Vie pratique

Prendre un congé parental pour concilier vie professionnelle et vie personnelle ? Un choix évident pour certains papas, imposé pour d’autres et une impossibilité pour quelques uns entre renoncement et refus catégorique. Et pour décrypter cela, les explications de notre experte, la sociologue Laura Merla.
Olivier : J’aurais bien voulu, mais je n’ai pas pu
Pour la naissance de son deuxième enfant, Olivier, un ingénieur informatique de 36 ans, voulait faire une pause d’un an dans sa carrière professionnelle.
« C’est vraiment à la naissance de Louison que j’ai commencé à m’intéresser à la question. Je me suis alors laissé trois mois pour réfléchir et peser le pour et le contre. Tout bien réfléchi, j’étais partant pour commencer quand notre bébé aurait 6 mois : c’était le moment où ma femme voulait recommencer à travailler et ça me laissait le temps de me préparer.
Quand je suis allé à la DRH me renseigner sur la procédure, j’ai tout de suite senti un malaise. On m’a remis une brochure interne d’informations… où le congé parental pris par le père n’existait pas ! Tout était écrit au féminin. Le lendemain, mon chef de service est venu me trouver pour me demander des explications. Je lui ai fait part de mon choix, de la belle opportunité familiale que c’était. Il m’a expliqué qu’il comprenait ma décision, mais qu’elle ne serait pas sans conséquences sur mon avenir au sein de la boîte.
J’ai finalement choisi de ne pas prendre ce congé parental, parce que j’aime mon job et surtout que je ne voulais pas quitter la ville et notre maison, qui est au cœur de notre projet familial.
Louison est finalement allée en crèche, comme sa grande sœur. Elle a 2 ans aujourd’hui, c’est une petite fille pleine de vie et adorable. Si je ne regrette pas mon renoncement - j’ai eu une promotion professionnelle très intéressante -, je me demande quand même parfois ce qu’auraient été ces mois consacrés pleinement à mes enfants. »
Nicolas : Je l’ai voulu, je l’ai eu
Papa-poule, Nicolas l’est assurément. Et le congé parental, c’était évidemment un grand oui ! Il a pris le relais quand sa femme a remis sa blouse d’infirmière. Noam avait 3 mois, il en a 17 aujourd’hui.
« Dans ma tête, c’était clair dès le début : je voulais prendre le temps de voir grandir ce bébé. Le congé parental s’est tout de suite imposé, même s’il a le gros défaut de nous pénaliser un peu financièrement. Je dis un peu, parce que si on fait le calcul avec le coût d’une crèche, pour nous la différence est relativement minime.
Au boulot, certains de mes collègues masculins ont franchement eu des réactions de primates quand ils ont su que je prenais un congé parental. De leur côté, ceux qui me connaissent un peu n’ont pas été très étonnés. J’ai eu pas mal d’encouragements et il y en a même qui sont venus me voir pour me demander des infos sur les démarches, sur le montant de l’allocation, etc.
Au niveau de la direction, je n’ai pas eu de difficultés particulières. Je crois que le fait qu’elle soit quasi exclusivement féminine a joué en ma faveur. Ça m’a un peu étonné d’apprendre que je suis le premier papa de l’entreprise à avoir demandé à prendre un congé parental. Pourtant, des jeunes pères, il y en a bien une bonne quinzaine, ici. Ce qui est chouette, c’est que l’entreprise, qui fait partie d’un grand groupe, a communiqué en interne sur ça. J’espère que ça en incitera certains à franchir le pas.
C’est particulièrement agréable de prendre le temps de faire les choses au rythme des siestes. Et puis, le congé parental me permet d’avoir un vrai équilibre de vie. Si Nath veut passer du temps seule avec son fils le week-end, par exemple, pas de problème pour moi ! Je l’ai déjà toute la semaine pour moi tout seul, ou presque.
Si j’ai un message particulier à faire passer aux futurs ou jeunes pères ? Réfléchissez-y et ne vous inquiétez pas pour votre virilité, elle ne s’en portera pas plus mal ! (rires) »
Pierre : Je n’en voulais pas, mais je l’ai eu
Depuis sept mois, Pierre s’occupe de Léo, 13 mois, tous les vendredis dans le cadre d’un congé parental… pris contre son gré !
« Ma femme a un job à très hautes responsabilités, moi un peu moins. Pour garder Léo, on a un 4/5e de solution, à savoir qu’il va à la crèche du lundi au jeudi. Pour le vendredi, on n’a jamais réussi à trouver de solution. Au final, c’est moi qui m’y colle, parce que, des deux, c’est moi que ça pénalisait le moins professionnellement.
Certains vont dire qu’un jour par semaine, c’est pas le bout du monde. Ben, si ! Ça me colle un stress de fou parce que, au boulot, je dois faire en quatre jours ce que je faisais en cinq alors que je suis un laborieux. Et puis, le vendredi, c’est les courses avec le petit, un peu de lessive, un peu de ménage, le parc, les siestes… En temps normal, j’aime bien, mais là, c’est toujours la même chose, je sature. Pourquoi je ronge mon frein en attendant mieux ? D’une part, j’aime ma femme et d’autre part, les moments que je vis avec Léo valent quand même tout l’or du monde. »
Jérémy : Je n’en ai jamais voulu !
Père de trois garçons, dont un petit dernier de trois semaines tout juste, Jérémy dit non au congé parental. Tout comme Cécile, sa compagne, qui retravaillera à temps plein dès son congé de maternité terminé.
« L’entreprise où je travaille est plutôt ouverte sur le sujet, j’ai un poste avec des responsabilités mais qui peuvent être données à d’autres, je pense être un homme et un père moderne. Donc, oui, j’aurais pu prendre un congé parental. Mais c’est un non catégorique.
La raison ? Un vrai choix familial, fait à deux. Cécile n’a pas l’opportunité de faire cette pause dans sa carrière sans que cela ne la pénalise et elle n’a de toute façon pas envie de passer 24 heures sur 24 avec les garçons. J’ai un boulot que j’adore, qui me laisse assez de temps pour profiter de mes enfants le soir et le week-end. Ça fait donc deux bonnes raisons.
À cela, il faut ajouter aussi l’envie que Ben et Nathan - et plus tard Élie - aillent à la crèche. J’aime cette idée qu’ils soient tous les jours avec d’autres gosses et d’autres adultes, dans un lieu qui leur est totalement dédié. Ils y apprennent plein de trucs différents par rapport à la maison et je trouve que ça fait un super équilibre.
Dans mon entourage, il y a plusieurs papas qui ont pris un congé parental. Pour certains, ça se passe visiblement super bien et pour d’autres, l’expérience n’a duré que quelques semaines. Il n’y a aucun jugement à porter là-dessus, ce sont juste des choix personnels… qui fonctionnent ou pas. »
REGARD D'EXPERTE
Laura Merla, sociologue (UCL) : « Une décision qui se prend en famille »
Que peut-on dire du congé parental pris par le père en Belgique ?
Laura Merla : « Globalement, on sait que sur l’ensemble des congés parentaux pris en Belgique, 30 % sont pris par les pères et donc 70 % par les mères et que c’est en Flandre que les parents sont les plus nombreux à en bénéficier, essentiellement en raison des incitants financiers qui y sont nettement plus favorables qu’en francophonie. Quand on regarde de plus près, on voit une nette différence entre les hommes et les femmes sur le type de congé parental pris. Les mamans prennent majoritairement un congé à temps plein ou à mi-temps, alors que les hommes s’orientent très fortement vers le 4/5e de temps. »
Il y a une typologie du preneur de congé parental ?
L. M. : « Dans le cadre d’une recherche que j’ai menée sur des pères qui avaient pris un congé parental d’au moins une année, deux profils se dégageaient clairement. Le premier était celui de pères qui avaient déjà eu une belle carrière professionnelle et qui avaient envie de réinvestir du temps dans leur famille. Le deuxième profil était des pères dont l’emploi était soit précaire, soit peu ou pas valorisé. Évidemment, leurs choix étaient guidés par les revenus du ménage : le premier profil parce que les pères pouvaient se le permettre, le deuxième profil parce que cela équivalait, voire améliorait, la situation financière. En effet, en restant à la maison à s’occuper des enfants, on peut réaliser des économies autour d’une équation entre la réduction des déplacements professionnels, le fait d’avoir du temps pour faire les courses - et donc de comparer les prix ! -, de cuisiner et surtout de ne pas avoir de crèche à payer.
Ce qu’il y a également de très prégnant chez ces pères, c’est la valeur donnée au temps familial par rapport à la société de consommation, et cela peu importe l’orientation politique ou religieuse. Et, enfin, que la décision du congé parental est une décision qui se prend en famille. C’est important à souligner, parce que cela signifie que la maman accepte de laisser de la place au papa. Ce qui peut paraître anodin pour certains, mais qui ne l’est absolument pas pour d’autres ! »
Il existe des freins à cet engagement des pères auprès de leur(s) enfant(s) ?
L. M. : « Oui, clairement, et de plusieurs ressorts. Culturellement, par exemple : les pays du Nord sont plus favorables au congé parental que ceux du Sud, il existe parfois aussi un manque de reconnaissance de la place du père par certaines mères ou par des gens plus âgés, plus ancrés dans une société très patriarcale et un schéma où le père travaille et assume le soutien financier.
Au niveau professionnel, des freins existent également : certaines entreprises mettent une vraie pression, surtout quand le papa a des responsabilités ; d’autres, au moment du retour après le congé parental, réintègrent leur employé à un poste moins intéressant, un peu comme une mise au placard. C’est fort dommage comme attitude, d’autant plus que plusieurs études montrent qu’on est plus productif quand on est heureux, donc quand on a réussi à concilier temps de travail et temps familial !
Et puis, de l’autre côté, les papas commencent aussi à entrer dans une rhétorique autour de la crise, avec peut-être une incidence sur la prise de congé parental : est-ce que c’est le bon moment ? Si l’entreprise doit licencier, ne serais-je pas une cible plus facile ?
EN PRATIQUE
Le congé parental
Le congé parental est spécifiquement destiné à la conciliation des vies professionnelle et familiale, il peut être pris jusqu’aux 12 ans de l’enfant et ce, de manière fractionnée. Chaque parent a droit individuellement au congé parental. De plus, ce congé peut être pris sous la forme d’une interruption à temps plein ou à temps partiel. Les indemnités sont donc au prorata.
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