Vie pratique

« Les maux de ce monde passent toujours par la case logement »

Discussion à bâtons rompus avec Anne-Catherine Rizzo, directrice de l’asbl Relogeas, association de promotion du logement qui rénove et reloge des personnes précarisées, des femmes battues ou des SDF, le temps pour elles de rebondir. Elle n’a qu’un mot à la bouche, celui de fédérer les services. Le logement étant au carrefour de toutes les urgences : la rue, la santé mentale, l’insertion professionnelle… Nous lui ouvrons grand nos portes.

« Le logement, c’est la base ». On l’a entendu dans la bouche de tou·tes les professionnel·les, mais aussi de toutes les familles qui nous ont fait part de leurs diverses difficultés. Est-ce que vous partagez ce sentiment ?
Anne-Catherine Rizzo :
« À tel point que c’est même inscrit dans notre Constitution, à l’article 23, alinéa 3 : ‘Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine’, dont le droit à un logement décent. Le problème, c’est que l’on considère les situations précaires comme une ‘crise’ du logement. Une crise, c’est un épiphénomène dont on se sort, puis on passe à autre chose. Là, nous sommes engoncés dedans depuis vingt ans au bas mot. C’est d’abord structurel. Et tous les maux de ce monde passent toujours par la case logement. »

Gentrification, manque de solidarité, spéculation autour du logis, absence de logements sociaux, AIS saturées… comment on s’en sort ?
A.-C. R. :
« Il est plus que temps de se lancer dans un grand plan logement qui concerne toutes les instances politiques, toutes les sphères : la santé mentale, le sans-abrisme, les familles monoparentales les plus vulnérables, les jeunes en errance… Il est urgent de renforcer les dispositifs d’aide à la jeunesse, de revoir les revenus d’intégration sociale. On éjecte les gens des hôpitaux, des prisons, de plus en plus vite. On limite les lits des hôpitaux psychiatriques. C'est de plus en plus compliqué de trouver un logement décent, abordable, qui ne soit pas une passoire énergétique. Les loyers flambent, on expulse manu militari… La problématique du logement concerne toutes ces réalités-là. Résultat, chaque compétence vient nous trouver, nous. Et on est parti comme ça, sur tous les secteurs. »

Vous sentez que la situation s’aggrave ?
A.-C. R. :
« On sent surtout que le public précaire s’élargit. Et que des réalités qui ne concernaient que les plus défavorisés gagnent du terrain aujourd’hui. Des travailleurs issus de la classe moyenne qui se mettent en situation d’achat, sans apports familiaux, ont même des difficultés à avoir recours au crédit social. Les prix flambent, les banques pratiquent une politique d’emprunt hyper restrictive, les apports en fonds propres sont exorbitants… Qui a aujourd’hui 40 000€ obtenu par la seule valeur travail à mettre cash dans un premier achat ? »

Les familles n’ont eu de cesse de nous raconter qu’elles sont prêtes à tout, tant pour se loger que pour accéder à la propriété, quitte à s’isoler et partir loin de leur lieu de travail et de leurs proches, c’est un phénomène auquel vous assistez ?
A.-C. R. :
« C’est devenu très dur de se loger à Bruxelles, le Brabant wallon est devenu bien trop cher, donc il y a un phénomène d’éloignement progressif. On gagne des villes qui jadis n’attiraient personne. Ce qui ne fait que déplacer le phénomène de gentrification. Aujourd’hui, chez nous, autour de Charleroi, accéder à une maison unifamiliale, c’est compliqué. Alors pour les familles monoparentales, les familles recomposées… C’est la croix et la bannière. On voit bien que les fédérations immobilières usent de créativité et expliquent comment on peut se mettre en colocation, partager intelligemment les frais, évoluer dans une démarche solidaire… Mais ça n’opère pas à toutes les strates sociales. Et ça peut également faire les beaux jours de propriétaires peu scrupuleux qui y voient l’occasion de faire flamber les prix. C’est comme l’habitat groupé ou les maisons kangourou, très bien, mais c’est d’abord prisé par une forme de bourgeoisie culturelle, armée et outillée pour s’intégrer au collectif. Les précaires, les jeunes issus des services d’aide à la jeunesse et de protection de la jeunesse, les personnes qui sortent de prison… Ils n’en veulent pas du collectif, ils en ont suffisamment soupé comme ça. »

Comment va-t-on se sortir de tout cela si les familles ne repensent pas un tant soit peu leur façon de faire nid ?
A.-C. R. :
« Les solutions, on les voit tous les jours. Ça passe par de chouettes propriétaires solidaires. Et ils existent. Chez nous, il y a une grosse demande. On voit également émerger de jeunes promoteurs immobiliers qui sont conscients de tout ce dont on parle et qui œuvrent dans cette optique solidaire. Et ça se passe très bien. Chez moi, 97% des logements habités par des précaires sont payés. Une des clés ? C’est ça, des proprios super qui acceptent de louer en dessous des prix du marché et sans a priori. Le logement n’est pas assez protégé de la spéculation. Il faut retrouver un certain bon sens. On assiste à une véritable paupérisation qui contraste très violemment avec la gentrification. On stigmatise les familles précaires qui ne paient pas. Mais comment voulez-vous qu’elles survivent ? Réglons les choses les unes après les autres. Je le redis : il est impératif de procéder à une politique globale du logement. »

Vous avez des exemples où, ailleurs, ça a marché ?
A.-C. R. :
« Je suis allée étudier le plan régional du logement au Québec, mis en place au-delà des partis politiques, des mandats. L'idéal est de travailler en filière et en partenariat avec l'accueil d'urgence pour attribuer les logements en bonne intelligence, dans le privé ou dans le public, dans le respect de l'insertion dans le quartier, en réattribuant un logement adapté en fonction des situations personnelles ou familiales de tout le monde. Le dispositif clé pour que ça fonctionne, c’est le travail concerté. Œuvrer les un·es avec les autres, peu importe les cabinets, les inter-cabinets, les jeux de pouvoir, les mandats. Il y a ici un vrai manque de fluidité, de facilitateur. Dans notre structure, nous sommes dix. Quand je vois le temps passé à remettre sur pied une maison familiale, c’est à pleurer. Il faut revenir à des choses plus locales, plus efficaces. Il est grand temps de remettre en place des règles efficientes. Vous savez, nous autres opérateurs, sommes tellement ralentis au nom d’une politique de transparence qu’on dit toujours qu’un élu qui a validé la construction d’un logement social ne coupe jamais le ruban d’inauguration. »

Vous nous parlez beaucoup de la politique d’attribution des logements depuis le début de l’interview, c’est un traumatisme pour les familles ?
A.-C. R. :
« Oh oui, alors. Vous savez, des familles, même précaires, qui ont un toit stable sur la tête, ce sont des familles dont on n’a plus besoin de s’occuper. L’inverse, ce ne sont que des contraintes. Je rencontre des gamin·es de 20 ans qui me disent qu’ils et elles ont déménagé vingt-cinq fois depuis le début de leur vie. Stabiliser les jeunes, les familles, c’est une question de sécurité affective. La précarité, à mon sens, c’est l’instabilité. Sur une échelle de stress, le déménagement, c’est le numéro 3. Ce n’est pas qu’un problème de riche. »

Qu’avez-vous à dire aux parents qui nous lisent ?
A.-C. R. :
« Le logement, ça vous concerne, vous, vos proches. La galère, la maladie, la violence conjugale, les séparations, n’importe quel revers de ce que l’on croyait acquis peut conduire à une instabilité de logement. C’est donc une problématique dont il faut s’emparer. Il est primordial de viser la stabilité des familles. De continuer à investir dans du logement de qualité. L’accès au crédit social, il faut le généraliser, le soutenir, l’accompagner, lui donner des moyens. Les banques ne sont plus accessibles aux revenus moyens, alors il est primordial de soutenir une politique cohérente dans ce domaine. Le problème, c’est que les salaires ne suivent pas l’augmentation délirante du prix d’un toit. Il ne devrait pas dépasser 33% de vos revenus. Combien de lecteurs et lectrices lui sacrifient la moitié des ressources du ménage ou une grande partie de leur salaire ? La précarité fait péter les plombs. Travailler, c’est compliqué. Quand ça ne suffit plus, c’est la folie. Tout ça peut changer. Malheureusement, quand certains partis parlent de logement, ils ne rentrent pas dans le détail, ils hurlent à l’assistanat. C’est clivant. C’est lourd. Mais il ne faut pas abandonner cette question-là. N’oubliez pas cela au moment d’aller voter. »

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