Vie pratique

« Le logement, c’est la base »

« Le logement, c’est la base ». Tels sont les mots qui introduisent la discussion avec Vinciane Gautier, coordinatrice générale de l’asbl Le Petit Vélo Jaune à propos de la nécessité des familles. Elle est la première à prononcer ces mots. Rencontre après rencontre, tant chez les familles en plein dans la galère qu’auprès des parents plus aisés, issus de la classe moyenne, sans autres revenus pour se loger que leur force salariale, et, bien sûr, chez les acteurs de terrain, cette phrase revient.

Se loger, c’est la base. Faire son nid, c’est la base. Avoir un toit au-dessus de la tête, c’est la base. Prodiguer un minimum de confort à ses rejetons, c’est la base. Mais, c’est aujourd’hui devenu le facteur d’inégalité le plus clivant. Partout dans le Royaume cohabitent deux réalités. D’un côté, l’opulence des foyers cossus. Ceux devant lesquels on s’arrête pour s’extasier, se mettre à rêver du même intérieur qui ressemble à ceux des magazines lifestyle, dans lesquels, sans trop d’efforts d’imagination, on projette ses enfants, sa tribu. Et jamais loin, l’envers du décor. Les logements précaires s’offrent souvent les mêmes stigmates que ceux d’un conflit armé. Façades balafrées. Fenêtres rafistolées. Toits percés.

« Le soir, je sépare la pièce par des rideaux »

Bienvenue chez Gaya*, maman solo de trois enfants. Avant de nous ouvrir l’antre - dont on fera très vite le tour -, la jeune femme nous montre le décor plus large dans lequel elle évolue. Larges couloirs endommagés, escaliers détériorés par le temps, fils électriques en tous genres. « Il y a plus de place dans les communs que chez moi. Même s’ils ne donnent pas du tout envie d’y passer du temps ».
Cinquième étage sans ascenseur. La porte s’ouvre sur une pièce d’une trentaine de mètres carrés, avec une kitchenette de fortune, ou plutôt d’infortune. Une télé que la maman allume machinalement. Des matelas alignés qui seront disposés par terre pour passer la nuit. « Le soir, je sépare la pièce par des rideaux. Chacun sa chambre », ironise Gaya.
Le plus affolant n’est pas tant le manque d’espace, ni les odeurs ou les murs de quelques minces centimètres d’épaisseur qui séparent des voisin·es, mais bien le manque de lumière. De jour comme de nuit, la mignonne petite famille allume le néon rosacé pour pallier le vis-à-vis de la fenêtre qui donne… sur un mur. On ne saura pas combien Gaya paye, on ne verra pas non plus la salle de bain/WC, dont la maman a « honte », nous dira-t-elle. Cette même honte qui la poussera à nous interdire de prendre des photos. Pourquoi un tel mystère autour du montant du loyer ? « Je m’arrange avec le propriétaire, donc ça varie d’un mois à l’autre ». S’arranger, comme on le verra plus bas, ça veut tout dire. De simples échanges en nature, type ménage ou repassage, à d’autres plus sordides.

Les un·es sur les autres

Ailleurs dans le pays, plusieurs asbl de soutien à la parentalité – Chemin’on ; Tout un village ; la Tribu des familles ; Relogeas - relatent d’autres réalités. En Wallonie, le gros des problématiques en plus des logements insalubres comme celui de Gaya, c’est aussi l’isolement et le peu d’infrastructures disponibles. Des familles vivent loin de tout en plus d’être en situation de fragilité.
Stéphane Vis, chargé de missions au pôle wallon de l’asbl Habitat et Participation, confirme combien l’accès au logement est devenu problématique en Région wallonne. « L’Iweps confirme que le prix des logements a augmenté de plus de 50% en dix ans. Les demandes sont de plus en plus nombreuses, notamment parce que les cas de séparation sont de plus en plus nombreux, tout comme le vieillissement de la population. Il y a donc un besoin urgent de logements. Or, la construction ne suit pas ou elle n’est pas adaptée à la demande. Voyez le déséquilibre : vous avez d’un côté des familles qui sont à la recherche de logis avec deux, trois chambres et de l’autre des personnes âgées qui vivent seules, isolées, dans des maisons trop grandes qu’elles ne peuvent plus entretenir. La fameuse brique dans le ventre, bien belge, a mené à une impasse. On a trop longtemps pensé grosse habitation individuelle, alors qu’il est impératif de multiplier des habitats plus petits et surtout plus collectifs ».
Retour à Bruxelles avec Colombe Courtier et Pascale Staquet, toutes deux coordinatrices de terrain au Petit Vélo Jaune, asbl d’accompagnement solidaire de familles. L’asbl se rend dans le logis de 120 familles par an en Région bruxelloise. « On visite des logis encombrés de nuisibles. Des cafards, des souris, des rats. Des champignons, des traces d’humidité. On voit aussi des appartements mal ou pas isolés, avec des fenêtres qui ne ferment pas et pas assez de chambres. Le tout dans des espaces trop petits où l’on dresse des cloisons de fortune. On s’adapte, mais ce n’est rien de dire que l’on vit les un·es sur les autres. À tel point que des mamans partent s’isoler aux toilettes ».

« Ces familles ne sont pas dupes, elles savent que le jeu est faussé. Un bas revenu, de jeunes enfants qui vont gêner le voisinage pour peu que les cloisons soient aussi minces qu’une feuille de papier, sans parler du nom exotique qui suscite plus de discriminations qu’il n’ouvre de portes. Ce qui ne les empêche pas de chercher quand on leur donne des pistes »
Colombe Courtier et Pascale Staquet

Coordinatrices de terrain à l'asbl Le Petit Vélo Jaune

Timéa*, que l’on rencontre par le biais de la Maison des parents solos évoque, elle, une problématique à laquelle on pense peu : « La galère des immeubles avec trop de marches. Je vis seule avec deux enfants en bas âge et j’y réfléchis à deux fois avant de faire un aller-retour dans un immeuble au 7e étage, les bras chargés de courses, d’une poussette, des petit·es… ça devient vite impossible ». Une situation que l’on connaît bien au Petit Vélo Jaune. « On rencontre des mères qui ne sortent pas de chez elles pendant des journées entières. Ce qui signifie que leurs enfants ne jouent pas dehors et restent des heures devant des écrans, parce qu’il n’y a pas non plus la place pour jouer dans le logis ». Dès lors, une question coule de course : pourquoi y rester ?

La rue guette au tournant

« On y reste, parce que l’angoisse majeure, c’est de finir à la rue », explique-t-on à la Maison des parents solos, qui, face à la demande systématique des mères seules, a fini par mettre une personne de l’équipe à plein temps uniquement pour trouver des solutions, des pistes. Les coordinatrices du Petit Vélo jaune abondent : « Des murs autour de soi, un toit sur la tête, ça reste bon gré mal gré plus sécurisant. Nous savons que ça ne sert à rien de les inciter à déclarer leur logement insalubre. Il y a comme une forme de fatalité. Ces familles ne sont pas dupes, elles savent que le jeu est faussé. Un bas revenu, de jeunes enfants qui vont gêner le voisinage pour peu que les cloisons soient aussi minces qu’une feuille de papier, sans parler du racisme, leur nom suscite plus de discriminations qu’il n’ouvre de portes. Ce qui ne les empêche pas de chercher quand on leur donne des pistes ».
Tout cela fait les beaux jours de propriétaires peu scrupuleux qui peuvent tout se permettre. Demander une caution délirante en cash, loger des familles dans des lieux insalubres. Il y a aussi cette chaudière ou cette installation électrique ne demande qu’à tout enflammer, et qui revient souvent dans les angoisses des mamans que l’on a rencontrées. Les marchands de sommeil profitent de la vulnérabilité de leurs locataires, mamans en tête, et leur font faire des choses tout à fait illégales. Sachant parfaitement que ces familles n’ont pas le choix. Timéa explique qu’elle a dû nettoyer, remettre à neuf son logis, vider la cave de son immeuble, le tout avec deux enfants en bas âge en attente de places en crèche. Mais pas de lamentations, ici : « Je survis. Mes enfants sont heureux. J’aimerais juste leur offrir les meilleures conditions possibles. Qu’ils jouent avec des amis. Qu’ils n’aient jamais honte d’où ils vivent, ni d’où ils viennent ».

« À salaire équivalent, ces mêmes personnes étaient propriétaires il y a encore dix-quinze ans »

Si mal soient-elles, ces familles dans l’urgence, condamnées à une forme de survie inacceptable, ne sont pas les seules pour lesquelles la situation s’est dégradée. Notre tour d’horizon auprès des différentes associations de droit au logement nous confirme bel et bien que pour des ménages plus aisés, la course au logis est un sujet de préoccupation tout aussi tendu.
On retrouve le binôme du Petit Vélo Jaune, qui soutient une maman à un poste à responsabilité, et le salaire qui va avec, mais qui vit seule avec sa fille dans un studio. Impossible de trouver autre chose. « On voit des ménages avec deux salaires qui ne trouvent pas de quoi se loger. Ces mêmes personnes, à salaire équivalent, étaient propriétaires il y a encore dix-quinze ans. Des couples qui ne se supportent plus et devraient en toute logique se séparer cohabitent, sans s’adresser la parole. Avec tous les risques de violences conjugales que cela comporte ».
Roland*, papa de deux enfants de 4 et 6 ans, salaire fixe, à plein temps dans l’enseignement, s’est séparé de sa compagne, enseignante également. Elle a refait sa vie et, dans une volonté d’apaisement, a cédé la part de leur ex-habitat commun à des conditions bien en dessous du marché. « Malgré cela, je suis obligé de m’endetter, de filouter la banque et je n’ai plus que 300 balles par mois pour nous nourrir. Tout est englouti dans les traites. Je pourrais revendre, mais pour vivre où et comment ? Changer de commune ? Changer mes enfants d’école, repartir à zéro ? Je n’en ai pas la force ».
Alexandra Woelfle, spécialiste des questions liées au logement au service Études et action politique de la Ligue des familles, nous apprend que plus d’un parent bruxellois sur quatre consacre plus de la moitié de son revenu à son logement (voir le zoom ci-dessous).
Pourquoi une telle situation ? Le mot revient dans toutes les bouches : la spéculation immobilière. Elle échappe à toutes les règles. Chaque logement fait désormais le jeu de la politique de la terre brûlée. Les familles s’achètent un habitat qu’elles ne pourront plus se payer une fois qu’elles y logeront. Premier arrivé, premier servi. Un système qui ne favorise que les rentiers. Impossible de se loger avec son seul revenu. « Aujourd’hui, il faut être aidé ou hériter », concluent tou·tes nos intervenant·es.

ZOOM

Quelques chiffres à méditer

Pour illustrer toutes les réalités relatées à travers les pages, les derniers chiffres du Baromètre des parents de Ligue des familles font ressortir les difficultés des familles :

  •  7% des parents ont dû renoncer à se remettre en couple, accueillir un proche ou se lancer dans un projet de colocation parce qu’ils craignaient de perdre des revenus.
  • 5% des parents doivent dormir dans le salon ou partager une chambre avec un enfant par manque de place.
  • 24% des familles et 41% de celles dont les revenus sont inférieurs à 2 200€ net/mois ont du mal à payer leurs factures d’énergie ou d’eau.
  • 14% des familles et 20% de celles dont les revenus sont inférieurs à 2 200€ net/mois peinent à trouver un logement bien isolé ou à financer les travaux nécessaires.
  • 14% des familles ont des difficultés à payer le précompte immobilier.

FOCUS

Logement social et AIS

La formule magique ? Louer un bien adapté à ses revenus. Mais si accéder à la propriété est un luxe dans beaucoup de communes, décrocher un logement social est presque devenu un privilège. On exagère à peine. Voyez plutôt : Bruxelles compte environ 40 000 logements sociaux occupés et 50 000 ménages en liste d’attente. La Région wallonne recense, elle, une centaine de milliers de logements sociaux attribués et 40 000 candidat·es en attente. Il y a cinq ans, dans cette même période préélectorale, il était question de fixer dans les communes wallonnes des quotas constituant 10% du parc immobilier en logements sociaux. L’idée est abandonnée depuis, tant l’ensemble des villes et villages sont loin du compte. Aujourd’hui ? On promet de protéger les locataires par ici, de garantir l’accès à la propriété par là, sans trop rentrer dans les détails. Signe que la promesse est intenable, s’inquiète l’ensemble des intervenant·es.
La moyenne d’attente d’un accès à un logement social en Région bruxelloise est de plus de quinze ans. Quant aux AIS, les agences immobilières sociales, les trois quarts d’entre elles découragent les familles, leur apprenant que la liste d’attente est trop conséquente. Les lourdeurs administratives que Pascale Staquet dénonce ne simplifient pas la tâche. « Il faut à chaque fois s’inscrire dans les dix-neuf communes. Imaginez la perte de temps ». On pose la question à la fédération qui coordonne ces AIS, elle déplore l’engorgement, même si elle rappelle qu’« il n’existe pas de statistiques sur les délais d’attente ».
Face à cet engorgement, une allocation existe depuis l’an passé pour soutenir les ménages qui attendent un logement public depuis plus d’un an et demi. Douze mille ménages à bas revenus sont concernés et peuvent profiter de ce coup de pouce financier pour payer leur loyer. Alexandra Woelfle encourage les familles à se renseigner : « C’est une sorte de 'non take-up' (Ndlr : des dispositifs qui existent, mais qui sont méconnus, donc sous-utilisés) dont les parents n’ont pas toujours connaissance ».
Comment en est-on arrivé là ? Anne-Catherine Rizzo de Relogeas dénonce une politique de contrôle qui empêche les logements sociaux de sortir de terre. De son côté, le Rassemblement wallon pour le droit à l’habitat (RWDH) pointe un manque « de moyens humains pour accompagner les locataires au mieux. Aussi, toutes les communes n’ont pas le même rapport aux logements sociaux. Certaines entités sont plutôt réticentes à en accueillir davantage ».
Ce tour d’horizon nous montre qu’on ne manque pas de solutions. Il nous enseigne qu’il y a un tabou auquel on n’ose pas s’attaquer : celui de certain·es propriétaires qui ont en leur possession des maisons, immeubles ou locaux vacants, ce qu’on estime à l’équivalent d’une commune bruxelloise vide. Il y a également la question de la régulation des loyers, qui permettrait alors de libérer les logements publics et de réduire la liste d’attente des AIS. Les derniers gouvernements ne se sont jamais attaqués à la question de la baisse des loyers. Ce sont d’ailleurs les conclusions de tous les acteurs de terrain : trouver le juste équilibre entre le logement social, une conciliation privé-public via les AIS et un contrôle des loyers contre les abus. Le liant à tout ça ? La lutte contre les inégalités, la volonté de tendre vers une société plus juste. Ce n’est pas si hors de portée que ça après tout.

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