Développement de l'enfant

Faites-vous partie des parents qui pensent que les livres, ce n’est pas l’affaire des bébés ou de ceux qui sont convaincus du contraire ? On ne vous le cache pas, ces pages défendent l’idée qu’il est bon de lire des livres aux bébés. Plaidoyer avec Michèle Lateur, ancienne responsable de la sélection du Prix Bernard Versele à la Ligue des familles*.
Son récit personnel interpelle déjà : maman, elle a beaucoup raconté à sa fille, tout bébé, le livre Hou ! Hou ! de Jean Maubille (Éditions Pastel/L’école des loisirs), l’histoire d’un petit hibou séparé de sa mère, en fait leur histoire à elles deux vu que l’enfant allait bientôt passer une partie de ses journées chez une accueillante. Qu’est-ce que la petite a capté des multiples lectures, chargées d’émotion, de sa maman ? En tout cas, arrivée chez son accueillante, elle s’est mise à émettre sans réserve de surprenants « hou hou craaa craaa ». « Alors qu’elle ne parlait pas encore, elle était capable de reproduire, avec des onomatopées, l’histoire du livre et, par là, de dépasser son angoisse de séparation. Quelque chose se passait dans son psychisme. »
Les livres, ça aide à se rassurer
À peine né, votre bébé était déjà un lecteur qui s’ignorait ! Blotti dans vos bras, il lisait sur votre visage : vos jeux de bouche, votre regard, vos mimiques… De votre côté, pour attirer son attention, vous preniez une voix douce, câline, ronde.
Votre bébé assis sur vos genoux, tous les deux, vous êtes plongés maintenant dans un album. « C’est l’histoire de… » Les premiers mots s’envolent. Votre intonation a changé. Vous n’êtes pas dans la langue factuelle, « celle qui accompagne les faits et gestes de tous les jours, une langue pour agir » – « Viens, je te mets ton bavoir », « On va au bain »… Avec les histoires racontées (comme avec les comptines, les chansons ou les berceuses), votre bébé découvre la langue du récit, « une langue qui invite à écouter, à se concentrer, à entrer dans les représentations du monde ». « Votre bébé est friand de cette langue du récit car il se rend compte que, dès que vous y avez recours, plus rien ne compte en dehors du moment d’échange qu’elle fait naître », observe Michèle Lateur.
Lire un livre à votre bébé est une activité totalement gratuite, où votre plaisir rejaillit sur le sien, et vice versa !
Lire un livre à votre bébé est une activité totalement gratuite, où votre plaisir rejaillit sur le sien, et vice versa ! « Le livre est un objet pour jouer avec la voix, les sons, les représentations… Même si votre bébé ne comprend pas l’histoire, il saisit l’émotion de votre voix. C’est un buvard : il va être bien si vous êtes bien. Quelque chose se passe en vous, vous le lui transmettez, quelque chose va se passer en lui, vous allez y réagir… »
Le livre entraîne votre bébé dans un espace à part : un « espace potentiel », dit le psychanalyste Donald W. Winnicott, qui se situe entre la réalité psychique intérieure et le monde réel. Un espace de jeu, de créativité et de liberté où il peut prendre du recul par rapport à son vécu et se décharger de ses tensions. « Seul dans son lit, le bébé nourri d’histoires va pouvoir jouer avec les sons entendus, les reproduire pour réentendre la voix de la personne aimante qui lui a raconté ces histoires et se sécuriser en se disant : "Maman (papa) n’est pas là mais elle (il) est en moi." »
Des « caresses » aux oreilles et aux yeux
Votre bébé est sensible à l’émotion de votre voix, au rythme de l’histoire, à la musique des mots – c’est pour cela que les livres remplis d’onomatopées fonctionnent à merveille –, aux couleurs, aux formes… Sons et images sont comme des « caresses » (selon l’expression de la psychiatre et psychanalyste Marie Bonnafé) qui viennent chatouiller ses oreilles et ses yeux.
Accordé à vous, sa maman, son papa, il capte les sons entendus et les reproduit. « Un enfant parle parce qu’on lui a parlé ! », rappelle Michèle Lateur. Il passe sans cesse du livre à votre visage : il vous questionne du regard et vous lui répondez avec vos mots, vos mimiques… Histoire qu’il construise un sens à ce qu’il entend, voit et vit. Il montre du doigt ce qui l’intéresse. Ce geste de pointer du doigt témoigne qu’il entre dans le langage, selon le psycholinguiste Evelio Cabrejo Parra. « Par ce geste, votre bébé vous dit : "Ce que je vois crée quelque chose dans mon psychisme et j’ai envie de te montrer ce qui s’y passe." Vous nommez ce qu’il pointe. Vous êtes en relation. »
On le voit, on le sent, raconter des histoires à votre bébé, c’est peu à peu lui donner des clés pour qu’il accède à la liberté, insiste Michèle Lateur. « Avec le livre, vous dites à votre enfant, à un niveau symbolique très puissant : "La vie n’est pas facile, tu vas vivre des moments difficiles, mais ne t’inquiète pas, tu n’es pas seul. Les livres vont te permettre de rejouer tes émotions dans ton théâtre intérieur et d’y mettre des mots afin de mieux les gérer." »
Porteurs de culture, les livres sont des objets. Ils se caractérisent par une taille, un poids, une odeur, un bruit (quand on tourne les pages), un goût… Votre bébé se les approprie par tous ses sens. « Ce n’est pas grave s’il les déchire ! »
* Lancé en 1979 par la Ligue des familles, le Prix Bernard Versele est un prix de littérature décerné chaque année par un jury d’enfants de 3 à 13 ans. Toutes les infos sur www.liguedesfamilles.be/prix-bernard-versele.
L’AVIS DE L’EXPERTE
Des livres contre les exclusions
Michèle Lateur, ancienne responsable de la sélection du Prix Bernard Versele à la Ligue des familles
Les livres aident les parents à mieux accompagner leur enfant dans la découverte du sens de la vie… et du sens de sa propre vie. Parce qu’ils ouvrent à l’altérité, à la rencontre de l’autre. Parce qu’il y a cette langue du récit, chatoyante, qui va le sécuriser. Parce qu’entendre et réentendre la même histoire va l’apaiser face à un monde en perpétuel mouvement.
Pour moi, les livres sont un moyen de lutter contre les exclusions : tous les enfants devraient avoir accès à la langue du récit car je sais à quel point elle peut les aider à dépasser les moments difficiles, à s’épanouir et à développer leur imaginaire.
Une histoire racontée ne va jamais remplacer une balade au parc. Il n’y a pas de hiérarchie entre ces activités, ce sont des choses différentes.
Et si, pour un parent, le plaisir de lire n’est pas au rendez-vous ? Faisons confiance à la vie : le bébé rencontrera sur sa route des personnes qui auront du plaisir à lui lire des livres de qualité, notamment dans les crèches et les bibliothèques.
LES PARENTS EN PARLENT…
Terrain d’expériences
« On lit beaucoup de livres à Maïa, c’est notre petit rituel chaque jour. On arrête tout et on lui lit trois ou quatre livres. Avant sa naissance déjà, sa maman et moi, on aimait les livres pour enfants, on en avait toute une collection. Très vite, Maïa a été attirée par les livres. On a commencé quand elle avait 4-5 mois, avec des livres en tissu. Puis, on lui a donné des livres en carton, au bon format pour elle. Pendant la lecture, elle est très concentrée, elle imite nos intonations de voix, elle reconnaît des pages. On a pas mal de livres avec juste des dessins, à nous d’inventer l’histoire. Et quand il y a un texte, on prend des libertés avec. On nomme les choses, on fait des liens entre l’histoire et son quotidien à elle. Ce moment dure dix, quinze minutes : c’est déjà long pour un bébé ! Tous les livres ne l’intéressent pas de la même façon. Elle préfère ceux aux grands dessins, avec des couleurs vives ou en noir et blanc. Elle aime les livres musicaux et ceux à toucher. Elle s’amuse à les manipuler. Elle joue avec, les met en bouche. Souvent, on soulève un peu les pages pour qu’elle puisse les tourner. Tout d’un coup, au milieu de l’histoire, elle referme puis rouvre le livre : elle joue ! Le livre, c’est un vrai terrain d’expériences pour elle. Je pense que le plaisir qu’elle a est en partie dû au plaisir qu’elle ressent chez nous. C’est difficile de dire ce qu’elle comprend. Elle retient plus les expériences sensorielles que l’histoire, j’ai l’impression. »
Pierre, papa de Maïa
Toucher, déplier, tourner… et déchirer !
« Depuis qu’il est tout petit, on donne des livres à Gabriel, mais il n’est pas trop fan : il ne regarde pas vraiment les images et, quand on lui lit une histoire, il veut quitter nos bras. Par contre, il aime les livres à toucher : il met directement ses doigts sur les matières spéciales ou dans les trous, il déplie les rabats. À part ça, il adore tourner les pages, celles épaisses de ses livres en carton comme celles toutes fines des magazines… quitte à les déchirer ! »
Clara, maman de Gabriel
EN PRATIQUE
Les bébés aiment…
- Les petits et (très) grands livres en carton.
- Les livres colorés avec des contrastes forts, en noir et blanc, jouant avec le mat et le brillant.
- Les livres à toucher.
- Les livres avec des rabats, pour s’amuser à cacher et trouver (et, par là, « vivre » la permanence de l’objet).
- Les livres privilégiant les onomatopées.
- Les beaux livres, car les bébés aussi ont droit à la qualité.
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