Vie pratique

Une école qui se construit en famille

Dans un « écolieu » niché à Couvin, des parents en enseignement à domicile explorent une approche éducative qui transforme les relations familiales

Dans un « écolieu » niché à Couvin, des parents en enseignement à domicile explorent une approche éducative qui transforme les relations familiales.

Près du feu ouvert, Maud raconte une histoire à sa fille, Édith. La petite est sur ses genoux. La journée se passe dans une yourte, une tente ronde avec un puits de lumière au sommet. À l’intérieur, une pièce aménagée en différents espaces. « La yourte, c’est l’endroit des enfants ». Des paniers remplis de blocs en bois colorés. Un bol avec un mélange de marrons et de cailloux dorés.
« L’enfant va apprendre ce dont il a besoin pour grandir si son univers est assez riche, diversifié et inclut des personnes ressources bienveillantes ». À Bruxelles, la fille de Maud allait à la crèche et son fils, Ari, était en maternelle. « J’ai l’impression que si on avait continué dans ce schéma-là, je les connaîtrais moins ».
Ici, les accompagnant·es sont en grande partie des parents. « Cette proximité associée à un questionnement sur les apprentissages, ça change énormément le lien qu’on a avec nos enfants », poursuit Maud. Pourtant, l’instruction en famille n’était pas son intention au départ. L’idée est née au moment du choix d’école pour Ari, son aîné. En explorant les programmes d’école traditionnelle, elle y retrouve la subordination des enfants. « C’est venu toucher des choses que j’ai vécues, moi ».
Aux Herbes Hautes, le nom de la structure, Maud a plusieurs casquettes. Celle de maman, d’accompagnante et de coordinatrice. Le noyau de la structure est composé des deux initiatrices, de deux accompagnants référents ainsi que d’une maman plus investie. Garant·es de la pérennité du projet, ils et elles se réunissent régulièrement, avant d’impliquer les enfants dans les décisions qui les concernent, et de leur offrir un espace de liberté où ils peuvent choisir leurs activités. « On a des choses à déconstruire, comme le modèle de l’adulte dominant ».

Naissance du projet

Mars 2020. Deux couples bruxellois – Maud et Benjamin, Aurélie et Alexis – décident de passer leur confinement au domaine Saint-Roch, à Couvin. Des discussions les animent. Des projets les motivent. Dans la tête de Maud, il y avait un projet éducatif alternatif. Dans celle d’Alexis, l’idée d’un « écolieu », un lieu de vie où l’environnement, le bien-être humain et le respect animal sont au cœur des préoccupations et d’une vie communautaire très active. À la fin du premier confinement, en septembre 2020, ils et elles prennent la décision de s’installer à Couvin.

Maud - Maman, accompagnante et coordinatrice dans l’« équipe cœur » des Herbes Hautes
« On apprend à vivre en collectif et je pense que ça a des répercussions sur les familles »
Maud

Maman, accompagnante et coordinatrice dans l’« équipe cœur » des Herbes Hautes

Une année de réflexion. Au bout de celle-ci, les Herbes Hautes ouvrent leurs portes en septembre 2021 et attirent d’autres familles. Le projet ? Une école démocratique implantée dans cet « écolieu » riche de bois, d’une rivière, d’un maraîchage et d’une boulangerie.
Quatre des dix familles impliquées dans le projet habitent sur place, notamment des Français qui viennent de Paris et pratiquaient déjà l’instruction à domicile. Ils cherchaient un endroit avec une réflexion autour de l’enfant. Les maisons sont indépendantes, mais des salles communes vont être aménagées. Maud explique : « On a dû mettre des choses en place pour que les enfants ne passent pas leur journée de 9h à 18h toujours en interaction en continue avec les autres enfants. On apprend à vivre en collectif et je pense que ça a des impacts sur les familles ». Le retour à la maison peut parfois être difficile avec la fatigue et les émotions très fortes. « On a besoin d’avoir des temps en famille aussi ».

« Les Herbes Hautes »

Un membre du « groupe cœur » et des parents accompagnants sont présents chaque jour pour guider les enfants. « On n’a pas tou·tes été spécialement formé·es pour être avec un groupe d’enfants, glisse Maud. Il y a des moments où ce n’était pas facile ni pour Édith ni pour moi ». Petite, sa fille était parfois jalouse. « Elle m’accaparait, c’était donc plus difficile d’être focus sur le groupe ».
Un groupe qui s’est étoffé, d’autres enfants le rejoignant au fil du temps. Si une famille est intéressée par le projet, une première rencontre est organisée. Des journées d’immersion enfant/parent sont aussi prévues. Après l’inscription, un essai d’un mois est demandé. « On a besoin que les personnes qui nous rejoignent adhèrent vraiment au projet ». Aux Herbes Hautes, il y a deux types de familles : celles déçues par le système traditionnel et celles adeptes de l'enseignement à domicile en quête d'un collectif qui offre plus d'interactions pour leurs enfants.
La première année a été compliquée. Il a fallu réajuster et persévérer. Aujourd’hui, deux personnes sont rémunérées : des accompagnant·es référent·es pour guider les parents. Marine est enseignante et psychopédagogue. « En quatre ans, je sens qu’on est tous et toutes monté·es en compétences ». Le lien adulte/enfants est remis en question en permanence. « Quand est-ce qu’on oblige nos enfants et pourquoi ? Quand est-ce qu’on leur fait confiance ? ».
D’autres intervenant·es proposent également des activités. Un atelier de carnaval est proposé par Artemisia, une accompagnante qui organise des ateliers artistiques. Aujourd’hui, il faut remettre des couches de papier journal et de colle sur des masques. « J’ai une trop bonne idée, je vais ajouter des trucs comme ça », s’enthousiasme Victoria. « C’est la quatrième année qu’elle est là, elle est heureuse », affirme sa maman, sereine. Un soulagement après l’inquiétude.
Victime de harcèlement dans son ancien établissement situé en région couvinoise, Victoria avait verbalisé son vécu : « Maman, si je reste dans cette école-là, je me suicide ». La maman, démunie, réfléchit à une alternative avec son mari. Lorsque s’ouvrent les Herbes Hautes, la réponse est au bout de la rue. Elle n’avait jamais entendu parler de projets éducatifs alternatifs comme celui-là.

l'école les herbes Hautes à Couvin

Une école qui évolue avec les enfants

Victoria a aujourd’hui 12 ans et fait partie des plus âgé·es. « Plus on grandit, plus les attentes par rapport aux référentiels communs mettent la pression sur l’instruction en famille », dit Maud. L’année prochaine, Victoria entre en 1re secondaire. Il y a un souhait de rester aux Herbes Hautes. Mais certaines craintes s’expriment. Victoria nourrit la peur de ne pas avoir le niveau requis si elle retourne dans le classique, même si les accompagnant·es l’estiment complètement à niveau. Les évaluations officielles devant confirmer ce point de vue. La maman avance une autre préoccupation : « Pour les ados et leurs problématiques, on n’est peut-être pas encore assez bien formé·es ». 
Maud se montre favorable à l'idée, tout en reconnaissant la nécessité de certaines adaptations. En raison de certains constats relevés lors de l'accompagnement d'adolescent·es dans le passé, plusieurs pistes sont à l'étude. Parmi celles-ci, la mise en place de synergies avec d'autres projets éducatifs de la région, une formation continue pour l’équipe éducative ainsi que la construction de nouveaux espaces au sein de l’écolieu pour de nouvelles activités.
Retour dans la yourte. « Tu pioches Felixouille », lance l’un. Trois enfants jouent à La Grosse Berta, un jeu sur la Première Guerre mondiale que Marine a connu dans son ancien boulot. « Hop là, 105 points », s’exclame l’autre. On pourrait penser qu’ils et elles ont le même âge, mais quelques années les séparent. Il n’y a pas de classes d’âge pour ces enfants âgés de 4 à 12 ans.
Terminés, les masques de carnaval sèchent au coin du poêle. Le repas du midi est servi. Benjamin, un papa boulanger, arrive avec deux pains frais dans les mains. Lundi, c’est tartine et soupe, le tout organisé, via un document en ligne, par une famille différente chaque semaine. Le repas terminé, les enfants nettoient chacun leur bol dans des bassines.
« Macha, tu as fait ta mission ? », demande un papa. La mission ? Une routine partagée d’après-repas. Jack, lui, a déjà fait la sienne. Vider, rincer le seau des toilettes sèches et remettre des copeaux de bois. Sur la fenêtre, un tableau liste les tâches : nourrir les poules, secouer les tapis de la yourte, etc. « On les emploie carrément à la maison maintenant », dit Maud en rigolant.
Le principe du conseil d’école aussi a été récupéré par certaines familles. Un moment de partage où les enfants participent aux décisions qui les concernent. « Ça fait parfois du bien de se faire remettre à sa place, j’apprends plein de choses sur moi et ma façon d’être maman », conclut la maman de Victoria.

EN SAVOIR +

Quel cadre légal ?

Les Herbes Hautes est une école privée assimilée à de l’enseignement à domicile. Les enfants sont déclarés auprès de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Au début de chaque année, les parents sont tenus de remplir un formulaire de déclaration d’enseignement à domicile. Il est valable pendant un an et doit être renouvelé chaque année. Les responsables légaux sont tenus d’amener leur enfant passer les tests organisés par la FWB en P1, P3 et P5. Le CEB doit avoir été obtenu durant l’année scolaire des 12 ans de l’enfant.

Combien ça coûte ?
Un investissement en temps et en argent est demandé aux parents. Si un enfant vient les quatre jours et qu’un parent fait une journée de bénévolat par semaine, cela revient à 150€/par mois. Les deux variables (argent/bénévolat) peuvent être modulées. « Jusqu’à un certain seuil », précise la structure qui n’est pas subventionnée.

Les Herbes Hautes à Couvin

Crèche et école

Une école alternative construite en famille (reportage photo)