Société

« Nous, les mamans solos, nous devons trouver la puissance de continuer même lorsque nous perdons espoir »

Exilée du Burundi pour avoir osé dire, exprimer, écrire, Joy vit désormais à Bruxelles, où elle élève seule son fils

Exilée du Burundi pour avoir osé dire, exprimer, écrire, Joy vit désormais à Bruxelles, où elle élève seule son fils, Ron. Pour cette femme-force, à chaque jour sa bataille, mais aussi sa victoire. Il était une fois, l’histoire d’une héroïne du quotidien.

Découvrez notre dossier consacré aux mamans solos

Les mots de la liberté, les mots de tous les dangers

« Je suis née au Burundi, à Bujumbura, en 1993, en plein pendant la guerre. Mon nom m’a été donné pour aider ma famille à garder espoir et penser à un avenir plus heureux ». Dès l’enfance, puis l’adolescence, Joy nourrit l’ambition de devenir une femme indépendante. Inspirée par ses parents journalistes, elle s’engage pour faire résonner les voix silenciées.
« Je voulais montrer à ma génération que les ethnies, c’est n’importe quoi, que ce qui compte, c’est d’être ensemble. Mon arme, c’était la poésie, la déclamation, les discours. Je me sentais une âme de leadeuse et me rêvais en version féminine du prince Louis Rwagasore, héros de la décolonisation. »
Elle s’engage en prenant la parole pour prôner un message de paix. À la suite de cette visibilisation, la jeune femme commence à subir de nombreuses pressions politiques. Sans autre choix que de quitter son pays, Joy fuit avec l’aide d’une passeuse. « Tout s’est déroulé dans l’urgence. Dans ma tête, dans mon cœur, je ne ressentais plus rien, c’est comme si j’étais morte ».

Une grossesse solitaire entre deux continents

Arrivée à Bruxelles par voie aérienne, Joy se retrouve seule, sans papiers, sans argent, sans repère. Elle est hébergée pendant plusieurs mois dans un centre Fedasil où elle partage sa chambre avec trois autres femmes. Pour passer le temps, elle suit plusieurs formations d’intégration sociale, mais aussi d’aide-ménagère ou de premiers secours. En 2018, elle obtient son statut de réfugiée. Petit à petit, elle reprend pied dans son existence et décide de venir s’installer à Bruxelles. Elle trouve un emploi dans un commerce de l’aéroport national, mais, en mars 2020, le covid-19 entre dans nos vies. Tout s’arrête.
« Il était prévu que je retrouve mon compagnon réfugié en Ouganda en avril pour notre mariage. J’ai pris le dernier avion pour le rejoindre ». Une fois le confinement levé, Joy rentre en Belgique, motivée à se remettre au travail afin de préparer autant qu’elle peut le futur avec son conjoint qu’elle espère faire venir par regroupement familial.
Fin 2021, elle repart en Ouganda. Joy tombe enceinte. Comme son mari est sans possibilité d’acquérir un visa, c’est seule qu’elle rentre en Belgique. « J’ai vécu une grossesse très solitaire, en plus je souffrais d’une thrombose qui m’a mise en incapacité de travail. Ça a été très dur cette période, mais, finalement, l’accouchement s’est très bien passé. C’était une sorte de miracle ».

"J’aimerais reprendre des études pour devenir assistante sociale, pour aider les personnes qui sont dans les problèmes comme moi."

Le sourire de Ron et l’art de la joie

Aujourd’hui, Ron, son enfant, a 18 mois. C’est un petit garçon très calme et souriant. « Au quotidien, l’insécurité et la solitude, c’est vraiment fatigant. Je dois jouer le rôle d’une personne très stable, très heureuse pour ne pas transmettre à mon enfant ce que je ressens ». Joy interrompt son récit et saisit son téléphone : 17 h, il est temps d’aller chercher son fils à la crèche.
Sur le chemin, elle souffle : « Pour l’instant, je n’ai pas de place dans ma tête avec le ménage, le soin de mon fils et les galères administratives pour faire venir mon mari ici… Mais j’aimerais reprendre des études pour devenir assistante sociale, pour aider les personnes qui sont dans les problèmes comme moi. Quand j’imagine ça et notre vie à trois, ça me donne de l’espoir. Je m’accroche ».
Dans la cour de la crèche, Ron joue avec les autres enfants. À la vue de sa maman, il court dans ses bras. « Mon garçon si joli, si sage », murmure-t-elle en l’embrassant avant de l’installer dans la poussette.

Rencontre avec Joy, maman solo originaire du Burundi
© Jeanne Gabriel

Son message aux sœurs de galère

« Nous, les mamans solos, nous devons trouver la puissance de continuer même lorsque nous perdons espoir ». À toutes celles pour qui, dans la solitude de leur foyer, voir l’horizon devient trop flou, Joy souhaite leur partager sa force et son message.
« Quand j’étais plus jeune, mon père me disait tout le temps : ‘Pour garder la foi, fais ce que tu dois faire et laisse le temps faire le reste’. Aux autres femmes, je répéterais donc les mots de mon père auxquels j’ajouterais : ‘Courage, battez-vous pour cultiver votre art de la joie. Il y a des moments durs pour nous toutes, mais l’aube finit toujours par dissiper les monstres de la nuit’. »

ENGAGEMENT

La solidarité chaude pour pallier les failles

Fausat, Fatou, Hassanatou, Myriam, Rolisse, Fatoumata et Joy ont été ou sont accompagnées par Le Petit Vélo Jaune. Toutes décrivent ce soutien comme une respiration salutaire et une aide essentielle. « Avec Annelies, ma coéquipière, je regagne ma force, mon courage, ma joie », témoigne Joy. Loin de prétendre répondre à toutes les problématiques, en attendant les solutions structurelles, le Petit Vélo Jaune est là, aux côtés des familles.

Depuis plus de dix ans, Le Petit Vélo Jaune propose une aide aux familles dépassées. Comment ? En créant des binômes solidaires. Une fois par semaine, pendant un an, un·e bénévole - appelé·e coéquipier, coéquipière - se rend dans les foyers pour apporter son soutien aux parents : un coup de pouce pour les démarches administratives, un moment de partage ou simplement une présence chaleureuse.
Depuis son poste de première ligne, en plus d’une assistance concrète, l’association observe les besoins. Parmi les familles accompagnées, une grande majorité de mamans solos d’origine étrangère. Si les galères sont un dénominateur commun pour toutes les mères célibataires, elles le sont encore davantage pour les femmes ayant connu un parcours migratoire. En l’absence d’ancrage local, recevoir un coup de pouce du réseau familial ou amical s’avère pour elles plus complexe, voire impossible. De plus, ces femmes se trouvent souvent à l’intersection de discriminations multiples : sexisme, racisme et classisme.

Vous aussi vous souhaitez rejoindre l’équipe des coéquipiers et coéquipières pour apporter une aide concrète et tisser des liens précieux ?
Entre épuisement, solitude et précarité, certaines mères solos craquent en silence

Société

Santé mentale : allô maman solo, allô maman bobo

ZOOM

Une solidarité en grand braquet

Le Petit Vélo Jaune n’est pas la seule association d’accompagnement aux parents isolés. On pointera ainsi d’autres initiatives qui se développent sur un chouette mode de solidarités entre ASBL.

  • Cabane : ce projet anciennement appelé « Hamac » est aujourd’hui dans le giron de la Ligue des familles. Hélène Bougaud, la responsable, résume ainsi sa philosophie : « Une cabane, c’est l’endroit où tout commence. Un lieu où les enfants laissent libre cours à leur imagination, vivent des aventures et créent des souvenirs précieux. C’est un espace qui incarne à la fois la sécurité, essentielle pour leur épanouissement, et la liberté, pour explorer, rêver et grandir ». Une chose rendue possible par l’articulation entre le parent et le ou la bénévole accompagnant·e. Plusieurs enfants de familles monoparentales sont actuellement en attente d’un·e bénévole accompagnant·e souhaitant créer du lien avec eux et passer deux heures par semaine à partager leurs passions. 
    Le Petit Vélo Jaune est impliqué dans la dynamique, comme l’explique Vinciane Gautier. « Les interactions entre nos deux associations se poursuivent dans une logique de complémentarité, nourrissant une réflexion commune et un échange de bonnes pratiques. Certaines familles accompagnées par Le Petit Vélo Jaune bénéficient également du soutien d’un bénévole de Cabane, illustrant l’une des manières dont nos actions peuvent se renforcer mutuellement, au service des mères monoparentales et de leurs enfants ».
    ► + d’infos sur liguedesfamilles.be/cabane
  • En Wallonie, d’autres associations et projets d’accompagnement solidaire se développe aussi en étroit lien avec Le Petit Vélo Jaune, c’est le cas de Tout un village à Ottignies, Chemin’on à Charleroi et La tribu des familles à Tournai. Toutes ces initiatives se retrouvent au sein d’une « Collaboractive » dont l’objectif partagé est décrit ainsi par la Tribu des familles : « Sans soutien proche, les parents peuvent avoir du mal à trouver l’accompagnement nécessaire au quotidien et se trouvent parfois démunis dans leur rôle. C’est dans ce contexte que la mise en place de structures d’aides comme la nôtre est indispensable ».