Crèche et école

Harcèlement scolaire : « Le carburant de ton bourreau ? Ta souffrance »

Harcèlement scolaire : « Le carburant de ton bourreau ? Ta souffrance »

Emmanuelle Piquet s’attaque frontalement aux mécaniques liées au harcèlement. Des maux de la cour de récré aux actes répétés sur les réseaux sociaux, en passant par l’attitude des adultes, elle démonte pas mal d’idée préconçues. Et si on faisait de même ?

Spécialiste française formée à la thérapie brève stratégique selon l’École de Palo Alto, autrice d’une dizaine d’ouvrages sur le harcèlement, c’est surtout dans son centre de consultation dédié aux souffrances scolaires que la psychologue observe et agit. Ses conclusions sont parfois déroutantes. Elle balaye d’un revers de la main tout un pan de la relation harcelant/harcelé, peut-être trop souvent répété par certain·es intervenant·es incontournables de la question. Voyons ce qu’avec son tout dernier opus, Votre enfant face aux autres, elle tire comme enseignement des 500 élèves qui, chacun, se sont livrés sur leurs souffrances.

Vous êtes convaincue que le harcèlement est moins visible, mais tout autant présent dans les cours de récré, il aurait muté depuis le confinement ?
Emmanuelle Piquet : « Oui. D’ailleurs, je sais que beaucoup d’élèves se sont retrouvés soulagés pendant le confinement. Là, les harcèlements ont cessé. Ils persistaient sur les réseaux sociaux, mais de façon moins virulente. Puis, la scolarité a repris sa vitesse de croisière. Ce qui est frappant, c’est que, depuis, le harcèlement est moins visible pour les parents, les enseignant·es, les directions… Ça s’explique par le fait que les harceleurs et harceleuses sont plus avisé·es. Plus fin·es dans leur façon de faire. Je pense que le sujet est devenu ‘adulte’. La société s’en est emparée. Jusqu’aux politiques. Voilà qu’il y a un gros interdit à braver, ce qui rend les enfants curieux. Mais beaucoup plus dissimulateurs aussi. J’entends beaucoup de parents de victimes me dire : ’On n’a rien vu venir’. Résultat, c’est très dur pour beaucoup d’enfants de retourner à l’école, avec pour conséquence directe, l’augmentation des phobies scolaires. »

Dur pour les parents de s’imaginer tous ces actes sous-marins, comment fait-on pour se prémunir de ça ?
E. P. : « Très compliqué. Encore plus quand on sait qu’il y une augmentation des cas qui passent sous les radars. On estime à 60% les enfants qui ne se défendent pas, n’en parlent pas et essuient la tempête en attendant que ça passe. La solution ? Elle n’est pas disciplinaire. Notre proposition consiste à outiller les élèves. D’abord, il faut comprendre comment en parler. Il est important de laisser venir l’enfant. De lui dire : ’Je comprends que tu ne veuilles pas en parler. Mais si tu m’expliques, avec ton accord, on va essayer ça et ça’. C’est mieux que de lui dire : ‘Attends, quoi ? Écoute, ne te tracasse plus avec ça, je m’en occupe. »

Vous n’aimez pas que les adultes jouent les gardes du corps ?
E. P. :
« En effet, c’est catastrophique. Même si c’est tout à fait légitime de vouloir protéger son enfant. Seulement, que les parents comprennent, on envoie deux messages en mettant de côté les victimes et en en faisant une affaire d’adultes : on insinue d’abord ‘Tu n’es pas capable de te débrouiller, je le fais à ta place’, puis on légitime également les harceleurs et harceleuses : ‘Bravo, vous avez choisi la bonne cible, ça fait du grabuge’. C’est devenu la marche à suivre partout en Europe pour endiguer le phénomène et, le moins que l’on puisse dire, c’est que ça ne fonctionne pas du tout. Au contraire, on alimente la machine. »

En traitant le problème de la sorte, on évince l’idée que le harceleur, la harceleuse puisse être aussi une victime, non ?
E. P. : « Alors, pour être tout à fait claire, je ne crois pas du tout que les harceleurs et harceleuses soient des victimes. Ça aussi, c’est devenu une espèce de doxa que je réfute totalement. Je pars d’un constat assez simple : sur les 500 élèves que je rencontre par an, on reçoit zéro harceleur ou harceleuse. Je n’ai jamais entendu de familles me dire : ‘Mon enfant ne va pas bien du tout, il harcèle ses copains’. D’ailleurs, s’il n’y a pas de profil type, on sait que ce sont généralement des enfants qui sont très bien dans leur peau et qui élaborent des stratégies pour asseoir un pouvoir. Ils ressentent beaucoup de plaisir et de satisfaction au moment où ils agissent. »

« Je n’ai jamais entendu de familles me dire : ‘Mon enfant ne va pas bien du tout, il harcèle ses copains’ »

On nous a souvent expliqué que le harceleur/la harceleuse tire de la valorisation de son acte parce qu’il/elle n’en a pas dans son foyer, auprès des siens. Ce serait une sorte de rééquilibrage narcissique. Vous n’y croyez pas non plus ?
E. P. : « Non, pas du tout. Je ne vois pas de lien entre la famille et l’école. En revanche, ça devient problématique au moment où les parents s’en mêlent. Il y a souvent un vrai souci de remise en question. Qui peut aller très loin. Il faut réussir à bien se regarder en face pour accepter une telle situation. Que vos lectrices et lecteurs fassent le constat autour d’eux, combien ont-ils d’ami·es qui disent : ‘Oui, avec Antoine, ça ne va pas, il a harcelé une copine à l’école et ça a été très loin…’. Pas grand monde. Il se produit souvent l’inverse quand les parents sont avertis par l’école. ‘Impossible, pas Antoine’. Qu’est-ce que ça dit ? Que le harcèlement est souvent commis par des gamin·es qui cherchent à séduire un groupe en s’appuyant sur une victime. Et être séduisant·e, c’est hyper valorisant aujourd’hui. Moi, enfant, ma mère me demandait si j’avais bien travaillé pendant le cours de maths. Point. Les attentes des parents aujourd’hui sont autres. Comment ça se passe socialement ? Est-ce que votre enfant est bien intégré, bien accepté ? Je ne leur impute pas la faute, il faut que tout soit parfait. C’est une des nombreuses injonctions d’aujourd’hui. Et les interactions sociales de leurs enfants à l’école n’échappent pas à la règle. Tout cela, au final, est une question de pression. »

Alors, qu’est-ce qu’on fait pour s’attaquer à cette systémique ?
E. P. : « Ce serait complètement illusoire de croire qu’il existe une recette toute faite. Plonger dans le quotidien de son enfant, c’est un bon début. Quand j’en ai compris les rouages, je mets en place une stratégie. Et avec son accord, je vois comment riposter. Je l’aide à faire preuve d’autodérision par rapport aux attaques. Attention, c’est très facile à dire, mais beaucoup plus difficile à mettre en place quand on est jeune. Expliquez-lui : ‘Le carburant de ton bourreau ? Ta souffrance. On va lui faire croire que ça te fait rire’. Il faut d’abord que la ‘proie’ comprenne qu’elle peut avoir un impact sur la situation. Et puis, elle doit concevoir qu’elle va changer de posture. Quel que soit l’âge, 50% des enfants qui le font et envoient un autre message ne se font plus harceler. Pour un bourreau, c’est très perturbant de voir que le carquois - et donc les flèches pour blesser - n’est plus à la même place. »

Et pour les autres, celles et ceux pour qui la stratégie du carquois ne fonctionne pas ?
E. P. :
« Pour 20% des cas, on doit réajuster ensemble la stratégie. Ce qui est compliqué puisque l’on parle d’élèves qui ont absolument perdu toute confiance en eux. ‘Je n’ai pas réussi, je suis trop nul·le’. On essaie autre chose. L’idée, c’est de déstabiliser le harceleur ou la harceleuse, qui n’est souvent que sur un registre. Son type d’attaque se renouvelle rarement.
Puis, on voit passer des cas, je parle de plusieurs élèves par an, où le mécanisme est ancré depuis tellement d’années qu’il n’y a, hélas, aucune autre solution que celle de changer d’établissement. J’y suis totalement opposée, mais parfois la situation l’impose. Il faut quand même garder en tête que 70% des élèves harcelés le sont de nouveau dans un nouvel établissement. Je n’arriverai pas à l’expliquer, mais dès le deuxième ou le troisième jour, on retombe dans le même scénario. Un ’Tu pues’, alors que ce n’est objectivement pas vrai, va, par exemple, se répéter. Un accompagnement est donc impératif. »

Ce que vous décrivez est peut-être une des conséquences du cyber-harcèlement ? Les frontières sont plus perméables aujourd’hui, non ?
E. P. :
« Dans une majorité des cas, le harcèlement commence dans une structure relationnelle et s’amplifie par la caisse de résonance des réseaux sociaux. Quand ça devient viral, ça devient hyper-oppressant. Les stratégies numériques se sont affinées. Dès que le parent en est averti, il doit tout de suite s’adresser aux organismes compétents (ndlr : Child focus et son app Cyber Help, par exemple). Ce qui se joue sur le web est le pur reflet de ce qui se joue dans la réalité. Encore une fois, un gamin populaire se fait rarement agresser sur le web. »

En un mot, quelle est la bonne place du parent ?
E. P. :
« Je pense que la bonne posture, c’est d’être à côté des enfants. Non pas entre eux et le monde. On ne doit pas les couvrir d’édredons pour absolument éviter qu’ils aient mal. Ils se feront mal, ça va leur arriver, il faut les préparer à ça. L’édredon, il vaut mieux le mettre à côté d’eux pour s’installer et discuter.

À LIRE

Votre enfant face aux autres

Votre enfant face aux autres (Arènes) aborde des points hyper-pratiques de la vie scolaire de tous les jours. L’idée de la psy : donner des armes aux parents, non pas pour régler les conflits à partir d’une histoire bien précise, mais pour les aider à dénouer les problèmes avec leur enfant.