Loisirs et culture

Vue sur les réseaux sociaux : la présentation d’une résidence d'écriture enfants admis, coorganisée par Stéphanie Mangez. Alors que les créateurs et créatrices écrivent, les enfants sont chouchoutés dans une crèche éphémère. Un sujet dans le cœur de cible du Ligueur ! En route pour une rencontre avec l’autrice et organisatrice…
Le projet est une initiative de la Compagnie MAPS, encadrée par Emmanuel De Candido et Stéphanie Mangez, soutenue en 2022 par La Chaufferie-Acte 1, le Ced WB, la SACD et la Fédération Wallonie-Bruxelles. Un soutien pluriel pour une démarche qui est loin d’être individuelle comme la plupart des projets de Stéphanie Mangez que l’on retrouve à Jette, à l’entrée du CBO (C’est Bon d’Être Ouvert !), un ancien magasin de luminaires converti en lieu d’occupation temporaire où la Compagnie MAPS a posé ses valises.
Une grande fresque murale, une cour d’entrée, des bancs et des fanions, un mur verdurisé : d’emblée, on sent l’univers artistique. L’impression se confirme à l’intérieur : de vastes espaces, des expositions de sculptures et de peintures, un groupe de citoyennes en pleine réunion, un bar, des salons, les studios de ZinTV, etc. Des lieux dynamiques, inspirants, qui regroupent diverses associations comme le Jam’in Jette, le Gasap (groupe d’achat solidaire de l’agriculture paysanne), des cuisines solidaires, l’asbl Sources d’harmonie qui développe notamment des projets dans les écoles autour du bien-être des enfants, etc.
« Il y a déjà eu des ateliers de djembé, de cirque… J’ai trois enfants et ils adorent venir ici », se réjouit Stéphanie Mangez qui a co-fondé la compagnie jeune public La Tête à l'envers et la Compagnie MAPS. À côté des créations théâtrales tout public, cette dernière propose un écosystème créatif (un concept reproductible pour contribuer à un milieu culturel plus inclusif des différentes réalités de vie).
Devenir Marie Poppins
Le théâtre, pour elle, c’est un rêve de petite fille. « Enfant, je voulais être juge de la jeunesse ou jouer sur les planches, se souvient-elle. J’avais beaucoup de plaisir à faire des spectacles lors de fêtes familiales, à me déguiser ou à prendre la parole devant un groupe. J’étais valorisée par des enseignants lorsque je présentais des élocutions ou récitais des poésies. Je me souviens aussi avoir vu Marie Poppins, enfant, et avoir dit : ‘Je veux être Marie Poppins’. Je l’ai revu récemment avec mes enfants et j’ai redécouvert plein de choses, comme la mère qui est suffragette et défend le droit des femmes. À 18 ans, je n’avais pas la force de m’affirmer face à mes parents qui me conseillaient d’avoir un diplôme car, pour eux, comédienne, c’était un métier précaire, compliqué pour les femmes ».
C’est donc dotée d’un diplôme en droit qu’elle entre au Conservatoire de Mons. Elle y suit quatre années de formation durant lesquelles elle expérimente différentes disciplines et découvre le plaisir de l’écriture. En dernière année, elle écrit une pièce, dirige ses condisciples et la présente à un jeune public. Le virus est contracté. Peu après, avec La Tête à l’envers, elle écrit Debout !, qu’elle présente aux Rencontres de Théâtre Jeune Public à Huy.
Depuis l’enfance, Stéphanie Mangez consigne des moments importants de sa vie dans des carnets. « Ce que je vis moi-même traverse mon écriture. Quand j’avais 9 ans, j’ai perdu un petit frère. La première pièce que j’ai écrite, Debout !, touche à cet événement marquant de mon enfance. Mes parents étaient famille d’accueil, ma dernière pièce, Tom, parle de cette expérience ».
La mort, le deuil et la famille font partie de son écriture. Des thèmes forts qu’elle n’hésite pas à présenter à des enfants. « Quand je m’adresse à un jeune public, précise-t-elle, je veille à ce que le propos soit adapté à l’âge. Je fictionnalise fort ce que j’écris, car j’ai à cœur de protéger ma famille et j’ai conscience que mon point de vue n’en est qu’un parmi d’autres vécus. De plus, je crois très fort au pouvoir de la fiction. Et plus la thématique est sensible, plus c’est important d’intégrer de l’humour ».
L’enfance, une période fondatrice
Les spectacles sont régulièrement suivis de bords de scène. Les comédiens et comédiennes reviennent dans la salle, éventuellement avec l’équipe de médiation du lieu d’accueil, pour un échange sur la représentation.
« Une pièce, c’est un tout. Elle est traversée de plusieurs thématiques. Je suis issue d’une famille nombreuse et la fraternité/sororité, également présente dans mes pièces, est un thème qui parle à beaucoup. L’enfance est une période fondatrice pour moi et je suis persuadée qu’elle l’est pour beaucoup dans un parcours de vie. Il y a plein de fils qui traversent le récit et les enfants vont percevoir un thème plus qu’un autre, par exemple le rapport grand/petit, avant d’évoquer la question de la mort. Ils n’ont pas les mêmes échelles de valeurs que nous, les adultes. L’un parle avec le même sérieux de la mort de son lapin qu’un autre de celle de son grand-père. Mieux comprendre ce qu’ils vivent permet d’être plus empathique. La proposition que nous faisons, c’est qu’il ne faut pas attendre la perte d’un proche pour aborder le sujet. L’aborder avec des personnages de fiction permet de se comparer, de s’identifier. Outre le plaisir du spectacle, j’ai à cœur que l’enfant, que l’adulte reparte avec une plus-value, un questionnement, un autre regard sur une situation. »
« J’essaie de trouver un équilibre entre protéger l’innocence ou l’insouciance de l’enfance et aider les enfants à devenir des citoyens du monde »
Artiste mère et mère artiste
Aujourd’hui, Stéphanie Mangez a trois enfants de 3, 6 et 9 ans. Une expérience enrichissante à bien des égards, mais un défi à relever dans son secteur. « Le fait de combiner maternité et métier d’artiste m’a rendue plus militante, parce que, naïvement, je me disais que le milieu artistique était égalitaire, paritaire. J’ai découvert que, dans ce milieu qui se vit comme avant-gardiste, la parentalité est dans un angle mort. Elle est peu abordée. Toutes les artistes, et surtout celles qui travaillent avec le corps, les danseuses, les circassiennes, etc. sont traversées d’angoisses quand naît le désir d’enfant. Au Conservatoire, on m’a déconseillée d’être enceinte dans les trois premières années de ma carrière. Quand j’ai eu ma première fille, j’ai mis en place tout un planning pour reprendre très tôt la création. Je ne voulais pas que l’on me mette sur une voie de garage. J’avais intégré cette pression et cette peur que la maternité mette un frein à ma carrière artistique ».
Résidences d’écriture enfants admis
Suite à cette prise de conscience, Stéphanie Mangez s’est retrouvée avec des artistes de différentes compagnies pour réfléchir à des solutions, d’où le projet Résidences d’écriture enfants admis soutenu par différents partenaires, dont la ministre pour l’Égalité des chances.
Six artistes et six enfants dans une maison de campagne, le calme, un lieu inspirant, moins de charge mentale et un encadrement. Alors que les créateurs et créatrices écrivent, les petits loulous, entre 1 et 4 ans, sont chouchoutés dans la crèche éphémère avec deux puéricultrices en or.
« Cela s’est révélé une très belle expérience, d’autant que l’on sortait du confinement, se souvient la jeune maman. Cela a été une bouffée d’air ». Ce projet-pilote permet de réfléchir à des solutions pour adapter ces métiers à la parentalité, « sans nécessairement faire la promotion de la maternité », tient à préciser Stéphanie Mangez.
Autre chouette expérience d’artiste mère : en avril 2022, elle a joué au Théâtre national dans Un pays sans rivière, pièce créée par la Compagnie MAPS, avec sa fille alors âgée de 5 ans, Johanne. « C’est un de mes bons souvenirs de cette conciliation entre ma vie d’artiste et ma vie de maman. Nous avons vécu un moment privilégié. Dans cette pièce, on s’interroge sur la manière dont on transmet nos vécus à nos enfants, dont on leur parle de la réalité du monde. Dans mes projets et dans ma vie, j’essaie de trouver un équilibre entre protéger l’innocence ou l’insouciance de l’enfance et aider les enfants à devenir des citoyens du monde, car ils sont confrontés à des réalités comme celle des réfugiés. Pour trouver cet équilibre, chaque parent fait comme il peut. »
À VOIR
Deux pièces à épingler
Parmi la dizaine de pièces de Stéphanie Mangez (parues aux éditions Lansman), nous en avons retenu deux.
- Debout ! : Lucie est très en colère. Son petit frère Eliot est mort et sa maman s’est enfermée dans sa chambre. À la maison, on ne peut plus dire Eliot, alors, pour comprendre, Léa et Lucie passent chaque jour au cimetière qui deviendra leur terrain de jeu. Mais c’est sans compter avec Gaëlle « la demeurée » qui en a fait son domaine. Elle n’aime pas du tout qu’on vienne la déranger quand elle parle aux macchabés. Léa est fascinée : Gaëlle parle aux morts ? Et ça marche ? Un texte à la fois léger et grave, drôle et intense.
À partir de 8 ans. - Tom : Tom ne vit pas avec ses parents. Après avoir été placé en institution, il débarque dans une famille d’accueil. Achille, son nouveau frère, le bombarde de questions sur son passé. Les parents multiplient les tentatives touchantes et maladroites pour comprendre ce garçon taiseux et établir une communication. Tom, tiraillé entre différentes réalités, sera contraint d’affronter son passé pour pouvoir avancer. Texte lauréat du prix littéraire francophone 2022, du prix Text’Enjeux 2020, sélection Fureur de lire 2020.
À partir de 9 ans.
À noter : La valise de Tom, un documentaire sonore de Roxane Brunet et Stéphanie Mangez, en écoute libre sur Radiola ou Auvio, donne la parole à quatre familles très différentes qui accueillent un enfant.
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