Société

Pour les élèves de l’enseignement technique et professionnel, la rentrée peut atteindre… le millier d’euros

Les familles précarisées face aux coûts scolaires du qualifiant

110 000 élèves feront dans quelques jours leur rentrée dans l’enseignement technique ou professionnel. La moitié des élèves de secondaire sont inscrits dans ces filières. Dans une nouvelle enquête menée auprès de 541 familles d’élèves de l’enseignement qualifiant, la Ligue des familles constate que c’est la filière d’études qui coûte le plus cher, alors qu’elle est fréquentée par les familles aux plus bas revenus.

Les frais sont très variables selon les options, mais ils peuvent atteindre plusieurs centaines d’euros par an, parfois davantage, en matériel pour les futures et futurs maçons, menuisiers, mécaniciens, horticulteurs, puériculteurs, bouchers, cuisiniers, assistants en pharmacie, esthéticiens… La Ligue des familles appelle la ministre Glatigny à reprendre urgemment la marche vers la gratuité scolaire, à tous les niveaux d’enseignement.

A partir de la 3e secondaire, la moitié des élèves fréquente l’enseignement technique et professionnel

48% des élèves de secondaire sont inscrits dans l’enseignement technique de transition, technique de qualification ou professionnel au-delà du premier degré d’enseignement commun. Ces formes d’enseignement concernent au total près de 110 000 familles en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Du fait notamment de la tendance de notre système d’enseignement à reléguer les élèves en difficultés scolaires vers cette filière, cette proportion augmente à chaque année d’études. En 5e et 6e secondaire, moins de la moitié des élèves sont encore dans l’enseignement général (47%).

Graphique de répartition des élèves selon les filières

L’enseignement qualifiant concentre des familles en difficultés financières

En comparaison avec les autres pays de l’OCDE, notre système d’enseignement est, hélas, connu pour son caractère particulièrement inégalitaire, dans lequel la tendance à reléguer des élèves en difficultés scolaires vers le qualifiant est fortement corrélée à leur origine sociale. De ce fait, les jeunes suivant l’enseignement qualifiant subissent très fréquemment les difficultés financières.
Ainsi, parmi les 10% des élèves de 16 ans les plus aisés, 1 sur 5 sont inscrits dans l’enseignement qualifiant, alors que parmi les 30% des élèves de 16 ans les plus précaires, ils sont quasi 1 sur 2 à être en technique ou professionnelle.
Ce constat explique en partie les conclusions d’une récente étude de la Ligue des familles (2022), qui montrait que les familles dont les enfants sont en technique ou professionnelle étaient 64% à exprimer le besoin d’une aide financière pour payer les études, contre 36% pour celles d’élèves du secondaire général.
La filière qualifiante devrait être choisie par les élèves par vocation, pas être une orientation contrainte par la relégation d’élèves en difficultés sociales et scolaires dans l’enseignement général. C’est pour permettre à chaque élève une orientation réellement choisie et combattre le caractère profondément inégalitaire de notre système éducatif qu’un nouveau tronc commun polytechnique est en cours d’implémentation.

Graphique de la proportion d'élèves dans la qualifiant selon le niveau socio-économique

Des frais scolaires qui se chiffrent en centaines d’euros

Alors qu’ils viennent en moyenne de familles particulièrement exposées à la précarité financière, les élèves du qualifiant et leurs parents font face à des frais spécifiques aux options particulièrement élevés. Des frais variables d’une option à l’autre, et parfois si onéreux qu’ils contraignent les choix d’orientation des élèves et empêchent des vocations.
Les frais scolaires ci-dessous s’appliquent pour chaque enfant d’une fratrie fréquentant l’enseignement qualifiant et peuvent donc être multipliés par deux ou trois dans une famille, selon le nombre d’enfants en secondaire.

  • 300€ pour les frais scolaires ordinaires (hors achat du cartable, plumier, ordinateur). Les élèves de l’enseignement qualifiant doivent bien sûr payer les frais scolaires « classiques » tels que des classeurs, cahiers, livres de cours, stylos, calculatrices, tenues de sport et natation, etc. À supposer qu’ils n’aient pas besoin de racheter cette année un cartable, un plumier et un ordinateur, la facture de rentrée s’élève déjà en moyenne à 300€. Et s’il faut racheter, on atteindra sans peine les 700€.
  • Plus de 400€ pour l’outillage et l’équipement de protection. Mais pour ces élèves et leurs familles, il faut y ajouter les frais spécifiques à l’option qualifiante, et c’est là que la facture prend des proportions faramineuses. La moitié des élèves du qualifiant doivent ainsi payer des frais d’outillage et des équipements de protection : des parents nous parlent d’un casque de soudure électrique coûtant 90€, de chaussures de sécurité avec bout en métal à 100€. Ce sont aussi, par exemple , des couteaux de cuisine et tenues de salle en hôtellerie, des ciseaux à bois ou des embouts de visseuses en construction, un sèche-cheveux, un lisseur ou des brosses en coiffure… Cela chiffre très vite. En moyenne, ces familles doivent payer plus de 400€ rien que pour l’outillage et l’équipement de protection.
  • Plus de 350€ de matériel informatique spécifique. Une famille sur cinq doit, en outre, payer du matériel informatique spécifique à l’option qualifiante. Il ne s’agit pas ici du coût d’un ordinateur dont doivent disposer aujourd’hui la plupart des élèves du secondaire, mais bien du surcoût lié à l’option (par exemple, l’infographie). Des parents évoquent la suite Adobe Tout Creative Cloud (Photoshop, Illustrator, InDesign, Lightroom…), qui coûte 236 € par an la première année, 427 € par an les suivantes, ou un ordinateur suffisamment puissant pour y installer des programmes comme AutoCAD, SketchUp.

En moyenne, les 22% de familles à qui ce matériel est demandé déboursent 353€. Ces frais, très élevés, ne sont pas pour autant exhaustifs. La rentrée scolaire peut être un véritable coup de massue pour les parents d’élèves, mais des frais s’ajoutent ensuite durant l’année : frais de consommables et matières premières que certaines écoles demandent de payer tous les mois, sorties scolaires spécifiques à l’option qui sont d’autant moins évitables qu’elles sont parfois cruciales pour l’insertion professionnelle future du jeune : salon professionnel, visite de contrôle technique, visite de barrage hydraulique… Par ailleurs, les frais de déplacement vers l’école sont fréquemment plus élevés que dans le secondaire général, parce qu’il faut aller plus loin pour trouver l’option adéquate. Certains répondants à notre enquête expliquaient ainsi même qu’ils avaient dû choisir l’internat, au coût de 2 941€ par an. Signalons enfin les frais de stage, tant en transport (très fréquent) qu’en achat de matériel complémentaire spécifique au stage, dans un cas sur cinq tout de même.

Frais scolaires spécifiques à l'enseignement qualifiant

Les équipements de protection ne devraient déjà pas être à charge des parents

La législation de l’enseignement permet pour l’instant aux écoles de demander aux familles des frais relatifs au prêt d’outils professionnels. En ce qui concerne les équipements de protection individuelle et les vêtements de travail (chaussures, tabliers, casques…), par contre, ils devraient être fournis par les établissements sans frais à charge des apprenants, en vertu de la législation « bien-être au travail ». Pourtant, depuis 2021, les rapports de l’Inspection des frais scolaires se succèdent pour constater que les écoles demandent massivement aux parents de financer ces équipements.

Matériel à charge des parents dans le qualifiant

Les parents pris par surprise

Souvent, avant que leur enfant entame ces études, les parents concernés n’ont aucune idée des sommes qu’ils vont devoir débourser. Près de la moitié des familles (46%) ne reçoivent pas, à la rentrée, d’estimation des frais scolaires à payer pendant l’année. Les écoles sont pourtant légalement tenues de fournir ce document. De nombreux parents ayant reçu une estimation rapportent par ailleurs que celle-ci est parcellaire. Notamment, il arrive que les frais de consommables, tous les outillages nécessaires, ou les frais de logiciels informatiques spécifiques ne soient pas renseignés.

Avis d'estimation des coûts de la rentrée

Reprendre et accélérer la marche vers la gratuité scolaire

Les précédentes inistres de l’Éducation Marie-Martine Schyns (Les Engagés) et Caroline Désir (PS) avaient progressivement instauré la gratuité des fournitures scolaires en maternelles puis jusqu’en 3e primaire : la Fédération Wallonie-Bruxelles donne aux écoles 50 à 75 € par enfant, et l’école achète avec cela le matériel nécessaire. Mais le gouvernement actuel a stoppé cette évolution : plus rien n’est prévu pour les élèves de 4e primaire et au-delà.
Or, on le voit, les besoins sont immenses. Cela n’a aucun sens de s’arrêter au milieu des primaires : ni pour les familles, ni pour les écoles, qui doivent gérer deux systèmes différents en même temps. Il faut d’urgence, dès la prochaine rentrée, octroyer les fournitures scolaires dès la 4e primaire et accélérer la marche vers la gratuité pour couvrir le plus vite possible également l’enseignement secondaire. Pour les écoles du qualifiant, outre la Fédération Wallonie-Bruxelles, les fonds régionaux d’équipement, qui octroient déjà des subventions afin de moderniser le matériel pédagogique, pourraient être adaptés et intervenir dans le financement des outils professionnels et équipements personnels.
Enfin, la ministre Valérie Glatigny a suspendu, à la rentrée dernière, l’inspection des frais scolaires, chargée de vérifier l’application des règles et d’accompagner les écoles, alors même que cette inspection avait relevé de nombreux problèmes dans l’application de la législation*. La Ligue des familles appelle à une reprise immédiate, indispensable pour garantir les droits des familles.

(*) Lire à ce sujet notre analyse complète des rapports de l’inspection : https://liguedesfamilles.be/storage/36383/2025-01-13-Analyse-Inspection-frais-scolaires.pdf