Développement de l'enfant

« J’suis trop grosse » : bien peser vos mots pour soupeser les maux

Face aux complexes de l’adolescence, à l’image de soi parfois déformée, aux troubles alimentaires potentiels… sans mauvais jeu de mots, il va falloir la jouer fine. La place du parent, vous vous en doutez, ne repose que sur un ingrédient, un seul : la justesse. On vous aide à la viser.

Pourquoi titrer « trop grosse » et pas « trop gros » ? La question du genre n’est bien évidemment pas choisie au hasard. Deux explications à cela. La première, c’est évidemment toute la charge qui pèse sur les femmes dans la représentation du corps et de ses normes. La seconde, c’est que la difficulté à s’assumer physiquement est, encore aujourd’hui, considérée comme une problématique typiquement féminine. Difficile à assumer pour les garçons qui, en plus de se sentir mal dans leur corps, affrontent donc des maux qui ne seraient pas de leur bord. Gros tabou à dénouer. Un de plus.

► Ce que je dois savoir

Votre adote se trouve face à un miroir. Après diverses oscillations, elle lâche le sentencieux « Pfff, je suis trop grosse ». Avant que le moindre son ne sorte de votre bouche, réfléchissez bien à l’importance de trouver les termes adéquats.
Pourquoi est-ce important ? Parce que, comme nous l’apprend Laura Solinas, coordinatrice à l’asbl Miata qui mène des groupes de paroles entre parents dont les enfants sont pris en charge pour des troubles alimentaires, les remises en question des familles sont toujours les mêmes : « Qu’est-ce que j’ai dit / Qu’est-ce que j’ai fait qui a pu conduire mon enfant à cela ? ».
Les mots ont toute leur importance, même s’il n’existe pas qu’une seule piste qui explique les troubles du comportement alimentaire (TCA). Le phénomène est multifactoriel, et ces facteurs n’ont pas les mêmes conséquences d’un enfant à l’autre. Il n’existe donc aucune recette toute faite pour y pallier. « Je pense que la meilleure idée, en tant que parent, ce n’est pas de chercher des causes, mais une solution », suggère Laura Solinas.
Valérie Dubost, psychologue dont la spécialité consiste à guider les parents dans cette tempête potentielle qu’on appelle l’adolescence, insiste. Avant de prononcer le moindre mot, il est capital de se replonger dans cette période de la vie où l’on se construit par le regard de l’autre. « Votre enfant expérimente la personne qu‘il est aux yeux du monde, notamment au sein de son groupe, même s’il souhaite aussi y cultiver sa singularité. C’est conscient de ce paradoxe que le parent va agir ». Très concrètement ? Avant toute chose, ne contredisez pas, n’acquiescez pas, tâchez simplement de comprendre. « Tu te trouves grosse. Tu peux me dire d’où ça te vient, tu te trouves comme ça par rapport à qui, à quoi, à quels critères ? ».

► Comment je me prépare à le dire…

Avant toute chose, il est préférable d’écouter les souffrances - profondes ou pas. La place du parent pour être juste ? Situer son enfant. Cumuler le plus d’éléments pour bien comprendre où on met - délicatement - les pieds. Il se peut, pour diverses raisons, que les parents – l’un ou l’autre, voire les deux - ne soient pas les personnes les plus aptes à discuter de ce chamboulement. À vous de jauger. Dans ce cas, votre rôle consiste à toujours bien vous assurer que votre enfant a un·e référent·e.
Ce type de discussion ne se fait pas entre deux portes. « Pas à table non plus », insiste la coordinatrice de Miata. Quand on parle à son enfant de sujets aussi importants, on le fait à un moment que l’on a choisi. Que l’on sait détendu. Dénué d’éléments perturbateurs. « Bien réfléchir et trouver ce moment, assure-t-elle, c’est aussi apprendre à se connaître mutuellement ». Une bonne base, donc. Super. Mais pour se dire quoi ?
On passe la parole aux parents.

« Le parent doit rester le parent. Il ne trahit pas son enfant en prenant les choses en main »
Laura Solinas

Coordinatrice Miata 

► Ce que je peux expliquer

Virginie est la maman d’une grande Aline*, 12 ans, qui fait ses premières armes dans la jungle du secondaire. Comme nous l’a expliqué Alexandra Balikdjan dans un numéro récent, « chez l’ado, il y a quelque chose de propre à l’identité de soi. On va voir ce que le groupe de référence porte et on va se l’approprier ». Dans le cas d’Aline, la référence c’est « la taille 32 », appuie Virginie, en forçant le trait.
« Ma fille a intégré l’idée que les filles qui ont la cote sont très très minces. Elles sont d’ailleurs dans une espèce de culte de la minceur, dans les discussions, vis-à-vis des stars, influenceuses et autres égéries qu’elles adulent. Immanquablement, tout cela refile pas mal de complexes à Aline qui n’arrête pas de répéter depuis la rentrée qu’elle est trop grosse. Que rien ne lui va ! Qu’elle veut cacher son corps. On énumère toutes ses qualités, histoire de lui montrer qu’on peut s’accepter autrement qu’avec le corps d’Ariana Grande. »
Pour être belle-populaire-cool-appréciée : il faut être très mince, parfois même maigre. On en a recueilli beaucoup des témoignages qui vont dans ce sens.
Que dire ? « Expliquer ce qu’il se passe, répond du tac au tac notre psy. Dans le cas d’Aline, votre adote vous parle de l’écart qui existe entre la norme esthétique de son école, à laquelle il faut coller, et celle de son reflet dans le miroir ». Plus l’écart perçu entre cette image dans le miroir et ce qu’elle croit qu’il faut atteindre pour être belle-populaire-cool-appréciée est élevé, plus il se crée un stress chez l’ado. Plus il y a stress, plus il y a volonté d’y pallier. Valoriser son enfant par des évidences qu’elle n’entendra pas du type « Mais tu es très bien comme tu es » peut être contreproductif. Mieux vaut le faire par ses capacités, ses dons. Ou même attirer l’attention sur d’autres atouts. Ses magnifiques cheveux qui lui donnent si fière allure. Ses yeux immenses. Son regard unique. Son timbre de voix qui vous ensorcelle.

► Ce que je peux dire

Dans d’autres cas, les parents s’inquiètent. L’adote se trouve effectivement en surpoids. Ainsi Andréa*, papa de Constance*, 15 ans, partage son désarroi dans nos pages. « Côté chiffres, l’IMC de ma fille est dans le rouge. Difficile quand on parle poids, alimentation, troubles alimentaires éventuels d’être tout à fait transparent. Ça ne m’empêche pas de la trouver sublime. Mais je m’inquiète d’abord pour sa santé. Et aussi du fait qu’elle revendique une lecture très hype qui consiste à rejeter la minceur, teintée d’injonction patriarcale. Ni sa mère, ni moi ne savons comment aborder la chose ».
Le faut-il ? Pour Valérie Dubost, c’est à évaluer au cas par cas. Elle invite au pas de côté. « Une certaine forme de grossophobie a encore de beaux jours devant elle. On pense que les personnes en surpoids sont fautives. Qu’elles manquent de volonté. On leur trouve plein de tares qui tournent autour de l’idée, si on creuse un peu, que ce n’est finalement pas normal qu’elles s’acceptent telles qu’elles sont. Je pense qu’avant toute chose, il est de bon ton de procéder à un petit examen de conscience ».
Constat partagé par Laura Solinas, qui complète : « Ce papa ne peut que féliciter sa fille de combattre ces injonctions solidement ancrées dans nos sociétés. Si le rapport entre les deux est bon, il peut partager ses craintes avec sa fille. ‘J’ai une inquiétude pour des raisons à moi, vis-à-vis de ta santé, ça ne m’empêche pas de te trouver magnifique. Mais ta santé est précieuse. On peut se renseigner ensemble. On peut lire des trucs’. Le parent doit rester le parent. Il ne trahit pas son enfant en prenant les choses en main ».
Les ressources ne manquent pas. Au cours de nos discussions autour de l’article, pas mal d’adolescentes nous ont parlé d’un podcast à écouter et à faire écouter : Prends-en d'la graine, notamment l’épisode 21 sur les troubles alimentaires. La coordinatrice de Miata conseille de son côté de laisser traîner des lectures, livres, articles. En un mot, de laisser faire son chemin. C’est finalement uniquement de cela qu’il s’agit.

ZOOM

Régime, pas régime ?

Ne tergiversons pas, tout régime est très problématique. Il enclenche un processus psychologique de l’ordre de la « restriction cognitive ». Valérie Dubost et Laura Solinas nous l’expliquent avec les mêmes termes : les connexions se rigidifient. Véritable enfer neurologique, dont, paradoxalement, on se sort en s’alimentant, le plus souvent n’importe comment. Attention donc aux solutions radicales. Attention aussi aux prises de sang qui ne révèlent pas toutes les carences. Veillez à ce que votre ado ne se réfugie pas dans certains aliments pour compenser les ressentis négatifs. Par exemple, ces derniers renforcent le besoin de sucre. Donnez-leur des outils pour se protéger des duretés de la cour de récréation. Au Ligueur, on aime beaucoup les jeux de Geneviève Smal qui proposent de s’armer intelligemment. Et bien sûr, tout sport ou activité créative, tout lien avec des ami·es et les super moments avec les parents valent tous les régimes du monde.

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