Vie pratique

Ni dépression post-partum, ni burn-out maternel, ni désamour. Dans son livre Le regret maternel et via son compte Instagram qui rassemble presque 25 000 followers, l’autrice Astrid Hurault de Ligny témoigne d’un ressenti tabou et s’appuie sur la psychologie pour mieux vivre ce regret au quotidien. Et aussi déculpabiliser d’autres mamans.
« La maternité est une relation, (…) et comme toutes les relations humaines, elle contient de multiples émotions comme la joie, l’ennui, la haine, l’amour et oui, le regret. » Astrid Hurault de Ligny ouvre son premier essai par cette citation de la sociologue féministe israélienne Orna Donath. Une des penseuses contemporaines qui a bousculé les perspectives de la maman de 36 ans originaire de Caen (France) et basée à Montréal (Canada) depuis plusieurs années. Elle qui s’est toujours imaginée avoir des enfants, au pluriel. Pourtant, une fois mère de son premier garçon, rien ne se passe comme prévu. Les difficultés s’accumulent et perdurent.
Grâce à ses recherches, elle parvient à mettre un mot sur ce qu’elle ressent : le regret d’être devenue mère. « En 2019, une petite année après la naissance de mon fils, j’étais en pleine dépression post-partum, encore sous anti-dépresseurs … Je tombe alors sur une story Instagram d’une journaliste qui parlait du livre Regretting Motherhood d’Orna Donath, (ndlr : littéralement, regretter d’être mère). Est-ce qu’à ce moment-là, je regrettais déjà mon rôle ? Je ne pense pas que j’aurais été capable de le verbaliser de la sorte, mais je me suis sentie concernée sans vraiment savoir pourquoi. J’avais repris le travail à temps plein après mon congé de maternité et la pression de vouloir être la meilleure mère possible a doucement engendré un burn-out maternel. Je suis passée par tout le spectre si je peux dire ».
En mars 2020, la pandémie, le premier confinement. L’autrice perd son travail et se retrouve bloquée chez elle. « Je l’ai vécu comme un second congé de maternité, mais forcé cette fois. J’étais toujours fragile mentalement. C’est pendant cette période que j’ai formulé pour la première fois à mon conjoint que si c’était à refaire, je n’aurais pas eu d’enfant ».
Regretter, impossible
Si l’idée peut troubler, certaines femmes regrettent leur rôle de maman, bien qu’elles aiment leur enfant de tout leur cœur. Moins de temps pour l’épanouissement personnel et professionnel, un statut de femme chamboulé, on devient « la maman de »…
« Les remords ne sont pas tolérés lorsqu’il est question d’enfanter, alors qu’on ne choisit pas de regretter sa maternité, ça nous tombe dessus, argue Astrid. Pour définir le regret maternel, je dis toujours que si j’avais droit à une deuxième vie, je ne voudrais pas d’enfant dans celle-ci. Il faut bien faire la différence entre regretter d’être mère et regretter son enfant. Certaines mères regrettent leur enfant, et je ne porte d’ailleurs aucun jugement là-dessus. On fantasme tellement la venue au monde que lorsque l’enfant est atteint d’un trouble ou d’une maladie, par exemple, la réalité est souvent bien plus dure. Ce que j’essaie d’exprimer dans le livre, c’est que le regret ne résulte pas en un désamour envers mon fils. C’est le rôle que sa naissance implique aujourd’hui dans ma vie que je regrette ».
Le regret maternel n’est aucunement lié à une forme de rejet ou de désamour pour son enfant
Consultée à de nombreuses reprises dans l’ouvrage, la psychologue spécialisée en périnatalité Véronique Borgel Larchevêque décrit notamment qu’il n’est pas pathologique de ressentir de l’ambivalence lorsque l’on est mère. Par exemple, aimer son enfant, mais avoir hâte qu’il soit plus autonome afin d’avoir du temps pour soi. Loin de se faire le pamphlet d’un néologisme, le livre, écrit à la première personne, met en lumière l’aspect multifactoriel du regret maternel.
« En plus de ma haute sensibilité qui ne m’a pas aidée dans ma maternité, mon modèle familial a également eu un impact décisif. Élise Marcende, présidente de Maman Blues, une association de soutien pour les mamans en difficultés, explique d’ailleurs dans le livre que ‘derrière la naissance physique, il y aurait tant à dire sur la naissance psychique en tant que mère’. On ne prévient pas assez les femmes qu’une naissance vient rouvrir des cicatrices de notre propre enfance, de la manière dont nous avons été élevées et aimées. Et puis, dans le regret, il y a aussi l’énorme rôle joué par les injonctions sociétales, comme la charge mentale, souvent mal répartie, qui repose le plus souvent sur les femmes, le mythe de l’instinct maternel, voire encore la durée du congé maternité et l’importance du congé paternité. »
Rôle chéri ou haï
Regretter le rôle de mère est une casquette difficile à porter. En osant prendre sa plume, Astrid Hurault de Ligny contribue à la libération de la parole sur un aspect impensable de la maternité et déboulonne un tas d’idées reçues. « Quel égoïsme ! Pensez aux femmes qui ont des difficultés à avoir un enfant », « La maternité est un choix aujourd’hui. Si on n’est pas prête à s’en occuper, mieux vaut ne pas en avoir », ou encore « Le bonheur de la maternité est irremplaçable pour une femme. C’est contre-nature de ne pas vouloir d’enfants ou de les regretter une fois au monde ».
Issue d’une famille aisée et catholique pratiquante, Astrid n’aurait jamais pensé remettre en question le modèle qu’on lui a inculqué. « Faire des études, me marier, fonder une famille, le chemin a toujours été tracé pour moi. Je peux même dire que je fantasmais la vie de mère. Compte tenu de l’impératif de procréation qui repose sur nos épaules, j’ai l’impression que le regret maternel guette toutes les femmes qui viennent d’un milieu un peu traditionnel comme le mien ».
Astrid le rappelle plusieurs fois à travers son bouquin : le regret maternel n’est aucunement lié à une forme de rejet ou de désamour. « Quand je regarde mon petit garçon, son regard qui pétille, sa vivacité d’esprit, je suis tellement fière de lui, s’émeut la maman. Au début, je me sentais très coupable. Il n’a pas mérité que je ressente ça. Mais la relation avec mon fils a toujours été bonne. L’amour que je ressens pour lui est viscéral et il est aussi très expressif sur l’amour qu’il me porte. Il me dit très souvent qu’il m’aime ‘jusqu’au Soleil aller-retour’. C’est essentiel de savoir qu’il n’est pas impacté par ce que je peux ressentir dans ma position de mère ».
Des ressources pour atténuer le regret
Après avoir consulté un·e professionnel·le pour s’assurer qu’il n’y a aucun symptôme dépressif associé au regret maternel, Astrid Hurault de Ligny atteste que la parole est la plus salvatrice. « Proche, conjoint·e, thérapeute si on en a l’opportunité. L’important, c’est de ne surtout pas garder ça pour soi. La création de mon compte Instagram (@le_regret_maternel) était en cela une des meilleures thérapies. J’ai reçu des centaines de témoignages de femmes qui ressentaient la même chose que moi. Ne pas se savoir seule aide beaucoup ».
On peut même imaginer aborder le regret maternel avec l’enfant au moment opportun, confirme la psychologue en périnatalité Véronique Borgel Larchevêque dans le livre. Il faudra bien sûr trouver les bons mots pour ne pas lui transmettre de culpabilité, le rassurer sur le lien d’amour qui persiste entre le parent et l’enfant, mais en parler avec lui peut l’aider à donner du sens à ce qu’il vit.
« Il est certain que lorsqu’il sera plus grand, je lui parlerai au moins des difficultés de mes premières années en tant que maman, de l’impact de ma propre enfance sur la mère que je suis pour lui, décrit Astrid. Dire ‘Tu sais, je suis si heureuse que tu existes, mais je ne suis pas sûre que j’étais taillée pour ce rôle’, ce n’est pas la même chose que de hurler sur l’enfant et lui dire qu’on voudrait qu’il ne soit jamais né. »
Comme tout autre émotion, le regret maternel fluctue. « Je le vis mieux grâce à la thérapie, l’écriture de ce livre, ainsi que mon compte Instagram. Mon fils grandit et gagne en autonomie, mais ma vie ne sera plus jamais la même et je sais que ce regret sera toujours là en arrière-plan. En revanche, sans l’expérience de la maternité, je ne serais pas aussi avancée sur les questions de genre, pas autant féministe. J’espère profondément que mon témoignage pourra aussi déculpabiliser d’autres mères qui ressentent la même chose ».
ELLES TÉMOIGNENT
Une vie complexe
« Si j'avais eu le soutien et la vie de famille heureuse à laquelle j'aspirais, je pense que je n'aurais jamais regretté d'être mère. Mon fils a été désiré et je l'aime aujourd’hui plus que tout, c'est évident. Mais cela n’empêche que je ressens fortement le poids des injonctions qui voudraient qu’on soit tout à la fois : mère, épouse, carriériste, sportive, performante partout. Entre l’envie d’être suffisamment présente pour mon fils et celle de m’épanouir personnellement, ma vie de mère est bien plus complexe que je ne l’imaginais. »
Eneleh, maman solo
Et le regret paternel ?
« Pourquoi ne pas dégenrer la problématique et parler de regret paternel ? Je connais quelques papas pour qui la situation est similaire. Le père de mes enfants a toujours des difficultés à appréhender sa propre paternité. »
Aurore, maman de deux enfants
Le choix de ne pas avoir d’enfants
« Je suis éducatrice et entourée d'enfants au quotidien, cela m'enchante suffisamment. Je sais pertinemment que je sentirais une forme de regret maternel si j’avais un enfant. Je connais mes besoins de liberté et je ne ressens pas le désir ni le besoin de m'investir dans un tel projet de vie qui, selon moi, est quand même fortement conditionné par la société, surtout lorsqu’on est une femme. »
Terry
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