Vie pratique

Jehanne Bergé, conteuse d’histoires vraies

Jehanne Bergé, conteuse d’histoires vraies

Jehanne Bergé est journaliste. Parce qu’elle s’apprête à publier dans nos pages une série d’articles sur les familles monoparentales, mais aussi parce qu’elle a tiré un documentaire passionnant de sa propre histoire familiale, nous avions très envie de vous la présenter !

Le parc du viaduc, à Ixelles, est un petit parc bien caché, connu surtout des habitant·es du quartier. Jehanne Bergé a prévu d’y retrouver une amie, venue lire des histoires aux enfants ce mercredi après-midi. Nous nous installons sur un banc, à quelques mètres de là.
Les histoires, nous confie-t-elle, elle a toujours adoré ça. Petite, elle aimait les lire, les écouter. Et déjà les écrire. « Je me souviens d’avoir écrit des lettres au soleil pour qu’il fasse beau. Ça a toujours été mon moyen de communication, les mots ». Un mode d’expression qui l’a aidée face aux difficultés.
« Je me suis parfois tournée vers l’imaginaire pour trouver des réponses à un chaos intérieur. Quand on est enfant, on n’a aucun contrôle sur ce qui nous arrive. Choisir des mots pour raconter, utiliser les images qu’on veut, comme on les ressent, c’est prendre du pouvoir sur ce qui nous dépasse. Ça peut être un moyen de guérison. Pour moi, ça l’a été. »
Jeune adulte, elle a vécu au Québec, au Liban, a traversé l’Iran. Elle est revenue de ces voyages avec des récits plein la tête et l’envie de les transmettre. Elle a alors suivi la formation de l’école internationale du conte, à Bruxelles, et en a retiré des outils dont elle se sert aujourd’hui dans son métier de journaliste, pour raconter des histoires vraies : « J’utilise les codes du conte au quotidien dans mon travail. Aussi bien quand j’écris un article que le scénario d’un documentaire ». Parler au présent, utiliser autant que possible des images et partir du personnel pour ouvrir vers quelque chose d’universel, sont quelques-unes de ses ficelles.

« À force de quémander, tu te déprécies »

Partir de témoignages pour engager la réflexion sur un sujet de société, c’est justement ce à quoi Jehanne Bergé s’attelle pour l’instant, à travers une série de portraits et d’articles thématiques qu’elle écrit à la demande de l’association Le Petit Vélo Jaune, qui propose à des parents en difficulté un accompagnement par un·e bénévole (petitvelojaune.be). « L’idée était de faire remonter la réalité de ces femmes, pour leur donner une place », explique-t-elle.
Ces mères célibataires, toutes isolées et d’origine étrangère, elle est allée les interviewer chez elles. Des rencontres dont elle est revenue « à la fois émue, parce que je vois ça comme de super moments de sororité ». Elle prend l’exemple de la formation professionnelle.

Parler au présent, utiliser autant que possible des images et partir du personnel pour ouvrir vers quelque chose d’universel

« Pour reprendre des études quand on est mère célibataire d’un, deux, trois enfants en bas âge, c’est l’enfer. Il n’y a rien ou beaucoup trop peu qui est fait pour aider ces femmes. Il faut être une battante, une warrior pour aller au bout. Mais ce n’est pas une fatalité. On pourrait mettre des choses en place autrement pour que ce soit plus simple. »
Elle souligne encore la « très grande force intérieure » de ces femmes, mais aussi leur solitude « immense » malgré une certaine solidarité du voisinage. Une solitude difficile à rompre, observe-t-elle, « parce qu’à force de devoir quémander de l’aide, tu te déprécies. À chaque fois que j’arrive, elles me disent : ‘Je n’ai rien à dire’. Il faut un peu de légèreté pour sociabiliser, pour que la relation naisse, et quand on est dépassée par la vie, on n’a pas de place pour ça ».

Sur les traces d’un ancêtre nazi

Au hasard d’une conversation avec sa mère, il y a quelques années, Jehanne Bergé a appris que son arrière-grand-oncle avait été condamné à mort pour avoir collaboré avec les nazis. Sa mère n’en savait pas beaucoup plus : les générations qui la précèdent ont évité le sujet. Mais la jeune journaliste, elle, a choisi d’enquêter et s’est aperçue que cet ancêtre n’était pas moins que le bras droit de Léon Degrelle et le chef de la propagande de Rex…
« C’est assez lointain pour que je ne sois pas bouleversée dans mon identité, raconte-t-elle. J’ai une distance temporelle et en termes de liens familiaux, ce n’est quand même pas très proche. C’est une position ‘confortable’ ». Dans sa famille, sa démarche n’a pas créé de remous non plus, assure-t-elle. « Ça a plutôt resserré les liens avec ma mère, le temps de l’enquête. Ça a créé un sujet de conversation entre nous deux, nous avions un ennemi commun ».
Elle a plutôt vu dans cette découverte une opportunité de mieux comprendre une zone sombre de notre Histoire, ainsi que la montée de l’Extrême-droite aujourd’hui, et en a fait un documentaire sonore. Depuis, elle a reçu des dizaines de messages de personnes bouleversées par leur histoire familiale et qui aimeraient en faire quelque chose. Son conseil ? « Prenez d’abord le temps de vivre vos émotions et de mener votre enquête. Il faut accepter cette phase de digestion. C’est ce qui permet ensuite d’ouvrir, et d’en faire un récit pour les autres ».

Découvrez le documentaire « Mon arrière-grand-oncle nazi »