Société

Les jeunes aidant·es proches, des colosses aux pieds d’argile

L’association Jeunes et Aidants Proches (JAP) offre soutien et répit aux enfants. Récemment, un service de soutien à la parentalité s’est ajouté à son actif. Témoignage d’une famille dans le giron de JAP.

Vendredi 15h40. Nous pensions retrouver Bélinda seule dans son appartement, mais ses deux plus jeunes enfants, Gloria, 9 ans, et Mahrez, 12 ans, sont déjà de retour de l’école. Seul Sid, 22 ans, manque à l’appel. Après deux semaines de travail en continu, l’aîné se repose. La famille nous accueille dans la chambre maternelle. Dix ans déjà que Bélinda lutte contre un cancer du côlon. Le crabe gagne du terrain. La maman est aujourd’hui en soins palliatifs. Depuis plusieurs mois, les dix mètres carrés de la pièce constituent son unique horizon spatial.
Bélinda est assise, calée par quelques coussins, contre la tête de lit. Gloria et Mahrez sont tantôt assis tantôt couchés. Peu importe la position, du moment qu’elle soit proche de maman. Caroline Legrand, coordinatrice de l’asbl Jeunes et Aidants Proches, fait les présentations. C’est la première fois que la famille témoigne. À l’école non plus, personne n’est au courant de la situation, excepté Yassim, le meilleur ami de Mahrez.

La maladie ne se dit pas mais prend toute la place

Quand on demande à Mahrez d’expliquer l’impact de la maladie, ce qui a changé pour lui, la réponse est simple : pas grand-chose. « J’ai toujours connu maman malade ». La spontanéité de la réponse désarme Bélinda. Les larmes affluent. « On ne parle pas beaucoup de la maladie. Elle est là, point barre. Les enfants doivent faire preuve de trop de courage », résume-t-elle. La réponse suscite un rapprochement de la part des deux enfants, Gloria se frotte contre le flan maternel tandis que Marhez s’agrippe aux jambes et réplique « C’est faux ». Pudiques, les enfants ne diront rien de plus.
Bélinda explique le quotidien. « Le grand m’aide beaucoup. Pour l’éducation, pour mon moral, donne de l’amour comme un père pourrait le faire, fait les courses, supervise les devoirs, travaille. Il a trop de responsabilités ». Depuis plusieurs mois, Bélinda ne quitte le lit que pour préparer à manger. Quand elle en a la force. Dorénavant, c’est Sid qui assure l’intendance.

« Pour l’enfant, son parent, c’est son monde. Et ce monde-là, on ne lui dit pas non, on l’aide. Par amour, mais aussi par survie »

« Quand le parent est malade, il faut tout un réseau pour soutenir », explique Caroline Legrand. Ici, ce sont Hugo et Esther, infirmier et assistante sociale de l’équipe mobile prévention soutien aidance (EMPSA), qui ont mis les choses en musique. Le premier mobilise le réseau de santé autour de Bélinda quand la seconde s’attaque à la paperasse et aux démarches administratives. Dans le giron de la famille, il y a aussi une étudiante qui aide deux fois par semaine les enfants pour leurs devoirs et une aide familiale pour le ménage.
Ce réseau n’empêche pas les trois enfants de jouer un rôle d’aidant proche. Aîné de la famille monoparentale, Sid travaille à temps plein (et même plus) pour assurer un revenu supplémentaire à celui de sa mère. C’est aussi lui qui remplit le frigo, cuisine, relève le courrier, supervise les devoirs, fait tourner les machines, sort les poubelles. De son côté, Mahrez accompagne sa petite sœur au bus, s’acquitte de la vaisselle et est aussi désigné pour les courses d’appoint. Du haut de ses 9 ans, Gloria passe l’aspirateur comme personne et sait déjà changer la poche stomacale de Bélinda.
Les jeunes aidant·es proches développent des compétences hors pair constate Caroline Legrand. « Ils et elles gèrent un budget, s’ajustent à un quotidien chahuté et sont aussi maîtres dans l’art de camoufler. D’un autre côté, ils et elles sont aussi très vulnérables. Un mélange de force et fragilité qui fait d’elles et d’eux de vrai·es colosses aux pieds d’argile ».
Énergie, finance, projets… La maladie accapare tout sur son passage. Pieuvre tentaculaire. Mahrez n’a pas repris le football. Gloria non plus n’a pas d’activité après l’école. Bélinda aimerait leur offrir ces extras. Mais les moyens matériels et financiers manquent à l’appel. L’an prochain, Marhez aimerait suivre des humanités sportives. Comment répondre à ce nouveau besoin ? C’est là que l’asbl Jeunes et Aidants Proches intervient.

L’enfant n’attend pas qu’on lui demande, il fait

Sid, Mahrez, Gloria sont donc des jeunes aidant·es proches, c’est-à-dire des jeunes qui s’occupent d’un proche en situation de dépendance de manière récurrente dans le temps. Normalement, cette tâche ne devrait pas leur revenir. Elle dépasse la charge « normale » que porte un enfant. Mais en cas de handicap ou de maladie, pas le choix. Le besoin d’aide est tel qu’ils et elles doivent s’impliquer plus que la norme. Pour accompagner aux rendez-vous médicaux, pour s’occuper des frères et sœurs, pour gérer les papiers… Selon une enquête menée en 2017 dans des écoles secondaires de Bruxelles, 14% des jeunes sont concerné·es par cette réalité.
« On n’imagine pas la manière dont le handicap percole chez l’enfant, explique Caroline Legrand qui fournit un autre exemple. Du haut de ses 2 ans, une petite fille s’est mise à porter une lourde charge mentale en vérifiant auprès de sa maman qu’elle n’oubliait pas ceci ou cela suite à un grave AVC. L’enfant n’attend pas qu’on lui demande, il fait. Quoiqu’il arrive, il est là, parce qu’il n'a pas la possibilité d’être ailleurs. En tant qu’adulte, ce n’est pas simple de mettre des limites. Pour un enfant, c’est impossible. Dire non à son parent, c’est risquer de perdre son amour, son toit, sa sécurité. Pour l’enfant, son parent, c’est son monde. Et ce monde-là, on ne lui dit pas non, on l’aide. Par amour, mais aussi par survie. »

Un enfant aide son parent handicapé

Épuisement, stress, fatigue, problème de sommeil, maux de dos… Les impacts de l’aidance sont identiques chez l’adulte et l’enfant. À la différence près que l’enfant est encore en construction, ce qui engendre de plus lourdes conséquences. Des jeunes qui se retrouvent à la rue du jour au lendemain parce que leur parent est placé en institution et qu’ils n’ont pas les moyens de payer un loyer. D’autres qui décrochent de l’école parce que face à la maladie du parent, ce n’est pas la priorité. D’autres encore qui sont seul·es au front quand la maladie mentale ou les addictions ont fait le ménage dans l’entourage.
Parce que les jeunes aidant·es proches sont exposé·es en première ligne, parce qu’ils et elles n’ont pas la possibilité de dire non, l’asbl Jeunes et Aidants Proches leur concocte des moments de répit. Les vacances scolaires sont mises à profit. Pour souffler. Pour s’extraire. Pour oublier. Le temps d’une semaine, Gloria et Mahrez sautent sur les trampolines, préparerent des crêpes, sortent au musée et se baladent en ville. Ces jours-là, ils redeviennent pleinement enfants. Ils prennent le large pour remplir leur bonbonne d’air. Pour mieux, ensuite, retrouver leur mère.
Dernièrement, l’association a ajouté une nouvelle corde à son arc : le soutien à la parentalité. « Certains parents souffrent terriblement de ne pouvoir exercer leur rôle comme ils le voudraient. Notre mission est de travailler ensemble cette relation parent-enfant et voir comment, malgré la maladie, on peut la rééquilibrer ». Bélinda est préoccupée, elle aimerait offrir un meilleur soutien scolaire à ses enfants. L’asbl s’est mise en quête d’une école de devoirs dans le quartier. Pour les activités extra-scolaires aussi, JAP creuse les possibilités. La maman exprime aussi le souhait de raconter son histoire et laisser une trace à ses enfants. Un nouveau filon à remonter.

EN SAVOIR +

L’asbl Jeunes et Aidants Proches

L’association offre ses services aux enfants et jeunes qui ont entre 5 et 25 ans et vivent en Région bruxelloise. Dès 2024, un subside du fonds social européen lui permettra d’étendre son action en Wallonie pour y poursuivre ses actions de sensibilisation, de répit et de soutien à la parentalité.
L’association Jeunes et Aidants Proches dispose d’une maison à Laeken pour offrir du répit. Elle tient une permanence tous les mercredis après-midi entre 13h et 16h30. Plus d’infos sur jeunesaidantsproches.be ou par téléphone au 0491/90 50 48.

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