Vie pratique

Addicts ou accros aux smartphones, nos ados ? Quels sont les besoins qui sont satisfaits à travers les réseaux sociaux ? Décryptage.
Vendredi après-midi, une septantaine d’étudiants du secondaire sont amassés dans une salle d’un cinéma bruxellois. Au programme : projection-débat autour du film Nuit bleue.
5h42. 342 minutes. Presque le quart d’une journée. C’est le temps qui s’affiche sur l’écran de Nora, jeune protagoniste du film, lorsqu’elle interroge son smartphone sur le temps moyen passé ces deux dernières semaines sur les réseaux sociaux. En tête de liste de ses sites préférés : Instagram et Wattpad (plateforme d’histoires). Mais pas que. Nora utilise aussi son smartphone pour prendre des photos et les partager avec ses amis, créer, écouter de la musique, se divertir.
Nora, Sarah, Amine, Daniel… Ils sont huit jeunes à avoir accepté l’invitation de l’École du sommeil pour vivre une expérience sur la connectivité et le sommeil le temps d’un week-end en résidentiel. Dans un premier temps, la joyeuse bande objective le temps passé sur leur smartphone grâce à l’application Quality Time. Les scores oscillent entre 1h30 et 6h30.
Le jour suivant, ça se corse. Najat, fondatrice de l’école du sommeil, à l’initiative de l’expérience, leur propose de couper leur smartphone jusqu’au lendemain midi. 24 heures en mode off, un défi à leur portée ? Le malaise est palpable. Ils se défient du regard. Un premier se prête au jeu et les autres suivent. « Tranquille, je le vis bien », confie Nora, comme pour s’en convaincre. Dylan se montre plus irrité : « Ça me saoule, j’ai besoin qu’il soit allumé, on ne sait jamais ce qui peut se passer ».
Tic, habitude, addiction ?
L’expérience appelle une première question : l’usage du smartphone relève-t-il d’un tic, d’une habitude ou d’une addiction ? L’OMS et l’OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies) sont formels : le smartphone n’est pas en lui-même un objet d’addiction tel que l'est un produit comme le tabac, l’alcool ou le cannabis. Ces substances conduisent à une altération du fonctionnement ou une souffrance ce qui n’est pas le cas du smartphone.
Selon Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste et auteur du livre 3-6-9-12 Apprivoiser les écrans et grandir (Érès), l’usage abusif des smartphones ne peut être assimilé à une dépendance ou une addiction, car ils activent des circuits biologiques du plaisir différents de ceux activés par une substance.
Addict, non, accro, oui
Plus de 72 % des 12-18 ans se déclarent accros à leur spartphone. C’est ce qui ressort de l’enquête réalisée par Reform (Recherche et formation socioculturelle) en 2016 auprès de 1 589 jeunes de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Mais accros à quoi ? Pas à l’outil en tant que tel, mais à la satisfaction des besoins que son usage permet. Se relier aux autres, se sentir appartenir à un groupe (et donc réduire le sentiment d’anxiété lié à l’isolement), construire son identité, s’affirmer, distinguer, s’informer sont autant de besoins satisfaits par les réseaux sociaux. Tout bon pour l’ego de l’adolescent occupé à construire son identité en dehors de la famille.
L’enquête révèle que la fréquence et la durée d’utilisation différencient les usagers dépendants des autres. De même, la dépendance se manifeste aussi dans l’usage dominant des réseaux sociaux par rapport aux simples services du téléphone intelligent (mail, gps, horloge, agenda, appareil photo).
Je poste donc je suis, quel est le problème ?
Satisfaire ses besoins et obtenir des services via son smartphone, oui. Mais en bonne intelligence et sans en abuser, telle est la recette. Malheureusement, pour certains, le téléphone est rivé à la main, consulté à la moindre notification et enlise encore et encore dans un fil scrollé à l’infini.
Si l’on se replonge dans l’expérience Nuit Bleue, l’extinction des smartphones déclenche un malaise, voire un mal être. Pour Sarah et Nora, le mode éteint, c’est l’angoisse : celle de rater quelque chose, de passer à côté de leur vie.
Nora l’avoue : « Je suis consciente que mon usage est problématique. J’ai des problèmes de sommeil et l’écran les intensifie. Je vis ma vie en décalé ». Après sa journée d’école, Nora s’écroule pour une sieste entre 16h et 22h pour renouer ensuite avec l’écran jusque tard dans la nuit. Nuit bleue. Nora stimule son cerveau par l’activité de son écran et court-circuite ainsi la phase d’endormissement dans laquelle le cerveau libère la mélatonine, l’hormone du sommeil.
Nora ne fait pas exception. L’enquête informe que 81,8 % des ados déclarent ne jamais éteindre leur smartphone et le laisser à côté d’eux la nuit. Cercle vicieux quand tu nous tiens… Plus je suis accro à mon smartphone, moins je dors. Moins je dors, plus je suis irritable et décroche des activités diurnes, notamment scolaires. 74,4 % des jeunes déclarent avoir des difficultés à se concentrer en classe, car ils pensent à leur smartphone.
Dylan le reconnaît : « Avec mon manque de sommeil, je rate beaucoup de choses ». Pour lui, « ce n’est plus une lutte, c’est la guerre ». Heureusement, les autres jeunes de l’expérience ont su en tirer parti pour découvrir les vertus du cycle du sommeil et d’une utilisation raisonnée des écrans.
La « story de mamy culture »
Si Dylan parle de guerre, doit-on rendre les armes ? On le sait, ados et interdits ne font pas bon ménage. Nora le confirme : « C’est un peu comme le Nutella. Maman n’en achète presque jamais, mais, quand il y en a, il part en un jour ».
Une mamy a trouvé le ton juste avec ses ados. Férue de musées, elle avait l’habitude d’emmener ses chéri·e·s chaque mercredi après-midi. Mais les chéri·e·s grandissent et se lassent des musées. Mamy ne s’avoue pas vaincue, elle découvre Snapchat et, ni une, ni deux, leur propose un nouveau défi : créer une story de leurs visites. La troupe mord à l’hameçon, mamy a gagné !
EN PRATIQUE
Les conseils aux parents et ados
Cassiopée Henaff (Action Media Jeunes) nous livre quatre pistes :
- Accompagner plutôt qu’interdire et limiter : l’interdit n’est pas une bonne manière de fonctionner avec un jeune. Votre enfant grandit avec les écrans, éduquez-le aux médias pour en faire un usager averti.
- Définir un cadre tenable en famille et des règles d’accès valables pour TOUS les membres (par exemple : pas d’écran à table, pendant les devoirs), mais accepter qu’il soit adaptable et évolutif. Le cadre n’est pas pour autant en mousse. Si l’ado ne le respecte pas, alors le contrat de confiance est rompu et il faut marquer le coup.
- Désactiver les notifications : vous économiserez ainsi votre attention et couperez court aux appels incessants des réseaux.
- Éviter de scroller à l’infini : s’il n’y a rien, pourquoi rester dessus ?
EN SAVOIR +
- Smart.use : une enquête sur l’usage du smartphone auprès de 1 589 jeunes en Fédération Wallonie-Bruxelles (Reform, ULB, 2016).
- Nuit Bleue, le film du Centre vidéo de Bruxelles et l’école du sommeil (35‘).
- Animation scolaire possible sur demande auprès de l’École du sommeil.
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