Développement de l'enfant

Un grand jeu de votre bébé actuellement, c’est de jeter une fois, mille fois les objets qui sont à sa portée… et de vous regarder les ramasser. Cela le fait rigoler ou cela l’intrigue. « Il contemple la chute », résume ainsi un papa. Mais il observe aussi comment vous réagissez. Qu’est-ce qui se joue là pour votre bébé ? Qu’est-ce que ce jeu, qui l’amuse et qui vous amuse… jusqu’à un certain point, dit de ce qui se passe dans sa petite tête ?
« Assis dans sa chaise haute, Antoine adore jeter ses jouets par terre une fois, deux fois… dix fois. Il jette, on ramasse, il jette, on ramasse… Après un temps, on en a assez et on lui dit non, mais lui est prêt à continuer indéfiniment. Du coup, on retire les objets de ses mains… et il pleure. Ou on laisse les objets par terre, il essaie alors de les atteindre… mais n’y arrive pas. Il veut les récupérer pour les relancer. Ce jeu le fait rire, mais il est surtout intrigué. Il essaie, par exemple, de voir si les objets vont lui être rendus. Au bout de quelques fois, quand il les jette, il le fait mine de rien, en catimini. Oui, tout cela semble beaucoup l’intriguer », raconte, mi-réjouie, mi-excédée, Amélie, la maman de ce petit bonhomme de 9 mois.
Les objets tombent, les personnes ont des intentions
Arrêtons-nous à ce qui se passe à de tels moments avec Monique Meyfroet, psychologue clinicienne. « Je reste fascinée par les astronautes en apesanteur, commence-t-elle par confier, parce que nous avons bien intégré que, quand quelque chose est lâché, il tombe par terre et ne s’envole pas. Mais alors, pourquoi certains ballons s’envolent-ils tandis que d’autres tombent par terre ? Le problème de la pesanteur, de la gravité reste une vraie grande question. Et le bébé, en lançant des objets par terre, fait une expérimentation qui le renvoie à cette grande question. Il découvre que non seulement les objets tombent, mais qu’ils ne tombent pas toujours de la même manière, en faisant le même bruit… »
À 9 mois, votre bébé est déjà capable de mettre en lien les choses. Il peut ressentir, imaginer, expérimenter, anticiper, vérifier que si on fait quelque chose, c’est pour que quelque chose d’autre se passe, qu’il y a une intention là derrière
Et ce n’est pas tout. « C’est que, bien avant 9 mois, les enfants sont capables de comprendre et de reconnaître les intentions de leurs proches. » Le bébé découvre ainsi que son action de jeter un objet par terre n’a pas toujours le même effet sur l’autre (son papa, sa maman, un grand frère, une grande sœur…), prêt ou pas à le ramasser et à le lui rendre. Le voilà qui jette un objet, une fois, deux fois, trois fois… Et le parent le ramasse, une fois, deux fois, trois fois… « L’adulte trouve cela fantastique au début, mais au bout de la ixième fois, il ne voit pas pourquoi son petit continue le jeu, il se sent un peu "manipulé" par lui, ce qui est sans doute un peu vrai, et il lui dit : "Écoute, maintenant, c’est fini !" Le bébé va alors vérifier que c’est vraiment fini en jetant de nouveau l’objet, explique Monique Meyfroet. Donc, pour l’enfant, c’est un spectacle permanent : d’une part, intrigué par la question de la gravité, il observe l’objet qui vit sa vie en tombant, il "réfléchit" en quelque sorte à la physique des choses et, d’autre part, il comprend que son parent n’est jamais complètement le même. Celui-ci a l’intention de lui rendre l’objet qu’il a jeté par terre, mais jusqu’à quand ? Et pourquoi, tout d’un coup, ne le fait-il plus ? »
Un vrai plaisir à découvrir l’autre
Et la psychologue de poursuivre : « Ce qui se passe là est très intéressant car cette capacité de l’enfant à comprendre et à reconnaître les intentions de l’autre le rend extrêmement curieux de cet autre. Il a ainsi un vrai plaisir à découvrir les intentions de son papa ou de sa maman, et ce, même si elles ne sont pas toujours plaisantes pour lui : c’est le cas, par exemple, quand l’adulte décide d’arrêter de ramasser les jouets que lui s’amuse à lancer. L’enfant confronte sa pensée à la pensée de l’autre qui, manifestement, n’est pas la même que la sienne. Il y a là confrontation de leurs intentions et partage de leurs états émotionnels respectifs. Et quand l’enfant se confronte à l’autre, cela lui donne inévitablement énormément d’informations sur la culture de cet autre, c’est-à-dire sur ses valeurs, ses limites ("Oui, c’est drôle deux fois, mais je n’accepte pas que tu me fasses marcher dix fois")… » Et les limites de maman ne sont pas celles de papa, ou celles de la puéricultrice de la crèche ! Autre élément observable : si le bébé joue à jeter avec une autre personne que son papa ou sa maman mais en sa présence, et s’il n’est pas très sûr de son coup, il va avoir tendance à s’accrocher au regard de son parent pour y lire s’il peut ou non poursuivre son jeu à l’aise ; l’attitude de papa, de maman va en quelque sorte lui servir de guide.
On le voit, et vous l’observez avec votre bébé, l’enfant de 9 mois est déjà capable de mettre en lien les choses. Il peut ressentir, imaginer, expérimenter, anticiper, vérifier que si on fait quelque chose, c’est pour que quelque chose d’autre se passe, qu’il y a une intention là derrière. « Le bébé devient moins confus dans sa pensée. Celle-ci se complexifie. Et il découvre l’autre dans toute sa complexité. Il pense, et ce mot "penser" n’est, pour moi, pas trop fort et exagéré, insiste Monique Meyfroet. Certes, c’est une pensée à partir de deux ou trois éléments, mais le bébé pense vraiment. "Si je fais quelque chose, l’autre va faire quelque chose et cela va donner telle chose" : ceci est déjà une pensée en trois coups ! »
Les bons gestes aux bons moments
« Beaucoup de choses se passent par les yeux, raconte David, un papa conquis. De retour de la crèche, j’installe Louisa dans son siège, dans la voiture, et le temps de rejoindre ma place, on s’envoie des petits bisous… » Vous parlez à votre bébé avec vos mots et aussi avec vos expressions de visage, vos mimiques, vos gestes. C’est du bonheur, pour lui comme pour vous, de voir que les messages passent !
Autres scènes caractéristiques vers l’âge de 9 mois, décrites par Amélie, notre maman témoin du début : « C’est rigolo : Antoine secoue les mains quand on lui chante Ainsi font, font, font les petites marionnettes, il tape dans ses mains quand on lui dit bravo, il fait aussi bonjour et au revoir avec la main. Dans le bus, il agite la main et dit bonjour à tout le monde, et il sourit quand quelqu’un réagit. Il dit aussi bonjour aux voitures et aux arbres, signe qu’il n’attend pas spécialement de réponse ! Il ne comprend sans doute pas la signification des mots, mais il associe très bien les mots et les gestes. »
Au revoir, et la main de votre petit bout s’agite quand vous le laissez à la crèche ou au moment de la mise au lit. Bravo, et il bat des mains parce que vous vous réjouissez avec lui qu’il ait atteint son but – attraper ce qu’il convoitait ou arriver à contourner un obstacle au sol. À force de vous observer – « par mimétisme », comme le dit une maman –, il a appris à faire les bons gestes aux bons moments. Il vous les voit faire, avec une intention précise, cela l’intrigue, cela l’intéresse. Il vous imite (grâce aux neurones miroirs – c’est tout le champ des neurosciences). Il y a du conditionnement là-dedans. Vous êtes bon public devant ses mouvements de mains. Votre plaisir anime le sien, et réciproquement.
« Ce sont des codes sociaux dont il perçoit déjà toute l’importance, entre autres parce qu’ils sont empreints de beaucoup de renforcements positifs. Quand un enfant fait au revoir de la main, tout le monde est content et le montre, car cela veut dire qu’il a compris le code social… au-delà du geste. Mais partager des codes sociaux, c’est aussi partager des émotions, du plaisir (voire du déplaisir quand le geste ne vient pas) », souligne Monique Meyfroet.
Comme le raconte la maman d’Antoine dans son témoignage, son petit aime dire bonjour aux voitures et aux arbres. « Le monde de l’enfant est bien plus animé que le nôtre, remarque la psychologue. Les voitures et les arbres sont des objets avec lesquels il a un rapport. Cela me fait penser à un magnifique exemple que le pédopsychiatre Daniel Stern donne dans son livre Journal d’un bébé : en rampant, le bébé trouve un rai de lumière par terre ; il va lécher le sol parce que, pour lui, cela pourrait avoir le goût du miel. Ce rai de lumière a la valeur d’une expérience passée, celle du goût du miel, mais il pourrait aussi renvoyer à la couleur des cheveux de sa maman ou à autre chose… Et donc, la pensée du bébé s’appuie sur les contreforts de tous ses sens. »

Et quand il pointe du doigt ?
Autre situation qui devient habituelle : votre bébé pointe du doigt. « Il détermine un objet avec une intention, qui n’est pas toujours visible. Il distingue quelque chose qui a, pour lui, une valeur ou une signification. Un enfant qui pointe son doigt vers l’armoire nous dit peut-être qu’il a dans sa tête l’idée selon laquelle il y a un verre dans cette armoire et qu’il voudrait boire. Il s’est représenté ce qu’il y a dans l’armoire, il dit ce qu’elle représente pour lui. En pointant du doigt, il dit quelque chose de sa représentation mentale du monde. Et il est aussi en plein dans le pré-langage. »
Votre bébé fait ses expériences qui font que son monde intérieur se complexifie. « Même si vous avez parfois l’impression d’être "à son service", conclut Monique Meyfroet, dites-vous qu’il fait ses expériences… et qu’il les fait aussi en dehors de vous. Réjouissez-vous de toutes ces expériences qu’il fait, soutenez ses découvertes, pour qu’il se sente à l’aise dans son corps et dans sa tête quand il les fait. Vous visez son autonomie, mais c’est quoi un enfant autonome ? Il ne s’agit pas de le laisser tout faire tout seul au nom de la liberté pour qu’il apprenne à se débrouiller, mais bien de l’accompagner dans les actes du quotidien pour lui donner la sécurité nécessaire pour qu’il ait confiance en lui. »
L’AVIS DE L’EXPERTE
Votre bébé a sa part de mystère
Monique Meyfroet, psychologue clinicienne
Chaque bébé a sa manière de percevoir le monde qu’il construit lentement.
C’est vrai qu’on est très intéressé par son enfant, qu’on a très envie de tout partager avec lui. Mais, justement, je pense qu’il ne le faut pas. Il y a une forme de pudeur à avoir par rapport à la pensée de son enfant, par rapport à sa pensée intime, émotionnelle aussi. Au même titre que nous, on n’a pas toujours envie de dire ce qu’on pense aux autres.
Il ne faut pas que son bébé devienne transparent. On a envie de s’y intéresser, c’est sûr, on a envie de l’encourager, c’est important. Mais il ne s’agit pas de tout comprendre chez lui, de tout s’approprier de lui.
Tout n’est pas interprétable chez son bébé. Je pense que c’est bien qu’il ait et garde sa part de mystère, cela lui appartient en propre.
On ne comprend pas tout de son enfant ? On a peur de mal faire ? Mais l’enfant a aussi besoin de comprendre qu’on tâtonne. Cela fait partie de ce qui va l’aider à avancer par essais et erreurs, ce qu’il fait d’ailleurs très naturellement comme tout chercheur : il essaie, il cherche.
En tout cas, si on devait avoir une intention à son égard, cela devrait être celle du plaisir partagé. Accompagner son bébé, ce n’est pas être dans les « Ah, il a fait ça parce que ceci ou parce que cela… », c’est être dans l’émerveillement du plaisir partagé, de la connivence, voire du déplaisir ressenti ensemble.
LES PARENTS EN PARLENT…
Un nuage… au bout du doigt ?
« On dirait que notre petite Lola comprend les choses. À force de nous regarder faire, elle essaie de faire bravo, au revoir… On a aussi l’impression qu’elle pointe du doigt. Mais, parfois, il n’y a rien dans la direction de son doigt : pas d’avion, pas d’oiseau ! Peut-être un nuage… »
Héloïse, maman de Lola
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