Crèche et école

Anne D’hond est conseillère en orientation chez Infor Jeunes Bruxelles. Elle met ses compétences, son expérience au service des jeunes, non pas pour les conseiller comme le suggère son titre professionnel, mais pour les accompagner dans leur parcours et faciliter leur choix d’orientation. Les grands ados, elle les connaît donc bien. On passe en revue avec elle quelques points d’intérêt majeurs, entre rappels nécessaires, pièges à éviter et conjoncture actuelle.
Ces dernières années, on a vu apparaître beaucoup de tests de personnalité, accessibles en ligne notamment, destinés à faciliter l’orientation. Quelle valeur peut-on leur accorder ?
Anne D’hond : « Tous ces tests, ces outils, en ligne comme sur papier, doivent être pris comme un point de départ, pas comme une finalité. Ils n’ont rien de magique, ils ne donnent pas la formation ou le métier vers lesquels le jeune doit s’engager absolument. J’en utilise - pas systématiquement - comme le test/questionnaire de Holland qui permet de montrer des centres d’intérêts parmi six types de personnalités (ndlr : aussi appelé test RIASEC, pour réaliste, investigateur, artistique, social, entrepreneur, conventionnel), parce que cela permet de mettre en avant certains aspects. Ce questionnaire est une porte d’entrée pour comprendre les secteurs et métiers et rentrer ensuite dans l’accompagnement en tant que tel. Ici, à Infor Jeunes Bruxelles, c’est un processus qui comprend trois à quatre rendez-vous – et plus si nécessaire -, à raison d’une fois par semaine et d’une durée d’une heure trente. Donc les tests, O.K., mais derrière, il faut un appui et une analyse. Cela peut être un·e enseignant·e, le centre PMS, bien sûr, mais je ne peux qu’encourager les jeunes à rencontrer un conseiller ou une conseillère d’orientation. Outre notre expérience et notre connaissance des dispositifs, filières ou formations, notre grande force, c’est d’être en dehors de la sphère de l’école, de la famille ou des copains/copines et ainsi de pouvoir peut-être mettre le doigt sur des points spécifiques, sur ce qui bloque, mais aussi d’être bien plus dans la réalité. Le processus d’accompagnement en orientation permet d’explorer, de trier, de prioriser et de développer la capacité de réflexivité du jeune. »
Ce qui veut dire que les jeunes peuvent être un peu déconnectés de cette réalité ou qu’ils idéalisent certaines professions, certaines formations ?
A. D. : « L’ubérisation et les défis actuels de la société font qu’aujourd’hui beaucoup de jeunes estiment n’avoir pas de temps à perdre. Ils veulent être ‘entrepreneurs’ (voir encadré), très bien, mais entreprendre, c’est connaître un domaine d’activité, maîtriser un budget, risquer l’échec… Notre travail, c’est de faire en sorte que les jeunes se posent les bonnes questions, de les accompagner dans cette démarche et ensuite d’en faciliter l’accès. L’orientation, c’est une stratégie. On va chercher à trouver les bons leviers en gardant en tête des questions de fond comme ‘Comment je fais avec la personne que je suis ?’, ‘ Est-ce que je suis à la bonne place ?’. Et cela, c’est quelque chose qui est valable dès le milieu du secondaire, voire parfois avant. Il y a toujours des styles d’apprentissage, certaines manières de faire dans lesquelles on est plus à l’aise : on peut être plus pragmatique, plus réflexif, plus fonceur, plus méthodique, plus intuitif… Tout ça, ce sont aussi des éléments à prendre en compte dans sa recherche. Ce qu’on oublie parfois de faire parce que l’école n’y donne pas toujours assez d’attention. »
Les ados peuvent aussi aller chercher autre chose en dehors du cadre scolaire ou familial ?
A. D. : « De l’expérience et de la curiosité. Plus on en a, plus ça va être aidant pour s’orienter. Une activité, un job de vacances, une journée d’observation chez un·e professionnel·le, c’est accessible à peu près à tout le monde. L’expérience, se confronter à la réalité, oser et essayer ce que l’on ne connaît pas, c’est le meilleur révélateur. Être curieux, aller sur le terrain, ça permet de tester, de se tester, de développer des aptitudes, de se créer un réseau. C’est important, parce que si ça permet de confirmer des envies, ça peut aussi avoir l’effet inverse, de se dire ‘Bon, est-ce que finalement j’ai vraiment envie d’en faire mon métier ?’. L’orientation, c’est un processus de tri, un système en entonnoir. En se posant des questions, en analysant ses ressentis, on dégage des points positifs, d’autres négatifs qui aident à affiner son projet, on identifie mieux qui on est dans ses intérêts, où est notre zone de confort et par extension celle d’inconfort. Encore une fois, il n’y a rien de magique là-dedans, mais être attentif à soi, se poser des questions, c’est se donner plus de chances de réussite, notamment en éliminant les choix par défaut, ceux qui sont faits sur base du ‘pourquoi pas ?’, parce que la réflexion sur son avenir n’a pas été entamée. »

« L’échec fait avancer. Se tromper, c’est aussi acquérir une forme d’expérience »
Ce qui veut dire qu’en matière d’orientation, l’échec, l’erreur de parcours sont toujours possibles ?
A. D. : « Évidemment. Il y a dans nos vies des obstacles qui sont franchissables et d’autres qui le sont moins, voire pas du tout. L’échec fait avancer. Se tromper, c’est aussi acquérir une forme d’expérience. Et ne pas faire par peur de rater, c’est aussi un indicateur pour nous, on va y accorder de l’attention, trouver des pistes pour limiter cette faiblesse. Dans tout cela, il faut aussi toujours garder en tête que l’orientation, la formation, ce sont des parcours évolutifs. Quand un·e ado, un·e étudiant·e, un·e adulte entame un processus d’orientation ou de réorientation, la réalité du moment ne sera pas la même que six mois ou un an plus tard. Il faut sortir du schéma qui induit une course au diplôme, par exemple. Là, on parle de réalisation de soi, de trouver dans quoi on peut être bien pour rebondir. Parfois, il faut savoir oser se dire que ce n’est pas O.K. et changer sa vision des choses. »
Quand on est ado, à la charge financière de ses parents, ce n’est pas forcément facile d’assumer cela.
A. D. : « Dans ce grand maelstrom de l’orientation - un sujet qui reste encore assez tabou dans les familles -, la maturité et l’entourage sont des pièces importantes. On peut aussi apprendre à parler à ses parents, leur expliquer qu’on est tous multiples, qu’il n’y a pas que l’école et les parcours classiques pour avancer. À Infor Jeunes Bruxelles, ils sont parfois invités à participer à certains rendez-vous pour qu’ils entendent les choses, que le choix de l’enfant colle ou pas. Ce n’est pas toujours facile à entendre, c’est sûr, parce que certains ont mis leur enfant sur des rails, parce que d’autres sont allés aussi trop vite ou ont mis une pression parce que, dans la famille, on est ingénieur et rien d’autre. L’idée, c’est de faire accepter que son enfant est différent de soi, qu’il peut avoir un parcours autre que le sien. Ce n’est pas toujours facile, parce que ça met en jeu des valeurs personnelles, familiales, sa propre vision du monde du travail. Il peut y avoir un fort décalage entre parents et enfants, et encore plus aujourd’hui quand on regarde ce qu’il se passe dans le monde en matière de mutation sociale ou de transition écologique. »
TENDANCE
« Moi, je veux être entrepreneur »
C’est le mot à la mode chez certain·es (grand·es) ados ou pré-adultes, souvent guidé·es par ce mythe de l’argent facile véhiculé principalement par les réseaux sociaux. En conséquence, l’école est peu à peu mise de côté et le rapport à l’effort perd de sa valeur. De cette manière, ces jeunes se privent de tout un parcours, de toute cette construction qui amène à un projet concret.
« Personne n’ira dire que l’entreprenariat, c’est une mauvaise idée, indique la psychologue Alexia Lesvêque. Mais ce que les jeunes voient, ce n’est qu’une image de façade, celle de la réussite de l’un·e ou l’autre via les réseaux sociaux. Évidemment que c’est attirant quand on est en pleine construction de soi, quand on a de grands rêves, de grandes ambitions. La réalité est malheureusement pour eux très différente. Entreprendre et surtout réussir, ça se fait rarement dans la facilité, il y a un investissement en temps, en argent et souvent des échecs. Pour rebondir et à nouveau entreprendre, cela demande une grande force morale, des soutiens familiaux et extérieurs forts. Ce qui n’est pas donné à tout le monde. »
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