Société

« Être famille d’accueil, c’est donner une seconde chance à un enfant qui la mérite à 100% »

Le manque de familles d'accueil est criant en Belgique

Six cents enfants sont en attente d’une famille d’accueil. L’accueil, c’est faire un bout de chemin avec un enfant. Comme Hakim*, 5 ans, qui ne savait pas compter jusqu’à 3 quand il a rejoint la famille d’Anne-France et Michaël.

« Hakim n’avait aucune norme, ni repère, il fallait se battre pour tout : mettre la ceinture dans l’auto, marcher sur le trottoir, demander pour se servir dans l’armoire... On a dû être très strict avec lui au début. Heureusement, il y avait aussi des moments plus doux faits de jeux, de câlins et de complicité pour contrebalancer », raconte Anne-France.
« Accueillir un enfant, ce n’est pas être un papa gâteau, c’est mettre un cadre, parfois même plus sévère que celui qu’on a avec ses propres enfants avec qui on construit au fur et à mesure, ajoute Michaël. Ce cadre a été très confrontant pour Hakim puisqu’il n’en avait jamais connu. En tant que famille d’accueil, on prend l’enfant avec son sac à dos et on découvre petit à petit ce qu’il y a dedans. »
Aujourd’hui, six cents enfants sont en attente d’une famille d’accueil. La durée de l’accueil varie selon qu’il soit d’urgence, court ou moyen-long terme. Dans tous les cas, le manque de familles est criant.
« Chaque type d’accueil remplit des missions bien spécifiques, explique Jessica Cocquyt, porte-parole de Familles d’accueil, la fédération des services d'accompagnement en accueil familial. Les candidats à l’accueil d’urgence fournissent une aide ponctuelle d’un mois environ, alors que les familles qui s’engagent dans le long terme sont dans une démarche d’agrandir la famille potentiellement jusqu’aux 18 ans de l’enfant. Le rôle de nos services est d’orienter vers un type d’accueil qui correspond au profil et au projet de chaque candidat qu’il soit famille, couple ou personne seule. »

Accepter qu’il y ait un début et une fin avec le court terme

L’accueil court terme est celui qui rencontre le moins de succès. En cause : la peur de s’attacher à l’enfant, comme l’explique Catherine Vanbelle, directrice d’Accueil et Familles. « Dans notre réseau, nous avons beaucoup de profils d’enseignant·e·s qui sont habitué·e·s à s’engager auprès d’un enfant tout en étant au clair sur le fait qu’il faudra se séparer ». Faire un bout de chemin et accepter qu’il y ait un début et une fin que l’on ne connaît pas encore, voilà la spécificité du court terme.
« Pendant ce laps de temps, nos équipes accompagnent les parents de naissance et analysent les différentes options futures : retour chez les parents, accueil par la famille élargie, institution, familles d’accueil long terme. Mais, le court terme, ce n’est pas ’essayer’ un enfant et le garder si ça se passe bien. Ce ne serait ni bon pour la famille, ni pour l’enfant. »
Il y a quatre ans, Anne-France et Michaël se sont lancé dans l’aventure et en sont à leur second accueil court terme. Leurs deux ados ont accepté le projet sans pour autant avoir envie de s’y impliquer. « C’est un projet de famille, mais c’est un choix de couple. C’est nous qui l’assumons, mais tout le monde doit être d’accord », explique Michaël. Entre les premières démarches et l’arrivée d’Hakim, un an s’est écoulé. Si le délai paraît long, le couple reconnaît aujourd’hui l’intérêt des différentes étapes du processus de sélection.
Les deux expériences d’accueil sont diamétralement opposées. En 2018, Hakim arrive très abimé chez eux. Les débuts sont compliqués et Anne-France et Michaël sont heureux d’être deux pour se relayer quand ça devient trop lourd. Un peu plus d’un an plus tard, c’est Lila* qui rejoint la famille. La petite fille de 4 ans et demi est extrêmement facile, presque trop. Mais son état de stress reste élevé, comme en témoignent certaines perturbations physiologiques.
Dans un cas comme dans l’autre, les enfants surprennent par leur maturité et leur capacité d’adaptation fulgurante. « On a été directement acceptés en tant que parents d’accueil », commente Michaël. « Lila n’a pas pu être préparée, elle est arrivée chez nous le soir du jugement. Heureusement, sa maman a approuvé la décision et expliqué à Lila qu’on allait bien s’occuper d’elle. Dès qu’on lui a montré sa chambre, elle a sauté dans mes bras et pleuré. Après trois jours, on avait déjà notre premier fou rire », raconte Anne-France.

Portrait d'une famille d'accueil

Un point d’ancrage pour déposer et se poser

« Accueillir, c’est donner une deuxième chance à un enfant qui n’a rien demandé et la mérite à 100% », telle est la définition de l’accueil pour Michaël. En quelques mois, la famille devient un point d’ancrage permettant à l’enfant d’évacuer son stress et de se poser. Et ça fonctionne, à l’exemple d’Hakim.
L’album photos du séjour d’Hakim l’atteste : de semaine en semaine, on le voit s’épanouir. Les premières pages dévoilent un enfant timide au regard fuyant, puis, au fil des pages, l’œil accroche l’objectif et le sourire s’élargit. On découvre même une fossette à la joue gauche encore invisible dans la première moitié du livre.

Le parcours d’accueil n’est pas linéaire. Il y a des progressions, des retours en arrière, des hauts et des bas

« C’est juste magique de réaliser à quel point on a pu sauver cet enfant. Pas tout seuls, bien sûr, avec le maintien du lien parents, avec ses grands-parents et avec l’accompagnement de l’asbl Accueil et Familles. Quand on l’a accueilli, il ne savait pas compter jusqu’à trois, il était complètement introverti, il piquait plusieurs crises par semaine. Aujourd’hui, c’est un garçon épanoui qui va bien, qui dit merci, qui réussit à l’école, qui fait du sport. »
Accompagner chaque partie prenante pour que chacun puisse jouer son rôle au mieux, c’est le travail des services d’accompagnement en accueil familial. « Tous les parents que nous suivons aiment leurs enfants, souligne Catherine Vanbelle, la directrice d’Accueil et familles. Malheureusement, l’amour ne suffit pas à prendre soin d’un enfant et à l’éduquer ». C’est là que les familles d’accueil interviennent. « Notre rôle, c’est d’accueillir l’enfant pour récolter son vécu et identifier ses besoins », souligne la directrice. En parallèle, l’équipe accompagne la famille d’accueil et travaille avec les parents biologiques pour reconnaître leurs difficultés et analyser ce qui peut être mobilisé pour maintenir un minimum de lien ou permettre un retour de l’enfant.

Mais l’incertitude sur l’après plane comme une ombre

Le parcours d’accueil n’est pas linéaire. Il y a des progressions, des retours en arrière, des hauts et des bas. « Après quatre mois et demi, Hakim nous a raconté son histoire et ça l’a vraiment aidé à aller mieux. C’est à ce moment-là que moi, j’ai craqué », explique Anne-France. Un peu comme si la maman d’accueil s’autorisait à lâcher prise au moment où Hakim refaisait surface.
Après neuf mois passés chez Anne-France et Michaël et grâce à l’accompagnement de l’équipe Accueil et Familles, une solution pointe à l’horizon pour Hakim : vivre chez sa grand-mère. À chaque fois que l’enfant parle ou fréquente sa mamie, il revient heureux et épanoui. Mais la justice est lente et tarde à se prononcer. Cette incertitude plombe l’enfant dans son envol. Le dernier mois, Hakim régresse, figé dans la peur de ce qui l’attend.
« Chez ces enfants, il y a une ombre persistante dans leur tête. Je viens seulement de la voir partir chez Hakim. Mais elle ne quitte pas Lila. Son socle, c’est son petit frère qui est dans une autre famille d’accueil. Mais on ne sait pas leur dire encore quelle sera la suite pour eux », commente Anne-France.
Lila n’en est encore qu’à son deuxième mois chez Anne-France et Michaël, il y a encore du temps pour permettre à cet accueil de déployer tous ses bienfaits. D’autres pages viendront encore s’ajouter à l’album de cette petite fille. C’est en réalisant tout le chemin parcouru avec Hakim qu’Anne-France et Michaël ont eu envie de réitérer l’expérience.
Aux potentiel·le·s candidat·e·s, Anne-France et Michaël partagent trois enseignements. « Faire comme on le ferait avec ses propres enfants sans chercher à vouloir faire plus ou moins. Ne pas juger les parents et ne pas prendre parti. Et, enfin, le faire tout simplement, ça apporte tellement à titre individuel, de couple, de famille et à la société ».

*Prénoms d’emprunt

Famille d'accueil, suivi de la famille à domicile

VÉCU

L’accueil long terme, un tout autre projet

Pour Jennifer et Yannick, l’accueil long terme s’est imposé comme une évidence. « Nous avions deux enfants et l’envie d’agrandir la famille sans pour autant que cet enfant soit le nôtre. Nous connaissions bien les systèmes de parrainage ou d’accueil court terme, mais notre souhait était vraiment de nous investir et de construire dans le temps avec cet enfant », explique Yannick.
Et Jennifer de compléter : « Adélie* a des parents qui ne sont pas en mesure de s’occuper d’elle, mais ils existent. Quand elle sera plus grande, elle pourra avoir accès à des explications sur son histoire, ce ne sera peut-être pas évident, mais, au moins, il y aura des réponses. Ce qui est rarement le cas avec l’adoption où le sentiment d’abandon peut être très fort chez certains enfants qui ne vont jamais avoir d’éléments d’explication ».

EN PRATIQUE

Il existe trois types d’accueil possibles :

  • l’urgence (15 à 45 jours),
  • le court terme (3 à 9 mois),
  • le moyen et long terme (1 an renouvelable).
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