Loisirs et culture

Les yeux ouverts et le sourire au livre

Dans son livre Les écoptimistes. Remèdes à l’éco-anxiété, la journaliste française Dorothée Moisan propose neuf portraits de personnes inspirantes qui, bien conscientes de la crise environnementale, arrivent néanmoins à rester actives et positives. Parents démoralisés, laissez-vous emporter par ces « bateaux remorqueurs » à l’énergie… solaire.

« Ce livre est écrit à l’encre sympathique », écrit Dorothée Moisan dans Les écoptimistes (Seuil – Reporterre). Pas l’encre des secrets et des apprenti·es espion·nes, non. Plutôt celle « vraiment sympathique » qui rend le sourire aux lecteurs et lectrices en proie, comme elle, à l’éco-anxiété.
Car, après avoir repris des études sur le changement climatique et consacré une longue enquête à la pollution aux plastiques, cette ancienne journaliste de l’Agence France Presse n’en menait pas large. Elle avait regardé la crise environnementale bien en face et sentait son horizon se brouiller. Quant aux personnes qui assistaient à ses conférences sur le plastique, elles en ressortaient, certes informées, mais aussi « complètement déprimées ».

Un besoin vital d’inspiration

« J’ai ressenti le besoin de me trouver une sorte de thérapie personnelle pour aller mieux », confie-t-elle en visio, depuis son bureau des Côtes-d’Armor, en Bretagne. Mais « plus que d’un diagnostic », elle sentait qu’elle avait « besoin d’inspiration ». Elle voulait également pouvoir offrir plus que des constats aux personnes qui la lisaient, soit un véritable « petit sac à dos de solutions ou d’astuces pour qu’elles puissent continuer à se lever le matin ».
Elle s’est alors mise en quête de personnes « inspirées et inspirantes » qui, comme elle, « avaient conscience de la crise écologique, mais qui arrivaient à dépasser leur éco-anxiété pour aller de l’avant en gardant le sourire ». Son but ? Aller à leur rencontre, « discuter avec elles, les observer et finalement vulgariser leurs recettes pour aller mieux ». Ces êtres aux yeux bien ouverts et à l’énergie communicative, elle les appellerait… « écoptimistes ».
Ni optimistes « béats », ni « techno-rassuristes », ni je-m’en-foutistes, ils sont finalement au nombre de neuf. Des hommes et des femmes de 22 à 78 ans, avec qui Dorothée Moisan a passé du temps afin de rassembler leurs portraits dans un livre. « L’idée était d’avoir des portraits très différents. Pour que chacun·e puisse y trouver une source d’inspiration qui puisse lui être utile dans sa vie ».

L’écoptimisme, une affaire de famille ?

Pour mieux comprendre ces écoptimistes, la journaliste s’est entretenue avec des personnes de leur entourage, souvent des membres de leurs familles : parents, frères et sœurs, enfants… Qu’a-t-elle appris des liens entre famille et écoptimisme ? « Ce que j’ai pu constater dans ces échanges, c’est que ce n’est pas parce que les parents sont écoptimistes que les enfants le sont, et inversement, nous répond-elle. Ce qui compte, c’est la force de l’exemplarité ».

« Pour devenir écoptimiste, il faut avoir été éco-anxieux, il faut avoir compris »
Dorothée Moisan

Journaliste et autrice des Écoptimistes

Prenons Guillermo Fernandez, qu’elle surnomme le « punk solaire ». Le jour des 13 ans de sa fille cadette, ce papa suisse s’est effondré à la lecture du rapport du GIEC. Lui qui n’avait pas compris l’ampleur du problème jusqu’à ce jour de l’été 2021, a décidé de se lancer dans une grève de la faim devant le Palais fédéral de Berne. Une action radicale qui a suscité une importante solidarité citoyenne et a fini par porter ses fruits, puisqu’il a obtenu l’engagement que le parlement suisse soit formé aux enjeux climatiques par des expert·es du GIEC.
« Cette énergie, cet enthousiasme portent [ses enfants], raconte Dorothée Moisan. Avoir ce papa qui se bat pour eux, pour changer les choses et créer une société plus juste et résiliente, ça leur donne un modèle fantastique ». Un modèle humain aussi, puisqu’après son action, Guillermo Fernandez a eu un contre-coup, et s’est à nouveau relevé : « Je me suis dit que c’était une belle illustration du fait qu’on ne peut pas se battre tous les jours sans jamais avoir une once de doute ou de tristesse. Aucun écoptimiste ne l’est tout le temps ».
C’est une constante chez les hommes et les femmes qu’elle présente dans son livre : toutes et tous ont traversé une période difficile lorsqu’ils ont pris conscience de l’ampleur de la crise environnementale. « Se dire qu’on amène ses enfants dans un monde qui va être très compliqué est difficile à accepter », observe Dorothée Moisan au sujet des parents. Mais ce deuil est nécessaire, selon elle, car « pour savoir comment agir et réagir, il faut savoir ce qui se passe » et « pour devenir écoptimiste, il faut avoir été éco-anxieux, il faut avoir compris ».

Des « bateaux remorqueurs »

Autre exemple familial : celui de Louise Arrivé, une étudiante de 22 ans débordante d’énergie et d’engagement. Pour dresser son portrait, la journaliste a participé à un repas de famille où la jeune femme a répliqué à son père, qui craignait de lui avoir transmis son éco-anxiété : « Mais non, papa, et puis ce n’est pas parce que l’humanité court à sa perte que les autres espèces ne survivront pas. Ce sera le cas des arbres centenaires, par exemple ». « Lucide, mais pas désespérée », elle se dit très heureuse d’être née à cette époque, avec un tel défi à relever. Au point de devenir un exemple pour ses propres parents.
Quant à Franck Courchamp, écologue, « ses deux enfants sont ébahis par leur papa qu’ils appellent ‘le roi des animaux’ ». Confronté au quotidien à la sixième extinction des espèces, ce directeur de recherche au CNRS déclare malgré tout s’amuser « 95% du temps » et consacre une énergie importante à transmettre ses connaissances, avec humour. Une positivité à (presque) toute épreuve qu’il infuse également à la maison.
« Les écoptimistes ont le pouvoir d’emporter les autres, constate Dorothée Moisan. J’ai rarement vu une famille où tout le monde était écoptimiste. Mais s’il y en a un ou une dans la famille qui l’est, c’est un peu le ‘bateau remorqueur’ qui peut mettre tout le monde sur la bonne voie ».

De l’action et du lien

Comment s’inspirer de ces personnalités à l’énergie et à la positivité assez exceptionnelles ? Comment cultiver l’écoptimisme, chacun·e à sa petite échelle ? « Il y a des moments où ça ne va pas », admet la journaliste, qui se dit « écoptimiste en devenir ». En tant que spécialiste des questions environnementales, elle peut difficilement se détourner de l’actualité et de son flot de mauvaises nouvelles. Mais elle s’autorise désormais à lire un peu moins et à ne prendre que ce dont elle a besoin.
Près de son bureau, elle a affiché cette phrase « d’une efficacité redoutable » que lui a livrée une de ses écoptimistes : « On fait grandir ce que l’on regarde ». « Si je ne regarde que les mauvaises nouvelles, je vais les faire grossir au point de ne plus rien voir d’autre et d’être paralysée. À un moment, j’estime qu’il vaut mieux être moins informée et garder le pouvoir d’agir ».
Agir. C’est un des ingrédients clés de la recette que lui ont révélée ses écoptimistes, qui ont en commun de puiser leur énergie dans l’action et le lien. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut voir grand ou chercher loin, précise-t-elle. « C’est souvent au niveau local qu’on trouve des pistes d’action et qu’il y a des bonnes nouvelles. Dans la famille, dans la commune, on peut avoir un impact. Pour le bien-être personnel, c’est essentiel ».
« Une vie sobre peut donner beaucoup de joie, continue Dorothée Moisan, bien emmitouflée derrière son ordinateur. Il ne faut pas que les gens prennent la société qui est en train de se créer comme une société sans confort. Il faut juste qu’on apprenne à y vivre avec plaisir ». Elle-même a l’ambition de créer une « fabrique d’écoptimisme massif », une maison proche de la mer où elle proposera des rencontres et des ateliers. Histoire de contribuer à faire grandir à sa manière ce qu’elle appelle « la folle communauté des gens aux yeux ouverts ».

EXTRAIT

« ÉCO-ANXIÉTÉ : sentiment de détresse lié au dérèglement climatique, et plus largement à la destruction de la planète et de ses habitants.
ÉCOPTIMISME : capacité à dépasser l’éco-anxiété et à garder le feu sacré face à un avenir obscur et néanmoins lieu de tous les possibles ».

Dorothée Moisan, Les écoptimistes. Remèdes à l’éco-anxiété

COULISSES

La petite histoire

Ce livre, je l’ai reçu en cadeau de la part d’une personne à qui j’avais parlé de mon éco-anxiété. J’ai mis un certain temps à l’ouvrir. Comme le sujet m’inquiétait, je n’avais plus envie d’y penser ! Mais je ne l’ai pas regretté. Au fil des pages, ces rencontres m’ont boostée. Et la dernière phrase du livre a achevé de me donner envie de le partager : « À quoi bon pleurer et céder à la paralysie quand l’action est si belle et la compagnie si folle ? ».

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