Développement de l'enfant

Papa où t’aime ?

Papa où t’aime ?

De l’art délicat d’aimer quand on est père. Pas gagné d’avance. L’amour paternel n’est pas automatique. Finit-il par naître ? Comment se développe-t-il ? Finalement ne fait-il pas partie du renouveau du rôle du père ? On en parle avec… beaucoup d’amour.

Avant de rencontrer les différent·es protagonistes de cet article, on avait le sentiment de s’attaquer à un non-dit. Le fait que l’amour paternel - l’amour parental tout court - ne soit pas gagné d’avance, on l’imaginait comme un aveu difficile à faire. À l’instar de Jean-Philippe, papa d’un ado et d’une petite fille de 4 ans, on a souvent entendu chez nos papas, sans complexe aucun, que « chez moi, à la fois pour mon grand comme pour ma petite, ça a mis du temps à venir. Je me réveillais en me disant ‘Ce n’est pas ce que j’imaginais. Ai-je fait le bon choix ? Vais-je acheter des cigarettes moi aussi et ne jamais revenir’ ? ».

Cétautomatix ?

Si Jean-Philippe revient sur le sujet avec un soupçon d’autodérision, les papas interrogés partagent cette impression : leur amour paternel n'a pas été automatique. Ils se sentent moins bien lotis que leur compagne pour qui il y aurait quelque chose de plus évident. Lotta De Coster, psychologue et prof en psychologie du développement à l’ULB, partage ce point de vue, tout en précisant qu’elle rencontre aussi des mamans pour lesquelles l’amour maternel ne naît pas comme par enchantement. Il serait le fruit d’un travail conscient, un sentiment qui s’installe et se construit progressivement.
« Cette question me fait penser aux paroles accrocheuses de Stromae : ‘Tout le monde sait comment on fait des bébés, mais personne sait comment on fait des papas’ (Papaoutai). Devenir papa, développer son amour paternel est un processus actif tout le long de la vie. Il est accentué par la réalité de la conception, de la grossesse, de l’accouchement, l’allaitement et des premiers liens avec le bébé pour la maman. Tout cela peut jouer un rôle facilitateur pour devenir mère, mais pas systématiquement. Le papa ne connaît pas cette expérience corporelle directe et concrète. »
Pourtant, constate la psy, avant la naissance de son bébé, l’homme se prépare aussi à devenir papa. On pourrait dire que « si le bébé pousse dans le ventre de sa maman, chez le papa il pousse dans la tête ».
Daniel, aujourd’hui père aimant d’une petite fille de 3 ans, rétropédale : « Je me sentais prêt à accueillir notre bébé. Pas à devenir père ». L’accès à la paternité est d’abord une construction mentale, est convaincue Annie Vanderen, psychologue. « La paternité, c’est une nouvelle identité à façonner. Se confronter à sa propre enfance. Apprendre à fonctionner à plusieurs, à faire famille. C’est aussi prendre conscience que l’on va jouer un rôle. Donc se frapper parfois violemment toute la charge et la difficulté que cela revêt ».
Lotta De Coster complète : « Un jeune papa, heureux et épuisé, m’a dit un jour : ‘L’arrivée de bébé a tout changé. Je ne vois plus le monde de la même façon, cela a totalement changé ma vision’. Devenir père demande également un réajustement de sa vision du monde, de sa place réelle et symbolique dans celui-ci ». On peut comprendre que tout ce processus ne se fasse pas du jour au lendemain. D’ailleurs comment se construit-il ?

S’ajuster

Pour Jean-Philippe, comme pour Daniel, le sentiment s’est construit et renforcé un peu chaque jour, au quotidien. À coup d’interactions et d’échanges avec bébé. En s’en occupant. En jouant. En en prenant soin. « En vivant ensemble, tout simplement », ponctue Daniel. Lotta De Coster confirme que les interactions précoces sont favorables pour créer un attachement du côté du bébé. Une façon pour ce dernier de développer des liens privilégiés et uniques avec diverses figures d’attachement. Les échanges précoces sont aussi favorables pour le sentiment de connexion et de proximité que le père ressent pour son bébé. Pour sa confiance aussi, dans son rôle de papa. Et, très important, pour le plaisir qu’il peut y trouver. Cela, malgré la fatigue intense, les adaptations, etc.

 Lotta De Coster - Psychologue
« Si le bébé pousse dans le ventre de sa maman, chez le papa il pousse dans la tête »
Lotta De Coster

Psychologue

« Le congé parental crée une fenêtre d’opportunité pour laisser émerger et consolider cet attachement et ce lien parent-enfant. Plusieurs pays ont d’ailleurs augmenté sa longévité. Cette décision politique favorise l’installation d’une dynamique familiale et l’implication des pères au niveau des soins précoces. Les caractéristiques du bébé interviennent également dans la construction du lien. Son appétence au lien et à l’activité partagée, son tempérament, etc. Est-ce que bébé aime être chatouillé jusqu’à rire aux éclats ? Est-ce qu’il aime être lancé dans l’air par papa ou est-ce qu’il préfère les jeux tendres et doux ? Petit à petit, papa et bébé peuvent s’ajuster », développe Lotta De Coster. Précisant que l’arrivée d’un deuxième bébé dans la famille est régulièrement perçue comme source de rapprochement relationnel entre le papa et l’aîné·e. Maman centrée sur bébé, cela peut être l’occasion pour le père de faire plus de choses avec son aîné·e. Tous nos intervenant·es insistent sur l’idée que cet ajustement doit se faire sans pression. Toujours plus facile à formuler qu’à mettre en place.

Mamaoutai

Daniel revient sur son désarroi sentimental. « Un jour, je tiens mon bébé dans les bras. Et je me dis que je ne ressens pas cet amour fort que l'on décrit dans la littérature et la fiction. Ça m’a pourri la vie. Plus je voyais des représentations sociétales de pères épanouis, équilibrés et aimants, plus je me sentais mal. Puis à m’impliquer et voir grandir mon enfant, je me suis mis à développer quelque chose au fur et à mesure ».
Les pères aussi subissent des stéréotypes normatifs, soit une immense pression comme on l’a expliqué dans un récent dossier. Tant Annie Vanderen que Lotta De Coster l’expliquent. Il y a tout un tas de façons d’aimer, de se sentir et de s’investir en tant que papa. Du coup de foudre immédiat à la construction lente et élaborée. Dommage que des papas se mesurent à des normes et ne se sentent pas à la hauteur, déplore Lotta De Coster qui, en tant que psychologue faisant de l’accompagnement parental, invite les jeunes parents à observer sans (se) juger.
« Comment se sentent-ils dans leur nouveau rôle, leurs rêves, leurs désirs, leurs craintes, leurs blocages et défis ? La vulnérabilité psychique qui peut s’installer après une naissance peut être l’occasion pour un jeune papa de réfléchir à quel type de père il a envie d’être. Ce qu’il souhaite développer comme type de liens avec son bébé et avec la maman. Les valeurs qu’il veut transmettre. Les rêves qu’il veut partager. La réalité avec le bébé peut être différente de celle que le papa avait imaginée. »
Et les mamans, comment peuvent-elles aider leur coéquipier démuni ? Jean-Philippe et Daniel n’ont qu’un mot à propos de leur compagne : la valorisation par celles-ci les a énormément appuyés. Jean-Philippe de constater : « J’étais largué. Nul à chier. Je faisais tout mal. Et chaque encouragement m’a énormément porté. Oui, c’est nase. Ça fait petit mâle à l’ego fragile qui a besoin d’être valorisé… ». Pas tout à fait.
Pour Annie Vanderen, « la confiance est une étape primordiale. On a toutes et tous besoin de sentir que l’on avance avec assurance pour jalonner les grandes étapes éducatives. Au passage, rassurer sa compagne aussi sur la façon dont elle assure son rôle de maman, ça participe à tout un environnement plus clair et lumineux ! ». Chez Lotta De Coster, même idée, « lorsque la maman donne une place au papa. Qu’elle lui fait confiance, même si le papa fait les choses très différemment. Lorsqu’elle favorise les moments de connivence, c’est important pour la relation entre le papa et son bébé ».

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Lotta De Coster : « De nombreux papas vont sentir un amour paternel tout au long de leur vie, même si celui-ci peut changer de couleur ou d’intensité au gré du développement de leur enfant et des phases de la vie. Certains sont plus à l’aise avec des bébés, d’autres avec des enfants plus grands et il y a des pères qui vont se rapprocher de leur fils lorsque celui-ci devient papa à son tour et qu’ils se retrouvent dans le rôle de grand-père. Il y a toutefois des événements, type conflit, séparation ou divorce, maladie physique ou mentale, épisode de stress intense… qui peuvent éloigner les papas de leur enfant. La distance peut être physique et aussi émotionnelle. Après des moments d’éloignement, on peut observer des moments de rapprochement ou l’inverse. Plutôt que de réfléchir en termes de ‘conditionnel/inconditionnel’, je pense qu’il est plus intéressant de considérer l’amour paternel comme un processus toujours en mouvement qui peut fluctuer .