Crèche et école

L’inscription, par-delà les discriminations

Comme s’il n’avait pas suffisamment de pression comme ça, une responsabilité incombe au parent quand il inscrit son enfant dans le secondaire : le projet de société auquel il participe. Engagement bien plus important qu’une simple orientation. Discutons-en avec Alain Maingain, acteur du monde de l’enseignement, auteur de Quelles écoles pour demain ? (Mardaga).

Pendant les démarches qu’ils effectuent, les parents vont beaucoup entendre parler du décret inscription. Avant lui, comment se déroulaient les inscriptions ?
Alain Maingain :
« Nous étions dans un système où les écoles choisissaient leur public et les familles leur école. Une sorte de cooptation qui permettait de façon à peine cachée toutes formes de discriminations. Un·e chef·fe d’établissement pouvait dire : ’Nous n’acceptons que les élèves qui ont 80 % de réussite’. D’autres arguments malheureux entraient en ligne de compte, d’ordre sociologique, géographique, religieux, culturel et bien sûr financier. L’arbitrage et l’arbitraire se faisaient en fonction de la direction de l’établissement. Certain·e·s directeurs et directrices m’expliquaient qu’avant le décret inscription, ‘les parents venaient [leur] manger dans la main’ ».

Qu’est-ce que le décret inscription apporte comme changement ?
A. M. :
« J’étais directeur du Sacré-Cœur de Linthout à Woluwe-Saint-Lambert, où je subissais pas mal de réflexions sur les quotas de Turcs, d’Africains dans mon établissement de la part des parents, comme des enseignant·e·s. Avec le décret inscription, je me suis retrouvé avec un argument de poids, celui de dire que chaque élève est à sa juste place. Le premier objectif du décret est de faire en sorte que les discriminations ne sont ouvertement plus possibles. Après, tout un tas d’éléments échappent à la bonne volonté des écoles, comme les quartiers, l’environnement, la stratification des villes, etc. Tout ce qui est lié à la mixité ne se décrète pas. »

Quelles sont les discriminations subies par les familles au moment de l’inscription ?
A. M. : « Il existe toute une série de facteurs exogènes. La réputation d’un établissement, par exemple. Une école qui serait située dans un coin huppé, plus ou moins accessible en transports, a une position discriminante qui favorise un entre-soi. Même si on donne un coup de pouce avec l’indice composite à d’autres élèves qui voudraient s’orienter dans ce type d’école, il y a un effet de pignon. Les élèves y ont les mêmes codes, la même façon de vivre. Ailleurs, une série de facteurs sont excluants. Le bouche-à-oreille, le discours plus ou moins empathique des établissements comme ‘Vous êtes sûr·e que votre enfant va s’épanouir chez nous ?’. Le coût exorbitant des voyages scolaires en rhéto. Le plus souvent, ce n’est même pas réfléchi, c’est intégré. Ça passe par un niveau de langue dissuasif, par une façon d’annoncer l’école, par une gestuelle. Il y a une formation à l’interculturalité qui manque. »

C’est un problème d’identité collective ?
A. M. : « Dans des villes comme Bruxelles, Liège ou Charleroi, il existe très globalement une hétérogénéité de public. Elle peut être culturelle - on trouve différentes strates d’une classe moyenne ou d’une classe bourgeoise, par exemple -, mais elle est rarement sociologique. Une vraie mixité sociale et culturelle, c’est rare. Une approche de Christian Maroy, chercheur en sociologie à l’UCLouvain, consiste à répartir les élèves avec une vraie volonté d’équilibres. Pourquoi ? La carte scolaire à la française, elle est contournable. Le principe du bus scolaire à l’américaine, ça ne résout pas les problèmes de codes. Le tirage au sort est insupportable et rebute les parents. La seule solution équitable pour atteindre une mixité réelle, c’est un système qui veille au mélange équilibré des strates. »

À quoi peut veiller le parent au moment des inscriptions ?
A. M. : « C’est exactement comme pour l’écologie. Ou la mixité devient un projet collectif, ou on n’y arrive jamais. Est-ce qu’on choisit une société apaisée, plus ouverte, plus interculturelle ou pas ? Il faut une stratégie groupée. On peut essayer de rééquilibrer le système entre parents pour ne pas rester dans l’entre-soi. Ce qui est incroyable, c’est de constater qu’à la crèche, en maternelle ou en primaire, les familles ne se posent pas la question du ‘nivellement par le bas’. C’est à partir du secondaire qu’on quitte ce qu’on a connu. Là, rentrent en compte les logiques de compétition et d’accès aux études supérieures. C’est de ce réflexe qu’il faut se départir. Quelle est la meilleure plus-value, une individuelle ou une collective ? À mon sens, il est fondamental de réfléchir au projet sociétal pour son enfant. Et à quelle condition on y arrive. C’est aussi une façon de décider du choix de son école. Ce serait intéressant qu’un parent interroge son futur établissement à partir de ces critères : son idéal de société, sa culture et son projet collectif. Du temps où j’étais directeur, un parent m’interroge sur le drill qu’on y pratique dans l’école. Je lui ai répondu : ’Tout ce que je peux vous garantir, c’est que votre enfant y mènera une scolarité ouverte et apaisée’. »



Yves-Marie Vilain-Lepage

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