Développement de l'enfant

Mères et filles, toutes féministes ?

Dans le petit clan Ligueur, entre hommes et femmes, on parle beaucoup de féminisme. On l’évoque souvent comme une valeur pas si simple à transmettre à ses enfants. Parce qu’elle a une histoire. Parce qu’elle induit beaucoup de responsabilités. Parce qu’elle évolue. On a donc voulu vous donner la parole pour voir comment une maman en parle à sa fille. Sous le patronage de Mireille Pauluis, psychologue, très intéressée par vos mots.

On le sent venir, alors autant lever le doute tout de suite : non, on ne considère pas que le féminisme soit le seul apanage de la relation mère-fille. Bien sûr qu’il y a un gros boulot à fournir auprès des petits gars. Bien sûr que les pères ont leur mot à dire. Mais là, précisément, c’est ce qui se joue entre les mamans et leurs filles aujourd’hui qui nous intéresse. Parole de papa féministe. Ceci clarifié, place aux mamans !

« C’est pas des trucs de nénettes »

Chez Maria, maman de deux filles de 7 et 9 ans, tout part d’une main aux fesses. Remontée, elle rejoue la scène : « J’ai appris il y a peu que ma fille aînée se prend régulièrement des mains aux fesses par un petit sot de son école. Pour elle, ‘rien de grave’. On dirait que s’il lui jetait des boulettes de papier, ce serait pareil. Je lui ai parlé d’intimité. De son corps. ‘Il t’appartient, tu dois savoir dire stop dès que tu sens qu’on te force. Tu dois avoir la maîtrise. Toujours’. Un vrai préambule au consentement ! ».
Cela semble être une bonne base. Est-ce que savoir refuser, ça s’apprend ? Mireille Pauluis insiste : « Oui. Et c’est important. Il faut apprendre aux enfants à faire des demandes librement en fonction de la situation. Dire aux garçons : ‘Tu n’as pas à faire ça. Je te l’interdis’. C’est difficile à faire passer auprès d’enfants de cet âge. Ça peut être perçu comme de l’égoïsme par les copains. Expliquez que la liberté tient au respect. Et cette notion d’imposer le respect est primordiale à inculquer. C’est le départ de beaucoup de choses ».
Hasana s’est affranchie de pas mal de présupposés pour être heureuse, nous dit-elle. C’est tout naturellement qu’elle éduque sa fille de 11 ans - qui arrive après deux garçons - dans des préceptes égalitaires. Tout est prétexte à aborder le féminisme.
« Je crois que les premières conversations que l’on a eues avec ma fille - et mes fils - tournaient autour des jouets. Quand elle prenait leurs petites voitures. ‘C’est pas des trucs de nénettes’, lançaient-ils. C’est là où j’intervenais. ‘Les filles peuvent jouer aux petites voitures. Elles peuvent aimer les superhéros. Et vous, les garçons, vous avez aussi le droit de vous déguiser en princesse et de jouer avec les poupées de votre sœur. Votre sexe ne définit pas ce que vous aimez’. Vous pouvez toutes et tous être forts ET sensibles. Les deux ne sont pas contradictoires’. Ça a été un choc pour eux trois. »
Justement, qu’est-ce que des enfants peuvent comprendre ? Est-ce que ça rassure les filles ou, au contraire, ça les embrouille ? « Ça ne crée aucune confusion. Tout ce que dit Hasana est très juste. C’est même magnifique. Non seulement les enfants comprennent, mais ça leur apporte des réponses simples à des questions qu’ils peuvent se poser suite à toutes les bêtises qu’on entend dans la cour de récréation ». 

Homme-femme, mode d’emploi

Chez Judith, maman solo d’une pré-ado de 12 ans, la transmission des valeurs féministes pose problème. « Ma fille n’a pas de modèle masculin. Aucun. Et je trouve très compliqué de lui exposer que le féminisme n’est pas un combat d’un sexe contre l’autre, sans qu’il y ait de voix masculine pour lui montrer l’exemple. J’ai peur du rapport qu’elle aura aux hommes plus tard dans sa vie de femme ».
Il y a plusieurs questions que pose Judith. La première sur le référent masculin et la deuxième sur l’influence des valeurs féministes dans les rapports amoureux. Notre psy rassure : « Pas de panique, les écoles sont mixtes. Elle se confronte aux garçons dans la cour de récré, en cours avec les profs, dans ses activités musicales, mouvements de jeunesse ou autres. Les adultes mâles référents ne manquent pas. La question serait plutôt de savoir quelle place Judith laisse aux hommes dans sa vie. Est-ce que les rapports sont clairs ? Là aussi, ça a à voir avec la transmission. Sur la question de l’entrave du féminisme aux relations amoureuses : une rencontre, c’est unique. Chaque histoire de deux êtres qui tombent amoureux est différente. Au départ, on n’a pas beaucoup d’outils. Et puis, on se lance dans une belle aventure qui se construit ensemble. Sans lieux communs. En prenant des risques, comme partager des périodes difficiles. Se dire les choses librement. Au final, la seule chose qui va compter pour la fille de Judith, comme pour les autres, c’est de se sentir libre. Même à deux ».
Sur la question des rapports homme-femme, Hasana avance prudemment. « Je fais très attention à ne pas incarner une certaine vision qui tend à gommer toutes les différences entre les filles et les mecs. Nous avons eu une petite discussion l’autre jour à propos d’un copain à elle qui est plus sensible que les autres garçons. Elle a lancé : ‘Il aimera les hommes, lui’. Je lui dis souvent de ne pas enfermer les personnes dans des cases et, surtout, de ne pas avoir peur de la différence. Voire même d’en faire l'éloge. J’ai l’impression qu’elle comprend ».

« Il n’y a pas d’intentions de nuire aux hommes. Les femmes revendiquent non pas leurs conflits avec les hommes, mais bien leurs droits injustement bafoués. » Mireille Pauluis, psy

Notre psy nous confirme qu’en effet il ne faut pas créer de confusion du genre auprès des enfants. « Il faut à la fois pouvoir montrer que les hommes et les femmes ne sont pas enfermés dans des étiquettes, tout en expliquant qu’il existe des différences. Il y a plein d’exemples. Une femme n’est pas bâtie de la même façon qu’un homme, mais ça ne l’empêche pas de faire des travaux de force. Un papa ou une maman qui materne, ce n’est pas la même chose. Une femme, une fois maman, n’a pas la même sensibilité, elle a subi plus de bouleversement qu’un papa, par exemple. Il faut pouvoir identifier ces différences, sans présupposés. C’est important pour des enfants de cet âge à l’aube de leur construction sexuelle ».

Ça veut dire quoi, être féministe ?

Dans tous les témoignages, il est question du féminisme d’aujourd’hui. Comme si le féminisme de grand-maman, celui qui a ouvert tant de portes, celui qui a mené plusieurs combats, était derrière. Bien sûr, l’affaire Weinstein est sur toutes les lèvres, suivie des termes « harcèlement » et « culture du viol ».
On retrouve Maria. « L’idée la plus importante que je veux faire passer à mes filles, c’est de lutter contre les peurs. La plus grande injustice à mes yeux, c’est le fait que nous soyons effrayées en permanence d’être victimes de violence physique, sexuelle ou psychologique. Je leur dis une chose simple : ‘Prenez votre place. Dénoncez les injustices et les inégalités. Faites-vous entendre. Ne vous laissez jamais dire que vous n’avez pas accès à telle ou telle chose, uniquement parce que vous êtes une fille. C’est votre siècle’. Elles adorent quand je leur parle de ça parce que je m’emporte et qu’elles se sentent surpuissantes ».
Quelles peuvent être les conséquences d’un tel discours ? Est-ce que ça marche ? Notre psy n’hésite pas : « Weinstein ? Oui, ça compte et ça redonne une orientation au féminisme. D’un coup, les femmes ont parlé. Ce qui est grave et qu’il faut expliquer aux enfants, c’est l’abus de pouvoir. C’est à dénoncer, parce que ça se retrouve dans la vie de tous les jours. Vous savez, il y a beaucoup d’emprise dans les relations humaines. Dire aux filles, ‘C’est votre siècle’, c’est très intéressant. Ça enlève le côté nostalgique du type ‘C’était mieux avant’. Ça peut leur faire comprendre que le plus important, c’est de rester critique et de conserver intacte leur liberté de pensée ».
Alors quoi ? Au fond, être féministe et maman, aujourd’hui, c’est quoi ? Judith en parle beaucoup avec ses copines. Un jour, sa fille de 12 ans a levé les yeux au ciel en les traitant d’enragées. « Ça nous a fait hurler, mais ça a été très bénéfique. Parce que ça a été l’occasion d’explications. D’abord, lui poser la question de savoir si, selon elle, à compétences égales, elle trouve normal que nous gagnions moins que les hommes. Et puis aussi de lui rappeler des évidences, comme l’IVG ou quand sa petite sœur est arrivée et que j’ai eu un congé de maternité décent. Oui, tout cela vient de la lutte. Je lui explique qu’il y a plusieurs formes de féminisme. Certains mouvements sont plus radicaux que d’autres. Il faut se méfier du terme d’enragées. Il est trop facile à brandir ».
Ces étiquettes ont-elles encore de beaux jours devant elle ? Mireille Pauluis apaise : « Les mouvements d’opinion sont toujours perçus comme radicaux. Dans le cas de Judith, j’expliquerai qu’il n’y a pas d’intention de nuire aux hommes. Les femmes revendiquent non pas leurs conflits avec les hommes, mais bien leurs droits injustement bafoués. Il faut essayer. Ça permet un dialogue qui est sain. Au final, l’idée, c’est de tendre à reconnaître chacun dans la société avec sa différence ».
Ce qui est intéressant dans tous ces témoignages, c’est la légitimité de ces mères à faire vivre leur point de vue auprès de leurs filles. Ces dernières parviendront-elles à les incarner et les faire vivre ? En guise de conclusion, notre psy répond, plus transparente que jamais : « Il faut réussir à aborder tout cela, sans être polémique. Parvenons à nous dire les choses. Cette tribune malheureuse qui vantait le droit à se faire importuner traduit l’inquiétude d’un déséquilibre dans les rapports de séduction. Je comprends. C’est agréable, un compliment. Il n’y a rien de pervers quand un homme nous trouve jolie et qu’il nous le dit. En revanche, je me suis fait cracher dessus, un soir à Bruxelles, par un odieux qui m’a traité de putain. J’ai eu peur. Je n’ai rien osé dire. Ce sont ces deux pendants qu’il faut montrer aux enfants. Différencier le plaisir de l’injure, il est là l’enjeu. Le débat va être vif et animé. Au final, parler de féminisme à sa fille ou à qui que ce soit, c’est parler de son identité. Parler entre filles du plaisir que l’on a d’être une femme ».



Yves-Marie Vilain-Lepage

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