Santé et bien-être

La pédopsychiatrie, c’est aussi pour les tout-petits (et leurs parents)

Consultation, santé mentale, tout-petits, lien mère-enfant

Dans le monde de la petite enfance, le panel des professionnel·les qui peuvent entourer enfants et parents est extrêmement large, du médecin de famille pour les questions du quotidien à l’hyperspécialiste dans les cas les plus spécifiques. Entre les deux, il est une discipline souvent oubliée, la pédopsychiatrie.

Alors qu’elle est plutôt bien connue des parents dont les enfants fréquentent l’école, notamment parce que parfois recommandée par un centre PMS (psycho-médico-social), la pédopsychiatrie n’entre que très rarement dans le champ parental quand il s’agit des tout-petits. Par manque d’informations sur ce qu’elle est vraiment, d’une part, mais d’autre part, surtout par son intitulé.
Biberonné aux séries et documentaires sur les tueurs en série et autres sociopathes, le premier parent interrogé sur sa connaissance de la spécialité lance spontanément : « Nan, mais la psychiatrie, c’est vraiment pour les cas super graves, quand on ne peut plus vraiment faire quelque chose. Si on met ‘pédo’ devant, c’est juste que ça concerne des enfants ».
Pédopsychiatre et psychothérapeute au centre Thérapsy à Forest, Agnès Zonabend ne peut être qu’en désaccord avec cette définition un peu à l’emporte-pièce. Avec elle, on reprend donc les bases et on explore un peu plus en profondeur sa profession.

On connaît donc très mal la pédopsychiatrie en version petite enfance. Vous, comment définiriez-vous votre métier ?
Agnès Zonabend :
« Je suis d’abord un médecin, spécialisé en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. À ce titre, je suis à même de pouvoir prescrire des médicaments si nécessaire et mes consultations sont remboursées par l’Inami. Ces deux points, entre autres, différencient notre profession de celle des psychologues (ndlr : à l’exception de celles et ceux conventionné·es depuis la réforme Vandenbroucke en février dernier). Avec les petit·es en âge de parler, je me présente comme un docteur qui s’occupe des enfants qui ont un petit souci dans leur tête. Dans la pratique, le ou la pédopsychiatre, comme tout médecin, observe et évalue les symptômes présents ou rapportés par les parents avant d’établir un diagnostic. Comme on est dans le domaine de la petite enfance, avec un développement rapide , cette évaluation est toujours très dynamique, il n’y a rien de figé. Évidemment, les parents sont très fortement impliqués dans les consultations, même quand ils sont séparés, en instance de séparation ou en conflit. »

Concrètement, dans quelles situations peut-on venir consulter chez vous ?
A. Z. :
« Ici, c’est un lieu où on peut parler de tout. On peut passer la porte sans danger, je ne suis pas là pour juger, je suis là pour répondre à la demande d’un parent. Ce peut-être parce que son bébé lui semble trop pleurer, parce qu’il ne joue pas avec les autres à la crèche, parce qu’il a x mois et qu’il ne marche pas encore, parce qu’il n’entre pas ou peu en communication avec le monde extérieur… Je peux également intervenir dans le soutien de la relation mère/bébé, dans des problématiques liées à l’adoption ; le champ de la pédopsychiatrie est très vaste. Et puis, il faut le signaler, contrairement à ce qu’on peut penser, ce n’est pas un service de deuxième ligne, de dernier recours. Dans mes consultations, je reçois aussi des enfants et des parents qui vont ‘bien’, avec qui on est vraiment dans des logiques de guidance, de soutien à la parentalité. Personnellement, j’ai la double casquette de pédopsychiatre et psychothérapeute, cela veut dire qu’à la suite de l’évaluation et du diagnostic clinique, je peux continuer la prise en charge de différentes manières, soit en assurant moi-même le suivi psychothérapeutique, soit en prenant le rôle de médecin référent quand il y a un suivi par une logopède ou un psychologue spécialisé, par exemple. »

Agnès Zonabend - Pédopsychiatre et psychothérapeute
« Le pédopsychiatre est là pour soutenir les parents, les déculpabiliser, leur donner des pistes. C’est un travail en équipe qui se joue »
Agnès Zonabend

Pédopsychiatre et psychothérapeute

Avoir des tout-petits comme patients, on peut imaginer que cela demande une approche très spécifique. Comment faites-vous avec ces enfants qui parfois ne sont même pas en âge de parler ?
A. Z. :
« Pour ce qui est de l’interaction directe avec l’enfant, il est évident qu’on ne peut pas parler à un tout-petit comme on parle avec un enfant de 8 ans ou avec un ado. Avec un bébé de 7-8 mois, je vais par exemple chercher son regard, lui tendre des objets, etc. Pour compléter l’évaluation, l’observation est importante : le comportement du bébé, ses réactions aux différents stimulus, son attitude pendant le discours des parents mais aussi l'attitude de ces derniers… Avec un plus grand, je vais être dans une interaction plus directe, et voir ce qu’il se passe quand on lui lance une petite voiture, quand il voit des marionnettes. Je vais aussi travailler avec le dessin, comme les ébauches du bonhomme têtard. À chaque âge et en fonction de chaque enfant, c’est très différent, toutes les situations sont uniques. Il va y avoir des enfants qui resteront seuls avec moi un petit temps dans le bureau, le parent attendant un moment à l’extérieur. Cela me permet d’observer quelque chose, d’autres avec qui ce ne sera jamais le cas. »

Qu’est-ce que peuvent attendre les parents d’une consultation chez un·e pédopsychiatre ?
A. Z. :
« Les parents, et particulièrement ceux de jeunes enfants, font face à une grosse pression sociale, à toujours plus d’injonctions à être des parents parfaits, à coller à des normes imposées par le monde extérieur. Ils sont aussi abreuvés d’informations qui disent tout et son contraire, ce qui génère beaucoup d’angoisses. Nous, nous sommes là pour les soutenir, les déculpabiliser, leur donner des pistes. C’est un travail en équipe qui se joue, avec le pédopsychiatre comme point de contact, comme socle pour les parents. Pour moi, il est question de guidance parentale, de réassurance, de soutien. Ce peut être très simple et très court parce qu’on va vite mettre le doigt sur ce qui pose problème, on va alors travailler sur les clés pour rassurer l’enfant, pour aider le parent à mettre un cadre et des règles. Ces consultations permettent de débloquer des situations angoissantes, de soulager la famille et de faire disparaître des petits symptômes. Mais parfois, cela peut être plus lourd, par exemple dans le cas d’un enfant de 3-4 ans qui ne communique pas, qui reste dans son monde. Ici, on va tout mettre en œuvre pour pouvoir poser un diagnostic le plus juste possible, envisager les soins les mieux adaptés et offrir le maximum de soutien aux parents. »

Quel va être le rôle du parent lors des rendez-vous ?
A. Z :
« Dans mes consultations, il s’agit d’une relation de médecin à patient·es, ce cadre doit rester strict. Pour autant, c’est un métier très humain, où on va beaucoup travailler sur l’intime. Cela veut dire que le parent doit accepter de se livrer, de raconter sans détours l’histoire de la famille, de ses propres parents, de son enfant, les antécédents familiaux, les maladies… Ce ‘scan’ historique est d’ailleurs au cœur des premières séances, qui durent en général une heure. Ça laisse le temps de laisser sortir les choses qui vont me permettre de comprendre au mieux et d’analyser en profondeur chaque situation. Ainsi, il faut rappeler que nous sommes dans une relation de soin. Pour que ma consultation soit le lieu sécurisé d’expression des émotions des patient·es, je dois moi-même garder une certaine ‘distance’. Pour tenir ce cadre, qui est le garant d’une prise en charge professionnelle, j’ai, par exemple, pour règle de ne pas embrasser les enfants lorsqu’on se dit bonjour ou de ne pas prendre moi-même dans les bras un bébé qui pleure, mais au contraire d’accompagner la maman pour l’aider à calmer son bébé. »

Est-ce qu’il y a un public parental pour qui les consultations en pédopsychiatrie devraient être particulièrement conseillées ?
A. Z. :
« Le public qui me vient en tête est celui des jeunes mamans. Parce que plus encore que les autres parents, elles sont particulièrement vulnérables à cette pression de la société qui nous astreint au bonheur ; à ce mythe qui veut que la naissance soit le plus beau jour de leur vie, alors même que l’arrivée d’un enfant provoque bien naturellement chamboulements émotionnels, interrogations, inquiétudes et autres baby-blues... En conséquence de quoi, elles ont peur de mal faire, peur de faire des erreurs, peur de ne pas être parfaites. Pourtant, devenir parent, c’est un apprentissage et on a le droit de se tromper, de tâtonner. Il est absolument nécessaire de rassurer ces mamans, tout comme il est important de leur dire que devenir mère bouleverse plein de choses. Ne plus supporter les pleurs de son bébé parce qu’on est arrivé à un tel niveau de fatigue peut être très culpabilisant. Ressentir de l’ambivalence, se sentir perdue par ce mélange de trop d'émotions joie/anxiété, être submergée par des pensées en lien avec sa propre enfance, avec sa relation à sa propre mère… tout cela est normal et doit être répété à ces jeunes mamans. Il est important de les soutenir pour que la relation mère/bébé se passe bien, et lorsqu’elles se sentent dépassées, elles ne doivent pas craindre de passer la porte d’un·e pédopsychiatre. »

LES PARENTS EN PARLENT...

Un déclic
« C’est mon pédiatre qui m’a conseillé de consulter un pédopsy parce que je prenais rendez-vous pour Lucas tous les trois jours, en gros. Mon bébé avait 13 mois, il se portait parfaitement bien, mais, moi, je voyais toujours un truc qui clochait. Le pédopsy a d’abord commencé par me faire comprendre que Lucas allait bien, avant de détricoter avec moi mon passé. Il a mis le doigt sur des angoisses de ma propre petite enfance que j’avais enfouies. Certaines séances ont été très dures, mais, au final, ça a été un vrai gros déclic. »
Lucia, maman de Lucas, 7 ans aujourd’hui