Grossesse

Porter la vie pour autrui, ce n’est pas commun. Cela s’appelle la gestation pour autrui (GPA). Pour devenir parents, Marie et Xavier y ont eu recours. Et parce qu’elle n’aurait pu être heureuse sans enfant, Lisa leur y a donné accès.
« Tu n’as qu’à adopter ». Cette phrase, Marie l’a souvent entendue. À 27 ans, la jeune femme est dans une phase dépressive. Elle doit encaisser le fait qu’elle ne pourra jamais porter la vie car elle n’a ni utérus ni ovaire. « Je me sentais très vide, rien ne m’intéressait. C’est comme si ce problème de maternité était en plein milieu de ma route et m’empêchait de passer à autre chose », explique-t-elle.
Cette année-là, Marie, qui est photographe, reçoit une demande inédite. Lisa et Ulrich souhaitent immortaliser la naissance à domicile de leur troisième enfant. Dès le premier rendez-vous, Marie leur explique en quoi ce projet lui tient particulièrement à cœur. « J’avais envie qu’ils sachent qu’ils me permettaient d’assister à quelque chose d’intime et de sacré que je ne pourrais jamais vivre personnellement ».
Entre eux, le contact passe directement et les deux femmes deviennent amies. C’est auprès de Lisa que Marie confie son désir d’enfant grandissant, avant de s’en ouvrir à son compagnon. « Un jour, j’ai fondu en larmes et tout balancé en un bloc, je lui ai dit : j’ai envie d’un enfant et je crois qu’on devrait le faire par GPA ».
Pourquoi la voie de la GPA ?
Dans le cas de Marie et Xavier, l’adoption et la gestation pour autrui (GPA) sont les deux voies d’accès à la parentalité. Pour Marie, deux arguments jouent en faveur de la seconde option. « La GPA apportait le confort de ne laisser aucune zone d’ombre dans l’histoire de l’enfant. Cela me permettait aussi de connaître la date de naissance pour induire une lactation et, par ce biais, de trouver une place charnelle pour donner un peu de moi ».
Le couple se renseigne et est séduit par la prise en charge très humaine proposée à l’hôpital Saint-Pierre (Bruxelles). Candice Autin, responsable du centre de PMA, explique « l’approche à quatre oreilles » qui les caractérise.
« Toute demande doit pouvoir être entendue et reçue à quatre oreilles, deux d’un gynécologue et deux d’un psy. Cela permet à chaque couple de pouvoir présenter son projet. Cela nous paraît être une façon respectueuse de recevoir les demandes qui nous sont adressées. Une fois par mois, nous nous réunissons en équipe (gynéco, embryologiste, infirmière, psychologue et psychiatre) pour nous positionner. L’équipe dispose de balises claires pour arbitrer chaque demande. »
Dans ce cas-ci, l’absence d’utérus constitue une indication absolue qui permet le recours à la GPA. « Dans les débats, on entend toujours : ‘Ils n’ont qu’à adopter’, mais la réalité de l’adoption est très difficile, il y a beaucoup plus de couples avec agrément que d’enfants à adopter, explique Candice Autin. Il arrive aussi que ces couples soient doublement victimes, d’abord parce que la femme est née sans utérus, ensuite parce qu’on leur refuse l’adoption pour raison médicale. Bien sûr, on peut vivre sans enfant, mais ce n’est bien vécu que si c’est un choix ».
Quand les portes s’ouvrent miraculeusement
Si le couple se conforte dans le choix de la GPA et a déjà identifié le centre agréé, encore leur faut-il trouver une mère porteuse et une donneuse d’ovocyte. Quelques semaines après le rendez-vous à Saint-Pierre, Marie reçoit un message de Lisa l’informant qu’une amie à elle, Stéphanie, est d’accord pour être leur donneuse. Une première porte s’ouvre miraculeusement. Reste le sésame de la mère porteuse.
Lisa est aux premières loges du parcours de Xavier et Marie et ce qu’elle n’imaginait pas faire aux prémices de leur relation lui semble à présent possible. « L’idée a germé en moi parce que j’ai réalisé que je n’aurais pu être heureuse sans enfant. Mon dernier avait alors presque 1 an quand je me suis décidée. J’en ai parlé à mon mari et il m’a tout de suite dit : ‘Si tu veux le faire, je te soutiendrai’ », raconte Lisa. Et c’est par WhatsApp, leur moyen de communication privilégié, que Lisa écrit ce message : « Si vous cherchez toujours quelqu’un, je suis prête ».
« Au final, c'est l'enfant qui fait le parent »
Pour garantir le fait que la GPA soit bien vécue par tous, l’équipe de Saint-Pierre rencontre toutes les parties prenantes. « Il y a une balance perpétuelle à faire entre le bien-être de la mère porteuse et le bébé qu’elle porte qui n’est pas le sien. C’est ce qui explique la nécessité absolue d’être dans un lien de confiance très fort », explique Candice Autin. Les différentes rencontres rassurent l’équipe qui remet un avis favorable. Démarre alors le parcours d’une PMA classique qui permet à Stéphanie de faire un don d’ovocytes et à Lisa de porter l’embryon pour Marie et Xavier.
Se projeter et incarner son rôle
Un petit être grandit dans le ventre de Lisa. La nouvelle est magique. Mais difficile à réaliser pour Marie et Xavier. « Avec une grossesse traditionnelle, le ventre grossit et permet au couple d’entrer dans un processus de création familiale, témoigne Marie. Pour nous, c’était très intellectuel et puis, tout à coup, c’est devenu concret. Lisa a accouché à la maison, j’ai pu directement accueillir Moïra et la mettre au sein grâce à mon projet de lactation induite. Ça paraissait à la fois tellement naturel et fou ».
L’arrivée soudaine d’un bébé suscite forcément des questions. Un aspect que Marie appréhendait : « Je nourrissais une forme de parano intérieure comme si, à tout moment, on allait me dire : ‘Mais, vous n’avez pas l’air d’avoir accouché récemment’. Ça m’a pris un peu de temps pour incarner mon rôle de mère, mais, aujourd’hui, je ne ressens aucune différence entre moi et les autres. Moïra a enlevé tous les doutes sur ma maternité. Au final, c’est surtout après la grossesse qu’on devient parent, en repoussant chaque jour ses limites pour œuvrer dans l’intérêt de l’enfant. C’est l’enfant qui fait le parent ».
Ce qui entache l’expérience GPA
Si Marie et Xavier ont rapidement endossé leur rôle de parents, la société ne les reconnaissait pas comme tels et c’est ce qui rend la GPA compliquée, voire traumatisante. Sur les conseils de leur avocate, Xavier introduit une demande de reconnaissance de paternité prénatale, mais le tribunal de la famille réclame un test ADN pour prouver sa paternité. À l’audience, le procureur du roi invectivera Lisa, Ulrich et Xavier : « C’est un adultère médicalement assisté, il faudra dire à cet enfant qui sont ses vrais parents ». Marie, quant à elle, ne peut même pas assister à cette audience, car considérée comme non concernée.
« Il y avait cette idée qu’on pourrait crier victoire à la naissance de Moïra, mais Ulrich et Lisa étaient les parents légaux. Les vignettes de mutuelle de Moïra étaient au nom d’Ulrich, il fallait faire des comptes d’apothicaires. Le plus anxiogène, c’est que s’il arrivait quelque chose de plus grave, nous ne pouvions revendiquer aucune parenté avec notre fille. »
La procédure tire en longueur et il faut attendre vingt mois pour que Xavier soit enfin reconnu officiellement comme père. Marie peut alors entamer les démarches d’adoption. Un an plus tard, alors que Moïra a presque 3 ans, elle est enfin reconnue comme la mère légale.
Au-delà du parcours juridique éreintant, Marie déplore l’image associée à la GPA. « Il y a dans la tête des gens l’idée qu’une femme va faire un bébé et s’en séparer. C’est cette sale image qui sert de socle commun aux anti-GPA. Le terme ‘mère porteuse’ nourrit cette confusion et n’est pas adapté. À aucun moment, il n’est envisagé que la personne prenne un rôle maternel ».
Candice Autin ajoute que « le fait que la mère porteuse ne soit pas liée génétiquement à l’enfant permet à la grossesse d’être investie différemment ». Et Lisa de confirmer : « J’étais très claire avec moi-même, je savais que je portais cet enfant qui n’était pas le mien. J’en prenais soin et je m’y suis attachée comme à l’enfant d’amis. D’ailleurs, à la naissance, je n’ai ressenti aucun manque, j’aspirais à retrouver plus de temps et d’énergie pour m’occuper de mes enfants ».
Les témoignages de Lisa et Marie poursuivent un objectif commun : ancrer la GPA dans une histoire concrète et palpable pour l’envisager sous un angle humain et familial, loin des débats idéologiques. Aujourd’hui, Moïra vient de fêter ses 3 ans et son livre fétiche, c’est celui d’un bébé éléphant dans le ventre d’une maman loup, amie d’une maman éléphant. Cette histoire, c’est la sienne. Et grâce à la GPA, Marie peut la lui raconter en entier.
EN SAVOIR +
La GPA représente une dizaine de naissances par an en Belgique et se réalise dans quatre centres agréés en Belgique, à Liège (CHR de la Citadelle), Bruxelles (UMC Saint-Pierre et UZ) et Gand (UZ Gent).
À LIRE, À VOIR
- Naître d’une autre, un film de Cathie Dambel
- Mais… comment naissent les parents ?, de Jean Regnaud et Aude Picault (Magnard Jeunesse)
- Le mystère des graines à bébé, de Serge Tisseron (Albin Michel Jeunesse)
- Babylove, de Mireille Maquoi (Ex Aequo)
- Marie a capitalisé toute son expérience pour permettre une information en français au sujet de la lactation induite sur ma-lactation-induite.com
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