Vie pratique

Ils et elles s’adorent et se déchirent. Comment réagir face à leurs disputes ? Premier conseil : les banaliser. Elles sont monnaies courantes. Elles font même le sel, le charme et la trame des relations fraternelles d’après nos expertes.
► Stéphanie Haxhe, docteure en psychologie, coordinatrice de l’antenne famille du service de santé mentale de Verviers et co-fondatrice de l’asbl l’Ardoise Pivotante
En se disputant, l’enfant teste et apprend
Le conflit, c’est un peu comme un orage en été, ça permet de nettoyer des choses dans la relation. De la même manière qu’il faut des averses pour nettoyer l’air en été, il faut des disputes pour qu’une relation soit vivante. Si les partenaires sont mal à l’aise avec le conflit, les relations se nécrosent.
Les parents redoutent souvent les conflits de leurs enfants alors qu’en se disputant, ils testent et apprennent. Benjamin Jacobi, psychanalyste et professeur, détaille ce processus d’apprentissage. L’enfant tente une stratégie, observe les effets sur l’autre, s’auto-évalue et corrige le tir. C’est très instructif, car ce qui s’apprend dans la fratrie se jouera par la suite dans d’autres relations horizontales. Apprendre à être à l’aise avec le conflit, c’est une véritable habilité sociale que l’enfant pourra mobiliser par la suite avec ses ami·es, dans son couple ou au travail.
Plus facile de se disputer en fratrie qu’avec le parent
Les enfants n’osent pas entrer en conflit avec leurs parents et font souvent payer l’addition aux frères et sœurs. Ça me fait penser à une fratrie de trois sœurs que je suis en consultation qui se disputent énormément. Elles ont une maman assez fragile qui d’un coup est animée et propose des activités, puis les annule parce qu’elle n’est pas assez bien. Les filles sont remplies de colère, mais n’osent pas la diriger contre leur mère qu’elles sentent trop fragile. Du coup, elles se divisent entre elles.
La juste place du parent dans le conflit fraternel
Quand le parent interfère trop, il s’approprie le conflit. Mais ne rien dire, ça ne va pas non plus. L’écueil, c’est la question : « Qui a commencé ? ». Chaque partie pense que la séquence démarre quand elle s’est sentie agressée. Le parent peut rassembler les enfants et les faire discuter entre eux, comme un médiateur. On aurait tendance à les isoler, à discuter avec l’un·e, puis avec l’autre, alors que ce qui ressort dans ces dialogues est souvent précieux à entendre pour l’autre.
► Roseline Roy, traductrice et éditrice des ouvrages de Faber et Mazlish (Aux Éditions du Phare)
Dans les conflits de fratrie, il faut éviter de prendre parti. C’est quelque chose de très fréquent et spontané, mais ça assigne un rôle de juge au parent qui décide de qui a tort et de qui a raison. On met de l’huile sur le feu. Prendre parti alimente la jalousie et la rivalité.
En pratique, l’approche Faber et Mazlish propose les étapes suivantes :
- Reconnaître les émotions (ça te fait de la peine quand ton frère prend un jouet avec lequel tu joues). L’approche de Faber et Mazlish est basée sur l’écoute des sentiments. En se focalisant sur ses sentiments, l’enfant se sent reconnu et ses sentiments sont légitimés. C’est contre-intuitif, car on a l’impression qu’on va en faire des « mauviettes » à force d’accorder autant d’attention aux sentiments alors que c’est tout le contraire.
- Écouter la version de chaque enfant (tu as envie de continuer à jouer avec ces cubes et ton frère aussi aimerait pouvoir les utiliser).
- Manifester de la compréhension pour les deux parties (je comprends que vous avez envie tous les deux de jouer avec la même chose).
- Exprimer votre confiance quant à leur capacité à trouver une solution acceptable pour les deux (qu’est-ce que vous pourriez trouver comme solution qui convienne à l’un·e comme à l’autre ?).
- Quitter la pièce.
► Nicole Prieur, philosophe, psychothérapeute et responsable de formation au CECCOF (Centre de Formation et recherche en clinique de l'individu, du couple et de la famille, à Paris)
Surtout ne pas culpabiliser. Le conflit est inhérent au lien fraternel, c’est ce qui en fait aussi la richesse. Tant qu’il y a un équilibre entre les moments de complicité et de conflit, il n’y a pas de souci à se faire.
Le rôle du parent, c’est d’imprimer la loi sur les interdits : ne pas frapper, ni injurier. La loi introduit une notion de verticalité dans les relations fraternelles horizontales et confère aux parents l’autorité. Elle permet d’intégrer l’idée que ni le frère, ni la sœur n’a de pouvoir sur l’autre.
Quand les moments de rivalité prennent le dessus, il y a souvent de l’inconscient parental ou familial qui s’immisce. Par exemple, un conflit larvé du couple qui se met en scène dans la fratrie avec des alliances parent-enfant. Il faut alors se demander ce qui appartient au couple dans ce que les enfants jouent sur la scène de la fratrie.
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