Développement de l'enfant

En septembre 2021, le service EBS (étudiant·es à besoins spécifiques) de l’ULB s’élargissait aux futurs et jeunes parents. Une première en Fédération Wallonie-Bruxelles. Trois ans plus tard, qu’en est-il concrètement ?
C’est suite à l’affluence des demandes d’aménagement d’étudiantes qui tentaient de passer par le statut ESH (étudiant·e en situation de handicap), qu’Alain Leveque, en sa qualité de vice-recteur aux services à la communauté, a élargi le statut EBS aux futurs et jeunes parents en 2021. Depuis, le nombre d’étudiant·es qui en bénéficient est en constante évolution : s’il concernait 29 personnes l’année de son lancement, cette année, ce statut a déjà été octroyé à 65 étudiant·es, dont 58 femmes et 7 hommes.
Concrètement, le statut EBS permet aux bénéficiaires d’obtenir divers avantages comme une place dans le parking, la possibilité d’un report d’examen ou de remise de travail, l’inscription en prévalence pour les examens oraux, la possibilité de passer ses examens dans une salle spécifique - où il est possible notamment de s’asseoir sur un mobilier adapté aux ventres ronds et de se rendre aux toilettes sans exclusion -, la permission de manger en cours ou de le quitter en urgence, la dérogation aux cours obligatoires contre un certificat médical, la possibilité d’inscrire son enfant à la crèche de l’ULB… Sur papier, c’est un vrai plus. Sur le terrain, cela demande encore quelques ajustements.
Jusqu’aux 6 mois de l’enfant
Le premier point d’interrogation qui nous vient à l’esprit : pourquoi ce statut n’est-il accordé que jusqu’aux 6 mois de l’enfant ? « Parce qu’il fallait une date butoir, celle-ci s’aligne aux 6 mois d’allaitement conseillés par l’OMS et correspond à la fin d'un congé maternité dans le milieu professionnel et l'entrée moyenne en crèche, explique Pauline Rabau, assistante inclusion du service EBS de l’ULB. Mais c’est clairement un des retours récurrents des étudiant·es : c’est beaucoup trop tôt ! ». Les demandes refusées, dix cette année, le sont toutes pour le même motif : l’enfant a plus de 6 mois. « Certain·es s’y prennent trop tard et font la demande quand l’enfant a 5 mois… Le temps que tout se mette en place, c’est déjà terminé », poursuit l’assistante.
Autre point de questionnement : le cadre fixé se traduit différemment selon les facultés. « C’est différent dans les deux facs, explique Héloïse, 35 ans, maman de deux enfants, diplômée d’un double master en psychologie clinique et en anthropologie. En anthropo, les profs sont très flex’, tous ceux à qui j’ai demandé une exception me l’ont accordée. En psycho, comme il y a plus d’étudiant·es, les profs sont plus tendu·es et moins abordables, c’est beaucoup plus compliqué. J’ai une prof qui n’a pas voulu décaler l’examen. Par contre, une autre m’a proposé de suivre son cours à présence obligatoire à distance. Comme c’était pendant le quadri où j’ai accouché, ça m’a beaucoup aidée et j’ai pu valider ce cours. Si je n’avais pas eu cet arrangement, j’aurais dû reporter d’un an ».
Une situation pas encore parfaite, mais en mouvement : « J’en ai parlé avec une autre étudiante qui allait avoir son troisième enfant, qui avait bénéficié de ce statut la première année et qui m’a dit qu’en trois ans, ils s’étaient beaucoup améliorés ». Même si ce statut est perfectible, il a le mérite d’exister et peut réellement changer la donne pour celles qui doivent jongler avec études et grossesse. Et parfois même avec un temps plein et d’autres enfants !
Fatigue et manque d’attention
Nadezdha, 29 ans, est enceinte de son deuxième et travaille à temps plein dans un CPAS bruxellois quand elle entame un master en droit du travail en horaires décalés. Elle estime que le statut n’a pas changé grand-chose pour elle : « Honnêtement, je n’en ai pas bénéficié. J’avais demandé si je pouvais passer un examen à distance ou en oral. Mais le prof m’a dit qu’il n’allait pas changer de modalité juste pour une seule étudiante. J’ai donc passé mon dernier examen le 23 janvier… et j’accouchais le lendemain ! ».
Le manque de flexibilité se rencontre aussi à d’autres moments clés du cursus. Louise, 38 ans, maman de Benjamin, 11 mois, doctorante en philo et lettres et en master en didactique, raconte : « J’ai dû faire mon stage en classe secondaire enceinte de presque huit mois, avec un gros ventre, super fatiguée, parce que ma maître de stage avait refusé que je le fasse plus tôt dans l’année ». Dans ce cas précis, Louise estime avoir été pénalisée.
« Je n’imaginais pas que cela allait être aussi exigeant. Être maman demande une attention constante. Comme mon bébé avait du mal à dormir, cela me prenait mes soirées aussi »
D’autant que toutes confirment cet épuisement. « La fatigue est vraiment réelle. J’avais parfois du mal à me concentrer en cours, explique Natali, 29 ans, bachelière en philosophie qui termine un master en sciences des religions. Il y a une gêne physique, nos émotions sont à fleur de peau. C’est un choc hormonal difficile à gérer ».
Ayant accouché juste avant la session, Natali a obtenu un report de session en août. « Comme j’avais allégé mon année, j’ai fait un an en deux, mais ce n’est pas comme si j’avais doublé et cela n’entre pas dans le calcul de la finançabilité. Heureusement que ce statut existe ! ». D’autant qu’elle rédige à présent son mémoire avant l’arrivée de son deuxième enfant… prévu ce mois de mai. « C’est un peu le chaos… Mais je me suis déjà retiré la pression de le rendre en première sess’ ! ».
Sous-estimation de l’effort
Louise, la maman de Benjamin, conseille aux futures mamans de demander leur statut dès le début et d’être réalistes en ne mettant pas tous leurs cours pendant la période de grossesse. « Je n’imaginais pas que cela allait être aussi exigeant. Être maman demande une attention constante. Comme mon bébé avait du mal à dormir, cela me prenait mes soirées aussi. Le temps qu’il y avait avant pour moi n’existait plus ».
Denisa, 38 ans, maman de Viktor, 7 mois, entrepreneuse et étudiante en psychologie, confirme : « Le principe d’allègement permet aux personnes qui, comme moi, travaillent full time de ne pas prendre tous les crédits en une année. On ne se rend pas compte de ce que cela représente, je pensais pouvoir étudier plus durant le congé de maternité. Mais prendre une douche était déjà un défi ! Je n’ai pu passer aucun examen. Si j’avais su, j’aurais encore allégé mon année ».
Et les papas ?
« Seule, je n’aurai pas survécu, affirme Denisa. Je suis en bonne santé, j’ai un mari, mais c’était quand même difficile. Pour une jeune étudiante, seule, ça doit être impossible ! »
Raison pour laquelle ce statut EBS est également accordé aux futurs ou jeunes papas. Ils sont pourtant peu nombreux à faire la démarche : « Ils estiment peut-être que ce sont leurs compagnes enceintes qui supportent tous les risques. Ils craignent de ne pas être pris au sérieux, explique Pauline Rabau. Mais si on ne leur donne pas l’opportunité de se répartir les tâches, comment faire évoluer la société ? ». Soutenir toutes les parties prenantes de cette nouvelle aventure semble tout aussi cohérent que nécessaire.
EN PRATIQUE
Points d’amélioration
On a demandé à nos intervenantes ce qu’elles proposeraient aux universités comme améliorations, voici leurs retours :
- « Pouvoir être prioritaire pour tout ce qui est en rapport avec un temps d’attente considérable, comme la librairie universitaire, l’impression des syllabus, le réfectoire… » (Natali)
- « Ce qui manque, c’est un endroit pour pouvoir tirer son lait. Pour le moment, il n’y a pas de place appropriée. » (Louise)
- « Obtenir des aménagements plus hybrides, plus flexibles. Cela m’aurait aidée de pouvoir suivre les cours obligatoires ou les examens à partir de la maison. Surtout après l’accouchement. » (Nadezhda)
- « Pouvoir bénéficier d’un système de drop-in à la crèche : y laisser son enfant juste le temps des cours. » (Denisa et Héloïse)
EN SAVOIR +
Le statut EBS et PEPS
Si le statut d’étudiant·e à besoins spécifiques (EBS) de l’ULB existe depuis longtemps pour les étudiant·es en situation de handicap, pour les sportifs, sportives et artistes de haut niveau, les personnes incarcérées ou les jeunes entrepreneurs et entrepreneuses, il s’est récemment élargi aux futurs parents et parents d’un enfant jusqu’à 6 mois, ainsi qu’aux aidants-proches.
Pour en faire la demande, il faut envoyer un email avec l’attestation de grossesse/naissance (et la preuve de paternité s’il s’agit du conjoint). Un rendez-vous distanciel est alors organisé pour préparer le « plan d’accompagnement individuel » (PAI). Celui-ci est envoyé en commission pour acter sa recevabilité et l’envoi aux référent·es facultaires. « Une fois le statut validé, si les aménagements sont raisonnables, il n’y a pas à discuter », explique Pauline Rabau.
Pourtant à l’UCLouvain, le statut PEPS (projet pour étudiant·es à profils spécifiques), qui existe depuis 2003, n’est pas encore octroyé aux femmes enceintes, car « la temporalité d’une grossesse et des difficultés qui peuvent l’émailler ne sont pas compatibles avec l’esprit, les dispositions réglementaires et surtout la logistique de l’octroi du statut PEPS, nous répond Isabelle Decoster, responsable presse d’UCLouvain. Le service d’aide aux étudiant·es a donc privilégié une aide au cas par cas, permettant d’agir avec agilité, au plus près des besoins rencontrés par les étudiantes concernées ».
Cependant, elles ne sont qu’une dizaine à avoir osé faire le pas… Héloïse, maman de deux enfants et diplômée d’un double master à l’ULB, confirme : « Le statut EBS permet de créer une petite pression. Tant que personne ne le revendique, on s’en fiche ; mais quand ça devient quelque chose, on en prend compte ». Espérons que les écoles supérieures et universités puissent suivre le chemin.
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