Vie pratique

L’ARCHIVE DU MOIS
En janvier 1995, le Ligueur lance une série d’articles à la fois très intéressants et un peu flippants. Au centre du sujet, les données à caractère personnel face à la prolifération des fichiers privés et publics sur les « réseaux électroniques ». Dans ces articles, les familles ne sont pas bien présentes. Et pourtant, ils augurent de façon assez visionnaire l’univers dans lequel celles-ci évoluent aujourd’hui. C’est Foulek Ringelheim qui en est l’auteur. Décédé en 2019 à l’âge de 81 ans, celui-ci a été juriste, avocat, président de tribunal, mais aussi essayiste et romancier. Dans cette prose millésimée 1995, la connaissance du droit et l’écriture font donc bon ménage.
Au fil des articles publiés du 25 janvier au 15 février, Foulek Ringelheim lance de multiples signaux d’alarme. Dont un, épilogue du premier article, qui résonne avec force aujourd’hui : « Si les détenteurs d’un pouvoir économique influencent ou déterminent mes choix, grâce à des renseignements qu’ils possèdent à mon insu, je ne suis plus libre de mes propres décisions. Ma vie privée, ce n’est pas, finalement, autre chose que ma liberté ». Quand on connaît la force des algorithmes qui se sont développés en ce début du XXIe siècle, cette phrase n’est-elle pas à méditer et à confronter à notre utilisation des outils numériques ?
Soyons de bon compte, si les réflexions de Foulek Ringelheim se projettent dans l’avenir, elles sont aussi nourries de craintes partagées. Cette prolifération de fichiers fait craindre depuis quelques années déjà une dérive où « l’immense pouvoir concentré entre les mains de ceux qui possèdent la maîtrise de l’outil informatique » viendrait percuter les valeurs démocratiques par appât du gain et de pouvoir. En 1978, la France est la première à se doter d’une loi visant « à assurer la protection des personnes face à l’informatisation de l’ensemble de la société ». En Belgique, il faut attendre le début des années 90 pour que des lois commencent à encadrer la chose.
Trois ans avant la publication de cet article, un texte voté au parlement belge consacre « la Commission de la protection de la vie privée ». Celle-ci est devenue en 2018 l’Autorité de protection des données. Son rôle ? Veiller à ce que les données soient collectées dans les règles de l’art et qu’elles soient protégées pour ne pas être partagées n’importe comment. Un cadre légal s’impose donc.
Néanmoins, en 1995, le scepticisme règne déjà dans les pages du Ligueur : « Il serait illusoire de croire que le système de protection mis en place par la loi apporte la garantie d’une protection absolue. Les innovations technologiques dans le domaine de l’informatique et de la télématique sont si sophistiquées et si rapides qu’elles sont probablement capables de déjouer les mécanismes de contrôle ».
Ce constat est posé il y a tout juste trente ans. Le mot « hacker » n’arrivera dans le dictionnaire que cette année-là, « spam » (1997) et « hameçonnage » (2004) feront leurs joyeuses entrées lexicales dans les années qui suivent. Augurant tout une clique de néologismes riche de botnet, malware et autre pharming. Une explosion de vocabulaire bien anglicisant qui n’a fait que confirmer toutes les mises en garde sorties de la plume de Foulek Ringelheim.
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