Développement de l'enfant

À l’adolescence, les occasions de tomber, volontairement ou non, sur des images inappropriées sont légion. Dans certains cas, cette expérience peut s’avérer traumatisante. Il est donc indispensable d’aborder ce sujet avec son enfant, en adaptant son discours à son degré de maturité, insiste le psychiatre, Patrice Huerre, psychiatre, auteur de Ni anges ni sauvages - les jeunes et la violence (LGF). Avec lui, nous vous avons concocté quelques réponses en fonction de l’âge de l’enfant. Au cas où le votre ferait de « mauvaises rencontres »…
10-12 ans : les préparer au choc
Cela peut intervenir lors de pérégrinations sur internet, faute de logiciel de contrôle parental. C’est un âge où on va beaucoup sur la Toile avec un désir d’explorer, de la même manière qu’on explorerait un parc dans lequel on se rend pour la première fois. Et là, sans le vouloir, en quelques clics, on peut tomber sur des photos ou des films inappropriés. Comme une mauvaise rencontre... Il peut exister d’autres scenarii : votre enfant va chez un copain ou une copine, dont le grand frère ou la grande sœur a laissé traîner des images pornographiques sur différents supports. Ou bien, une nuit, à la maison, il n’arrive pas à dormir, allume la télévision et tombe sur un film porno sans que les parents ne s’en aperçoivent… Les possibilités sont multiples, y compris dans la cour de récréation ou devant l’athénée. Il n’est pas rare qu’un élève se vante d’avoir sur son téléphone portable des images pornographiques et les montre à d’autres, plus jeunes, pour leur faire sentir combien il est grand… Il y a, on le voit, de nombreuses raisons de penser qu’un enfant de 10 à 12 ans va croiser sur son chemin des images pornographiques. D’ailleurs, en France, il y a quelques années, une étude du Conseil supérieur de l’audiovisuel a montré qu’à l’âge d’environ 10 ans, un enfant sur deux en a déjà vu. C’est énorme. Et cela concerne les garçons comme les filles. À cet âge, on n’est pas encore adolescent. Et on peut vivre une expérience traumatique.
Dans la mesure où son corps ne lui permet pas d’en avoir une, la sexualité génitale constitue pour l’enfant quelque chose d’abstrait. Il n’a aucune possibilité de se représenter vraiment ce que cela peut être, c’est un univers totalement étranger à ses possibilités d’assimilation. Du coup, il ne parvient pas à faire le lien entre ce qu’il voit et ce qu’il éprouve. Il peut y avoir chez lui une forme de sidération, un peu comme celle que l’on a ressentie en voyant les avions détruire les tours de New York le 11 septembre 2001. On sait que c’est vrai, mais on n’arrive pas à l’intégrer, car cela ne fait pas partie de nos schémas, de nos expériences, de nos représentations.
Le problème, c'est que ces images sont à la fois choquantes et possiblement excitantes. Si elles n’étaient que choquantes, l’enfant les écarterait purement et simplement - de la même façon qu’on ne visionne pas des films d’horreur si on n’en a pas envie. Mais elles intriguent, leur caractère totalement inédit stimule la curiosité. Il y a de l’excitation en surdose, une excitation qui pose problème. Elle ne peut pas se décrire ni se raconter tant que l’enfant n’est pas entré dans la puberté, tant qu’il ne peut pas faire le lien entre l’excitation sexuelle qu’il ressent en lui, de lui-même, et celle qui est provoquée par la vue de telles images.
Très souvent, les parents se disent : « Oh, il est encore trop petit, on lui en parlera plus tard ». C’est une erreur. Il faut profiter de la période où l’enfant n’est pas encore entré dans la puberté et où il écoute encore les adultes. La fin du primaire est un bon moment pour lui parler de ce qui va sans doute lui arriver.
De la même façon qu’on lui parle, pour mieux l’y préparer, des mauvaises rencontres qu’il risque de faire ou des sollicitations (tabac, cannabis, etc.) qu’on ne manquera pas de lui adresser. Il faut lui dire que probablement, même sans qu'il le veuille, il va rencontrer un jour ou l'autre des propositions qui peuvent l'intriguer, mais qui sont dangereuses, des images violentes, des images pornographiques. Il faut lui expliquer qu’il s’agit de scènes montées de toutes pièces par des fabricants d’images qui cherchent à vendre des photos ou des films choquants, y compris sur le plan sexuel. Or, quand on a un groupe de copains qui regardent autour du téléphone portable du plus grand des images pornographiques, ce n’est pas évident de dire que cela ne nous intéresse pas... Sur ce point, les parents peuvent jouer un rôle éducatif essentiel en aidant leurs enfants à trouver une manière de s'en sortir sans perdre la face, par exemple au moyen de l’humour.
L’enfant de 10 ans, bien sûr, ne sait pas ce qu’il va voir en se penchant sur l’écran de son aîné. Il le fait en toute innocence pour faire comme les autres. Mais le choc sera atténué s’il a appris de la bouche de ses parents l’existence des telles images. L’enfant doit aussi et surtout savoir que si cela lui arrive, s’il est choqué ou s’il ressent une vive émotion, ses parents ne le puniront pas, mais au contraire seront prêts à échanger avec lui, à réfléchir à la façon dont il pourrait à l’avenir éviter ce type de situation. Bref, il faut lui épargner un sentiment de honte ou de culpabilité.
12-15 ans : du sexe… et de l’amour
La plupart des ados ont une capacité de jeu psychique qui leur permettra de faire la part des choses en étant mi-excités, mi-choqués. Ils s’en sortiront par des pirouettes, en rigolant. Ils savent que ce n’est pas comme ça que ça se passe dans la réalité, surtout si les parents les ont déjà mis en garde contre ces images conçues pour vendre… Cela fait partie de toute une série d’apprentissages de la vie, on apprend peu à peu à distinguer ce qui est normal de ce qui ne l’est pas. Mais s’ils sont vulnérables, fragiles sur le plan psychologique ou s’ils n’ont pas la possibilité d’en discuter avec un adulte de leur entourage, le choc provoqué par ces images à l’état brut peut malgré tout avoir un impact traumatique. Si les parents ne leur ont jamais parlé de ça, ils peuvent avoir l’impression que sexe et violence vont de pair.
Si un ado est psychologiquement fragile, la rencontre avec des images pornographiques peut influer sur son comportement pour l’avenir. Certains jeunes auront ainsi peur de la sexualité, car ils ont vécu une forme de sidération qui les empêche parfois de construire leur propre histoire et les stoppe dans leur développement. D’autres tenteront plus tard de se débarrasser de ce qui les a traumatisés en le répétant dans la réalité, en ayant des approches sexuelles brutales ou directes envers les jeunes filles, en participant à des viols en réunion… Car quand on est resté seul avec un traumatisme auquel on n’avait pas été préparé, un des modes négatifs pour régler l’affaire consiste à faire subir aux autres ce que l’on a soi-même subi, comme dans le cas d’enfants battus qui, devenus parents, battent leurs propres enfants.
Les images pornographiques peuvent en tout cas rendre la sexualité de ces jeunes, problématique. Dans le processus de construction, il y a ce que Freud appelait le courant tendre et le courant sensuel, qui mettent de nombreuses années à se rejoindre pour aboutir à une histoire d’amour dans laquelle la sexualité a sa place. Or, le choc des images produit un court-circuit qui altère le courant sensuel et l’empêche de progresser à son rythme. Il se crée un décalage. Cela peut inciter les adolescents les plus fragiles à dissocier l’aspect sentimental, le fait d’être amoureux, de la sexualité.
Avec les magazines, on maîtrise plus ou moins la situation. On peut les refermer, on peut tourner les pages… Quand le jeune regarde un film, il reçoit les images en pleine face, surtout s’il est dans un groupe dont on ne peut pas facilement s’extraire…
C'est au parent qui se sent le plus à l'aise avec l’adolescence et tout ce qui tourne autour de la question du corps. Cela peut être la mère ou le père. Inutile, par ailleurs, de prévoir une cérémonie officielle. On en parle au cours de la vie. Il y a malheureusement des infos, des faits divers, qui peuvent fournir un prétexte à de telles discussions. L’essentiel, c’est d’en parler. On vit dans un monde si ouvert. Il ne serait pas responsable de faire comme si tout cela n’existait pas. Il faut préparer notre enfant à la vie, avec tout ce qu’elle a de positif et aussi tout ce qu’elle comporte de dangers.
16-18 ans : ils cherchent à se rassurer
Là, on parle d’images sexuelles, parfois mises en scène autour de l’évocation de sentiments, en tout cas beaucoup plus allusives, moins crues que les images pornographiques. Les ados savent bien qu’elles sont scénarisées, qu’elles ne correspondent pas à la réalité. A cet âge, ils se posent énormément de questions sur leur corps, leur construction, leurs émotions. Ils sont donc à l’affût de tous les témoignages. Paradoxalement, cela peut être rassurant, apaisant, de voir que d’autres que nous peuvent éprouver du désir sexuel.
Pour trouver des représentations de ce que peut être la sexualité, toujours dans le but de se rassurer quant à sa propre normalité, ces jeunes de 16 ans et plus sont parfois à l’affût du porno. Plus ils éprouvent ce besoin, plus ils cherchent des modèles à l’extérieur. Le problème, c’est que ce qui est montré dans le porno n’a rien de normal. Au contraire, ces images et ces films risquent d’inquiéter les adolescents, de leur suggérer qu’ils ne s’y prennent pas bien ou qu’ils ne sont pas à la hauteur. Pour certains, trop inhibés ou pas tombés amoureux, ils serviront de support à des pratiques sexuelles solitaires.
Beaucoup de jeunes pensent qu’ils doivent être sexuellement performants, ce qui les met souvent en grande difficulté. C’est pour cela qu’il est bon de répéter à votre adolescent que chacun a sa manière de vivre sa sexualité, qu’il n’y a pas de norme à adopter absolument, qu’il y a ce qui convient aux deux partenaires dans le cadre de ce qu'ils éprouvent ensemble. Il faut leur expliquer encore que l’amour, y compris la sexualité, n’est pas une affaire de technique et ne s’apprend pas dans des films, qui sont le fait d’acteurs payés pour, filmés et refilmés jusqu’à ce que soit obtenue l’image voulue, et qui donc n’ont rien à voir avec la vraie vie. On peut dire toutes ces choses en respectant son intimité, car on ne dit pas ce qu'il faut faire, on ne lui demande pas ce qu'il fait, on ne lui raconte pas notre vie intime. On livre notre point de vue de manière générale. On l’amène à comprendre que pour nous, parents, la sexualité fait partie d'un ensemble dans lequel on trouve aussi les sentiments et que les questions de technique sont vraiment secondaires par rapport à ce qu'on éprouve pour l'autre.
Les jeunes hommes ne sont pas plus violents que leurs aînés. Seuls les plus fragiles le sont, ceux qui vivent déjà dans un environnement brutal et qui sont susceptibles de trouver un modèle dans la pornographie, tout simplement parce que on ne leur en a pas présenté d'autre…
Il faut faire comprendre aux jeunes filles que ce qui compte, c'est qu'elles respectent leur propre point de vue, leur propre désir, leurs propres sentiments, et qu'il n'y a pas d'obligation à faire quoi que soit au-delà de ce qu'elles estiment bien pour elles.
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