Développement de l'enfant

Dans son dernier ouvrage - Nos garçons en danger !, éd. Flammarion -, le pédopsychiatre Stéphane Clerget montre comment l’école et la famille, en les privant parfois de figures masculines auxquelles s’identifier, a fragilisé les garçons. Dès lors, trop souvent, ils cherchent la virilité du côté de la transgression et de la violence.
Le titre de votre dernier ouvrage est alarmiste. Pourquoi affirmez-vous que les garçons sont « en danger » ?
Stéphane Clerget : « Parce que les garçons sont aujourd'hui plus vulnérables que les filles, c'est un fait qu'on a tendance à sous-estimer dans la recherche comme dans la prise en charge. Il y a là des facteurs physiologiques, qui ont toujours existé. Les garçons sont plus nombreux à naître prématurément et, partant de là, sont plus touchés par la mortalité infantile. Pendant les trois premières années, ils accusent un retard à tous les stades du langage. Plus tard, ils sont davantage immatures et pas seulement dans la période de puberté, qu'ils vivent avec un décalage de deux ans en moyenne, ce qui n'est pas sans produire un écart en termes de compétences cognitives. On pourrait ajouter que les garçons sont davantage concernés par les accidents ou le suicide, qu’ils sont plus nombreux à décrocher de l’école ou à s’orienter vers les filières d’études courtes, qu’ils représentent la quasi-totalité de la population carcérale (ndlr : en Belgique, les hommes sont quasiment vingt fois plus nombreux que les femmes en prison). »
Tout cela n’est pas nouveau…
S. C. : « C’est vrai. Mais ces éléments se conjuguent à d’autres phénomènes plus récents. De plus en plus d’enfants évoluent désormais dans un univers très largement féminin. À l’école, pendant de longues années, ils ne croisent quasiment que des femmes, alors que longtemps, l’enseignement - contrairement aux métiers de la petite enfance - était dans une large mesure l’apanage des hommes et que la figure du maître était quasiment aussi virile que celle du soldat. Aujourd’hui, les valeurs de l’école sont perçues comme manquant de virilité. Aux yeux de la plupart des garçons, la lecture apparaît comme ‘un truc de filles’. Et nombre d’entre eux estiment qu’il est normal qu’une de leurs camarades soit première de la classe. Il ne s’agit pas là de regretter que les filles aient rattrapé le retard scolaire qui pouvait être le leur jusque dans les années 1970 - on leur faisait souvent sentir jusqu’alors que les garçons étaient plus intelligents ou du moins on nourrissait moins d’ambitions à leur égard -, mais il faut arrêter de donner aux garçons l’impression que l’école n’est pas faite pour eux. Ou que certaines matières seulement - les sciences, notamment - leur sont destinées. À défaut, beaucoup ont tendance à chercher ailleurs des modèles de virilité, des modèles machistes, ceux des rappeurs notamment, liés à la transgression, à la violence, voire à la délinquance. On se dit trop facilement que ces dérives sont ‘constitutionnelles’, liées à la nature même des garçons. En tout cas, cela ne devrait pas nous dispenser de nous interroger sur le fonctionnement de nos institutions, au premier rang desquelles l’école. »
Faut-il revenir sur le principe de mixité, du moins de l’aménager ?
S. C. : « Dans certains pays, comme les États-Unis ou l’Angleterre, on a carrément rouvert des établissements non-mixtes. Pour protéger les filles contre une certaine agressivité, mais aussi pour tenter de tirer vers le haut les résultats des garçons. Ces expériences semblent donner de bons résultats. Mais je trouve qu’il serait dommage de devoir en venir à de telles extrémités. La mixité a pour vertu d’aider les enfants des deux sexes à mieux se connaître. Elle doit aider les uns et les autres à intégrer le principe d’égalité. Pour autant, on pourrait prévoir certaines activités dans des groupes non-mixtes au moment où les différences de maturité sont les plus marquées, aux alentours des 12 ans, lorsqu’on trouve dans une même classe des filles pubères depuis deux ans et des garçons qui ne le seront pas avant un bon moment. Il faudrait aussi, notamment à cette période cruciale, prévoir des pédagogies différenciées, un peu comme on le faisait jadis à la campagne dans les classes uniques rassemblant des enfants d’âges variés. »
Les évolutions de la famille rendent-elles, elles aussi, plus difficile cette nécessaire identification ?
S. C. : « Oui, c’est là aussi un changement relativement récent et dont on ne tient pas toujours suffisamment compte. Lorsque survient un divorce, la garde est plus facilement accordée à la mère. Et si la rupture conjugale se passe mal, celle-ci peut être tentée de dénigrer le père et donc de donner une image négative de cette figure masculine. C’est pourquoi il faut veiller à offrir à l’enfant d’autres modèles masculins, dans le cercle familial ou amical. Le risque, sinon, c’est que les garçons pensent que leur maman déteste tous les hommes et qu’ils se mettent, du coup, à nourrir une culpabilité du simple fait de leur appartenance au sexe masculin. »
De manière plus générale, peut-on compenser au sein de la famille les effets de la surreprésentation des femmes au sein de l’univers scolaire ?
S. C. : « Oui, et cela tient beaucoup à l’attitude du père. S’il peut aider son enfant à se sentir à l’aise dans les jeux de bagarre ou de compétition, il doit aussi s’investir, très tôt, dans le langage, lui lire des livres, lui raconter des histoires, lui parler de ses propres émotions. Il doit aussi s’engager dans le suivi des devoirs. Par ailleurs, il peut être bénéfique qu’il l’emmène de temps à autre à la bibliothèque, au musée, au théâtre, pour lui montrer que ces activités culturelles ne sont pas réservées aux filles. »
Dans bien des classes, un garçon qui obtient de bons résultats scolaires et qui, de surcroît, montre de l’appétence pour la littérature et les arts, risque de devenir le souffre-douleur de ses camarades, d’être traité de « bolos » ou taxé d’homosexualité… Comme aider son enfant s’il se trouve dans une telle situation ?
S. C. : « Il faut l’inciter à trouver des alliés au sein de la classe, à s’investir aussi dans d’autres domaines réputés plus masculins, comme le foot, lui apprendre à se défendre verbalement, voire physiquement. Mais il peut parfois arriver que la lutte soit trop difficile, que son profil lui attire une forme de harcèlement et que la seule solution consiste à changer de classe ou d’établissement. En général, les garçons de ce type sont mieux à même de se défendre, d’assumer leur différence, d’imposer aux autres leur rapport au savoir s’ils ont dans leur entourage des hommes qui placent leur ‘virilité’ dans la connaissance, dans la culture. À l’inverse, ceux qui sont ‘intellos’ mais qui ne trouvent pas dans leur entourage de personne masculine à qui s’identifier, rencontrent souvent plus de difficultés. On l’observe en particulier dans les milieux défavorisés. »
Pour quelles raisons ?
S. C. : « Parce que la fracture sexuée y est généralement plus prononcée. Dans ces milieux, l’éducation place les garçons en porte-à-faux : on les élève en leur signifiant qu’ils sont supérieurs, en leur laissant entendre qu’ils vont s’en tirer de toute façon, alors que la force physique ne paie plus sur le marché du travail, qu’elle n’a plus guère d’usage hors de la transgression. Et quand ils s’en rendent compte, il est souvent déjà trop tard. Les filles de leur milieu, sans doute davantage stimulées par les mères, se sont investies davantage dans les apprentissages. Le résultat, dans bien des cas, c’est un machisme qui a changé de nature, qui n’a plus grand-chose d’idéologique. Il s’agit avant tout du machisme de garçons qui se sentent diminués et qui surréagissent. »
Vous prenez la défense des garçons. Est-ce dans leur seul intérêt ?
S. C. : « Non, évidemment pas. Si j’alerte les parents, les enseignants, les spécialistes de l’enfance et les auteurs des politiques publiques sur le risque de voir émerger un nouveau sexe faible, c’est dans l’intérêt de tous. Car précisément, la faiblesse des garçons se retourne trop souvent contre les filles. »
Propos recueillis par Denis Quenneville
En pratique
Des pistes pour demain
Stéphane Clerget défend l’idée de statistiques scolaires sexuées qui permettraient d’identifier les établissements où les disparités entre filles et garçons sont les plus fortes pour les inciter à faire évoluer leurs méthodes. Pour lui, « il serait utile d’agir sur le recrutement des enseignants. On est parfois capable d’invoquer la parité en politique ou au sein des conseils d’administration des grandes entreprises afin d’obtenir une meilleure représentation des femmes. Pourquoi ne s’appuierait-on pas sur un tel principe pour faire entrer plus d’hommes à l’école ? Cela permettrait d’offrir aux garçons davantage de références et de repères masculins en lien avec l’honnêteté, l’altruisme, la responsabilité, la fiabilité… »