Crèche et école

Nos enfants, premiers inquiets de leur santé mentale

Nos enfants, premiers inquiets de leur santé mentale

Le constat est simple autant qu’il est alarmant : les enfants craquent. Ils pètent les plombs selon leurs propres termes et se voient sombrer les un·e·s et les autres. Et la question qui les hante est déchirante : « Combien de temps je vais tenir, moi ? »

► Il est obligé d’obliger

Côté élèves - Si, à un moment dans l’année, on remet les élèves massivement comme ça, derrière un ordinateur, huit heures par jour, alors il faut mettre des choses en place. Genre, un rendez-vous obligatoire pour chaque élève, avec au minimum un prof et le psy de l’école. Il faut également moins de pression. Et commencer les journées numériques par un tour d’horizon de la météo de l’élève. Minimum. Sans quoi, vous n’aurez bientôt plus du tout d’élèves à mettre derrière les ordis !

Dans mon école aussi, c’est fou le nombre de personnes qui lâchent. On ne les voit plus. Je crois que le truc, c’est de se demander dans quelles conditions vivent certain·e·s. Avant d’exiger des gens qu’ils taffent chez eux, ce serait peut-être bien de se demander s’ils peuvent tout simplement le faire matériellement.

Côté parents -  Il y a des enfants que l’on n’arrive plus à sortir du lit. Et comme nous aussi, nous sommes sur les rotules, pris dans le boulot, à la maison, à l’extérieur, on se dit que ça va passer. Pour cette rentrée, on ne peut pas laisser tomber les enfants comme on l’a fait. Les contacts humains, c’est le pilier de la santé mentale. « On », c’est l’école. « On », c’est le gouvernement. « On », c’est l’ensemble des citoyen·ne·s. Ou alors il faut repenser l’obligation scolaire.

Côté profs - On se sent terriblement impuissant. Dans mon école, par exemple, nous planchons depuis des mois sur un dispositif qui nous aide à agir, un manuel pratique. Un prof fait quoi, par exemple, quand il voit que les résultats d’un ado suivent mais que ce dernier ne va pas bien du tout ? Notre champ d’action s’est restreint. En temps normal, c’est-à-dire quand on voit les enfants évoluer au jour le jour, on a moins de problèmes. Derrière un écran, on se voit trop épisodiquement. Il faut que l’on trouve un principe plus rapide que le PMS pour pouvoir agir.

► Dépression ordinaire

Côté élèves - On a été plusieurs dans mon établissement à signaler aux profs, à la direction, qu’on était démotivé·e·s, perdu·e·s. On a réclamé de l’aide. Et on est restés comme ça, sans réponse. Il nous faut un carnet d’adresses. Un truc de chouettes assos. Pas juste un pauvre numéro de téléphone d’un service tout pété qui sent la poussière.

Côté parents - J’ai vu mes enfants s’assombrir petit à petit. Et je ne sais même pas par où commencer pour réparer ça. Ce que l’on a fait tout le long de l’année, c’est de faire des balades le soir. Même au moment du couvre-feu. Ça nous donnait un peu de baume au cœur, de transgresser. Bon, on habite un village où pas une voiture de police ne circule…

Si on repart encore sur une année à trous, on va se retrouver avec des dégâts psychologiques de plus en plus importants. Élèves, parents, profs dans le même bateau… il est grand, grand temps que l’on mette en place dès cette rentrée des choses solides pour ne pas sombrer.

► Une stratégie s’il vous plaît

Côté parents - Si j’impute beaucoup de choses à l’école, une chose avec laquelle je suis en empathie, c’est combien ça doit être éprouvant pour les profs de trouver les mots justes. Ou même de savoir quand et comment intervenir auprès d’enfants ou d’ados déprimés. On ne peut pas leur demander de compenser les stratégies à la place du gouvernement. Toutes ces failles dont on parle, elles sont d’abord politiques.

 Côté élèves - Absurde, cette question de confinement/déconfinement. Il est important de mettre en place une stratégie qui prenne en compte tous les cas de décrochage et de mal-être qui ont explosé au cours de l’année écoulée. Tiens, une première chose, ce serait d’avoir des chiffres. Pour regarder la réalité en face. Pour montrer que ça existe.

Côté profs - En effet, trouvons une façon de sonder l’état d’esprit des élèves. Peut-être qu’on peut trouver des idées ensemble ? Normalement, ils réattaquent cette rentrée reposés. C’est peut-être maintenant qu’il faut trouver un moyen pour agir. Avant la déprime, le découragement, le décrochage ou pire encore. 

L'ARBITRE

Ce qu'en pense Claude Prignon, coordinateur pédagogique

Il est peut-être moins question de santé mentale que de motivation. Le travail à effecteur doit se faire sur la question de sens, si importante mais tant mise de côté. Qu’est-ce que je fais, moi, en tant qu’élève ? Je vais vers quoi ? C’est une véritable nécessité de travailler ces sujets entre ados et profs. Pour permettre aux un·e·s et aux autres de croire en leurs propres capacités.
Je vois également chez certains élèves, des attentions portées aux conditions des copains-copines moins favorisé·e·s. On ne peut pas redémarrer cette rentrée sur de bonnes bases si on n’a pas ces attentions. D’abord, il nous faut sortir des fantasmes, comme celui qui dit que ces familles n’ont pas d’intérêt pour l’école, par exemple. Quel lien ont-elles avec l’école ? Elles ne sont contactées par l’institution que parce que ça ne va pas.
Il y a un manque de compréhension et de connaissance globale de la réalité des familles, notamment plus « populaires ». Résultat, on en arrive à une solution excluante, sans appel. Sans prendre en compte les problèmes de logement, les questions médicales, les faiblesses particulières. N’existe alors qu’une grille de lecture : les résultats, la discipline.

TRAVAILLER L'APPARTENANCE AU GROUPE

Si on repart sur le même mode de fonctionnement que celui du dernier semestre, il semble vital de travailler l’appartenance au groupe comme on bosse une matière scolaire. Ce qui veut dire, mettre tout de suite sur pied des groupes de paroles et mélanger impérativement les bons et les moins bons élèves, tout en incluant les parents. Pour raccrocher les wagons. L’école doit travailler sur les besoins. Ce n’est pas facile pour les profs, reconnaissons-le. Il y a des élèves chiants, c’est vrai. Mais c’est une question de vie en groupe, un principe cher au psychologue Jean-Paul Gaillard qui explique qu’aujourd’hui même, à l’école, le développement individualiste l’emporte sur l’appartenance au groupe. Phénomène qui nous affaiblit tous. Il est donc temps de prendre conscience de l’autre. Répétons-le aux enfants : on ne tient bon que parce qu’on est ensemble. Et ça, ça se travaille. Ça se cultive.

ET APRÈS...

Les solutions qui émergent de ce tour d’horizon

Lorsqu’on l’aborde avec les parents, on sent la crainte d’être pris dans une spirale qui les dépasse. En cas de difficulté, ayez le réflexe d’entamer des démarches avec l’école, d’ouvrir le dialogue.
Vous avez des craintes à ce propos ou vous connaissez des familles autour de vous qui en éprouvent pour x raisons ? Alors entourez-vous. 9 fois sur 10, quand un parent se rend seul à l’école pour discuter d’un problème, ça ne marche pas pour x raisons. À l’inverse, s’il est appuyé, particulièrement en cas de tension, quelques mots, quelques explications venues de l’extérieur peuvent tout débloquer.

LES AIDES ?

Vous pouvez faire appel à l’association des parents (AP), si elle existe. Vous pouvez également créer un comité de parents, grands absents du secondaire en général. Autre solution, se rapprocher de la coalition des familles populaires. Vous pouvez aussi frapper aux portes des services d’accrochages scolaires (SAS), la Fédération Wallonie-Bruxelles en compte 14 en Belgique ou encore des AMO (Service d'action aux jeunes en milieu ouvert) qui dépendent de l’aide à la jeunesse et de l’école.
C’est important de s’appuyer sur des forces extérieures. Pourquoi ? Disons les choses franchement : il ressort de ce tour d’horizon que l’école est trop habituée à travailler seule. Elle n’externalise à d’autres structures que pour se décharger. C’est justement un point faible de cette triangulation sur lequel il faut travailler : la collaboration du monde scolaire. Il n’en ressortira que de bonnes choses. Dans l’intérêt de toutes et tous. Quel groupe britannique chantait aux profs qu’il fallait casser les murs déjà ?

Découvrez ici tout notre dossier « Et si on repartait (tous) sur de bonnes bases ? »