Vie pratique

L'Intelligence Artificielle remplacera-t-elle les parents ?

Si l’on parle d’intelligence artificielle (IA) depuis 1955 (!), c’est seulement depuis 2023 que l’IA générative, celle qui crée des contenus écrits, audios, vidéos spécifiques, s’est popularisée avec l’arrivée de ChatGPT. Si certain∙es s'en inquiètent, d'autres s'en réjouissent. C'est le cas de Dominique Mangiatordi, acquis à la cause IA. Un récit qui interpelle.

Ingénieurs, philosophes, psychologues, chroniqueurs et chroniqueuses se sont répandus sur le sujet, mais rarement, voire pas du tout, sous l’angle de la parentalité. Pour écrire cet article, nous avons bénéficié des réflexions et surtout démonstrations de Dominique Mangiatordi, entrepreneur, promoteur de l'IA en entreprise, directeur de ØPP, studio belge dédié à la gamification, enseignant et surtout utilisateur quotidien de ChatGPT. Plus que des discours, il nous a montré les possibilités d’un outil comme Magic School qui propose de multiples aides aux enseignant·es, par exemple un générateur de questions à partir d’un article de presse en fonction du niveau des élèves.
« C’est évidemment un plus, précise-t-il, si ces outils permettent de gagner du temps ou offrent des possibilités pour faire des choses que nous ne faisions pas auparavant. Nous avons tous reçu des superpouvoirs. Si on laisse un peu de notre ego de côté, il y a moyen de découvrir de nouvelles pratiques et de s’amuser en réalisant des tâches plus complètes et plus créatives. »

Coup de pouce à la parentalité 

L'IA peut-elle s'avérer tout aussi utile pour les parents ? Plein de convictions, Dominique Mangiatordi prend l’exemple du harcèlement scolaire pour nous en convaincre en testant l’outil. Il dicte : « Je suis le papa d’un petit garçon de 7 ans qui s’appelle Romain. Ce matin, il s’est fait harceler en classe. J’aimerais le réconforter et surtout avoir un plan d’action pour résoudre le problème. Peux-tu m’aider ? ».
ChatGPT commence par compatir, son français est impeccable et, surtout, il fournit une réponse détaillée, nuancée et empathique, digne des meilleurs articles sur les relations interpersonnelles. Sa réponse propose une vraie stratégie à court et à long terme. Qui plus est, on peut lui demander d’adapter le vocabulaire de ses réponses pour en parler à un enfant de 7 ans ou en fonction de la personnalité du parent, par exemple en ajoutant une pointe d’humour. Cela ne vaudra jamais les conseils d'un·e vrai·e spécialiste, humain·e, du harcèlement scolaire, mais ça peut servir de base de réflexions.
La valeur ajoutée de l’IA sera fonction des compétences pédagogiques de chacun·e, de sa psychologie, de ses choix. Pas question de se lancer de manière aveugle dans les propositions de ChatGPT qui doivent être vérifiées. Notre liberté d’action ne doit en rien être altérée. Si des dérives sont toujours possibles, Dominique Mangiatordi se fait l'avocat de l'IA.
« Si je pense à toutes les situations difficiles où, en tant que papa, j’ai eu à discuter avec mes enfants et que j’ai interrogé ChatGPT, il a souvent été une aide et même meilleur que moi en étant plus logique, plus calme, moins influencé par des biais cognitifs qui empêchent de prendre des décisions rationnelles. »
Petit aveu de sa part : « Je me fais coacher chaque matin par Roger, mon avatar sur ChatGPT, à la fois parce que c’est un labo dans mon métier, mais aussi parce que ses conseils sont impressionnants et personnalisés ». Un discours plutôt positif ? Opportunités ou méfiance ? « J’invite tout le monde à essayer », conclut-il.
Tout en étant attentif à la fiabilité de l’IA. On a eu l’exemple de ces médecins virtuels que Google a retiré du marché à cause des risques qu’ils faisaient courir. « ChatGPT parle de réponses probables. L’IA se base sur des démarches scientifiques, explique notre expert, et comme toute démarche scientifique, le degré de fiabilité d’une réponse peut se calculer et être verrouillé par des outils de contrôle de contenu ».

Addiction quand tu nous tiens

Il y a quelques années, un épisode de la série télé Black Mirror montrait la chanteuse américaine Miley Cyrus dans un futur proche, qui avait créé sa propre poupée en IA en la nourrissant de son vécu, en lui apprenant à parler comme elle. Vous pouviez acheter cette poupée et interagir avec elle. C’est comme si vous aviez la chanteuse à domicile comme copine. Cette fiction est maintenant une réalité, courante en Asie. Ce qui veut dire qu’il est désormais possible de créer virtuellement une personne de sa famille avec laquelle il est possible d’interagir et de créer une addiction malsaine.

« Nous devons être prudents et veiller à ce que l’IA aille dans le bon sens »

Danger ? « J’ai plus d’inquiétudes aujourd’hui sur l’impact des réseaux sociaux sur le comportement et les relations des enfants, mais aussi des adultes. Ils sont de plus en plus perfectionnés et efficaces pour nous rendre addictifs, comme TikTok. Or l’IA est partout à l’œuvre dans les réseaux sociaux via des algorithmes de calcul d’addiction. C’est là que l’on perd les enfants, constate Dominique Mangiatordi, parce qu’ils sont véritablement captés par ces contenus ». Et inversement : les enfants peuvent aussi perdre leurs parents. On entre dans un espace de non-vie.

Des relations 3.0

Mais, comme les réseaux sociaux, l’IA interfère de plus en plus dans nos relations amicales et amoureuses en proposant de se créer un partenaire artificiel. Récemment, l’Américaine de 36 ans Rosanna Ramos a fait les gros titres de la presse internationale en décidant de se marier avec son compagnon, un avatar créé grâce à l’outil d’IA Replika pour profiler son homme idéal. Celui-ci était tellement « perfectionné » qu’elle en est véritablement tombée amoureuse.
En Belgique, un homme éco-anxieux, aux tendances suicidaires, aurait été poussé à mettre fin à ses jours par l’IA Eliza, une IA de compagnie, à l'inspiration déjà fort ancienne, axée sur la psychiatrie. Woetbot lui a aujourd’hui succédé en fluidité et en imitation de la psychologie humaine.
Si Rosanna Ramos a pu s’inventer une relation en allant chercher des émotions, de l’intimité, de la compréhension et de l’attention dans le virtuel, qu’est-ce qui empêcherait nos enfants et nos jeunes de le faire à leur tour, par exemple en se créant des parents virtuels ? Certain·es y voient les risques d’une vraie dépendance émotionnelle et des dangers pour la santé mentale d’autant que ces chatbots, des robots de conversation, ne cessent de se développer en se rapprochant de plus en plus d’interactions humaines. Qu’est-ce qui empêcherait un enfant ou un jeune à aller chercher un réconfort – certes factice – auprès d’une IA totalement disponible qui le comprend et le soutient ? Au risque de l’isoler de ses proches, voire pire.
« Ce serait naïf de penser qu’il n’y a pas de risques, reconnaît Dominique Mangiatordi, mais je pense qu’on exagère avec les peurs. Philosophiquement, je suis du côté de celles et ceux qui pensent que les humains s’organisent très mal entre eux, sinon il n’y aurait pas tous ces problèmes dans les relations parents-enfants et toutes ces guerres. Je crois que l’IA peut être un formidable compagnon de route de l’humanité pour nous aider à mieux nous organiser entre nous. Mais nous devons être très prudents et veiller à ce qu’elle aille dans le bon sens. Tous ces outils appartiennent à des entreprises américaines ou asiatiques. Je suis désespéré de voir la vieille Europe mener les mauvais combats. On manque d’acteurs majeurs sur l’IA en Europe et la façon dont celle-ci veut la réguler est hyper défensive et à côté des vrais problèmes. Il y a un manque de vision. C’est insupportable. »
Sans oublier que se protéger des dérives possibles de l’IA passera par l’intelligence naturelle, et donc l’éducation, une éducation non artificielle elle, y compris à des valeurs comme le respect de l’autre.

► La question du numérique vous intéresse ? La Ligue des familles propose un cycle « La face cachée du clic » qui explore le sujet

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