitter bon marché qu’est le smartphone. Il ne développe que trop peu de compétences, il lobotomise. On voit beaucoup de jeunes passer chez nous, en plein décrochage, parce qu’ils consomment des heures effarantes d’écran sans régulation », alerte la directrice de Potentia.
On sait combien le bras de fer est difficile. C’est une des composantes du métier de parent, ouvrir l’enfant à ce qui l’entoure. L’éveiller au réel. Vous risquez de vous cogner à plein de murs, c’est vrai. Mais avec beaucoup de patience, on vous garantit que ça finira par payer.

L’orientation en pratique

En plus des infos pratiques égrainées tout au long du dossier, nous avons rassemblé les infos pratiques qui vont vous guider, vous, et votre enfant. On vous dit tout sur les diplômes, l’après-secondaire, les acteurs et actrices incontournables. 

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