Vie pratique

Vous l’avez peut-être ressentie pendant les dernières vacances, soit en tant que parent, soit en tant que parent de parents : être grand-parent à distance, la délicate affaire. Les petits-enfants poussent loin. Vite. Parfois le lien qui unit semble morcelé. Loin des yeux, loin du cœur ? Voyons voir comment s’en sortent les familles.
« Je vais chercher le petit à l’école, on va se promener en ville après, on vous dit quand on rentre ». Jean-Paul, 75 ans, en concubinage et grand-père de Freddy*, 7 ans, ne demande pas à Paulin*, son fils de 45 ans, il l’informe. Papypolou prend le contrôle sans aucune autre forme de ménagement, pour le bonheur de toutes et tous.
Le plus beau rôle de ma vie
Une fois passé l’ouragan Jean-Paul, on en demande plus à son fils. Son papa vit dans le sud de la France. Il revient régulièrement en Belgique, d’où il est natif. Il « squatte à droite, à gauche, chez des copains, des copines, de la famille, pour ne pas nous embêter. Quand il est là, l’affaire est simple : il passe un max de temps avec Freddy. Ils sont tous les deux hyper contents. Et nous, on souffle. C’est l’idéal, quoi ».
L’idéal ? On boit un café avec Papypolou pour voir si sa version des faits coïncide. Le pétillant soixante-huitard ne tarde pas à laisser exploser sa joie. « C’est le plus beau rôle de ma vie. Je n’ai qu’une relation d’amour avec ce gamin que j’adore. Parfois, avec la complicité de mes enfants, je ne lui dis pas que je suis en Belgique, je débarque à l’école, à l’heure des parents. Ses yeux s’écarquillent, il me saute dessus. Avec lui, c’est la fête ».
« Nous nous retrouverons toutes et tous, entourés de nos familles, autour d’un grand feu. À plaisanter et se raconter de chouettes trucs, dans la légèreté de l’instant » – Papypolou
Pas besoin de faire un dessin, Paulin, Jean-Paul et Freddy tirent de leur distance une incroyable force communicative. Les ingrédients pour que ça fonctionne ? De la clarté. « Mon fils et son épouse ne supporteraient pas que je me permette de débarquer comme ça et de faire ce que je veux. Le contrat s’est établi très vite. Quand je déboule, ils soufflent. Je m’occupe de tout. Dans le respect des valeurs avec lesquelles ils éduquent Freddy. Pas d’écran, pas (trop) de crasses et, surtout, on respecte le dodo. J’ai souvent mordu la ligne, je me suis bien fait enguirlander. Et je comprends ».
Pour Anne Paravy, psychologue qui a consacré pas mal de recherches aux grands-parents, c’est une base importante que celle d’établir un contrat au plus près des besoins de chacun·e. « Bien sûr, il va être modifié suivant les cas. Mais c’est sans doute la manière la plus profitable de créer des liens familiaux, bénéfique à tous, malgré la distance ».
Hélas, la facilité avec laquelle la tribu de Jean-Paul cuisine la popote familiale n’est pas aussi évidente pour tout le monde.
Deux planètes différentes
Il ne nous a pas fallu chercher loin pour trouver une situation plus épineuse, celle de Carole, la compagne de Jean-Paul. Elle vit avec lui dans le sud de la France, ses enfants vivent à Tournai et dans le nord de la France. Sur le papier, l’organisation est simple : quand nos retraité·es regagnent les terres du plat pays, l’un·e et l’autre se consacrent principalement à leur famille respective.
Seulement, pour Carole et ses sept petits-enfants âgés de 5 à 16 ans, les retrouvailles sont nettement plus complexes. « Je sens très nettement que je ne fais pas partie de leur vie. Pourtant, j’essaie. Beaucoup. J’ai d’abord opéré par fratrie, mais ça ne fonctionnait pas. Alors, j’ai essayé de procéder par âge. Régulièrement un ciné, un resto, une expo avec les aîné·es, mais je les ennuie. J’accompagne les activités des plus jeunes, mais que je sois là ou non, ça ne change pas grand-chose ».
La cause, selon elle ? D’abord, l’omniprésence des parents, qui lui laissent peu de champ pour passer un moment privilégié. Puis, une différence de culture. « Nous avons quelques divergences idéologiques avec mes enfants. Je suis trop bohême à leur goût. J’essaie pourtant de ne pas débattre et de ne rien imposer, mais avec mes petits-enfants, c’est comme si nous vivions sur deux planètes différentes ».
Ce conflit de valeur revient souvent dans les témoignages. Il peut se présenter sous une forme tout à fait inverse de grands-parents très attachés à des traditions qui mettent à distance des enfants ou des petits-enfants plus progressistes.
Est-ce que la distance est un exhausteur idéologique dans ce type de cas ? Pour Annie Verbaren, psychologue-pansement des relations familiales, la distance complexifie évidemment la relation, mais cette complication se dépasse.
« Plus tard, elle peut même devenir une force. Si l’enfant devenu ado s’oppose aux parents, par exemple, Carole (et Jean-Paul) pourra servir de refuge. De confidents. Sans nécessairement s’opposer aux idées ou aux valeurs des parents, bien sûr. Mais leur recul sur la situation peut s’avérer réconfortant. »
Une relation qui ne cesse d’évoluer
Selon la psy, les grands-parents ne doivent pas mentir sur qui ils sont. Ne pas chercher à séduire ou à jouer un rôle. Il est important de marcher droit sur le chemin. À voir si les petits-enfants l’emprunteront ou non. Rien n’est jamais figé, conforte la psy. La beauté d’une relation, c’est qu’elle évolue et ne cesse de le faire. Continuez donc à essayer. À chercher, à cultiver et à chérir le lien. Sans découragement. Intéressez-vous. Racontez des histoires du type « Quand ton père avait ton âge… ». Montrez-vous présent·e et disponible. Insistez sur le fait que votre foyer leur est toujours ouvert. Soyez ce refuge toujours présent et accessible.
« L’histoire ne s’arrête pas comme ça, rassure Jean-Paul. Nous nous retrouverons toutes et tous, entourés de nos familles, autour d’un grand feu. À plaisanter et se raconter de chouettes trucs, dans la légèreté de l’instant ». Carole écrase une larme discrète. Elle regarde ailleurs comme si cette image d’Épinal apparaissait sous ses yeux. Elle pousse un profond soupir pour chasser le poids de son témoignage. Puis lâche, comme consolée : « On ne peut pas faire de feu dans le jardin, gros malin ». Jean-Paul rigole. L’enlace. Dépose un baiser sur son front. Et confiant, insiste : « On trouvera forcément autre chose ».
Vous aussi qui nous lisez, vous trouverez forcément.
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